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Bakary Sambé (Timbuktu Institute) : « La lutte contre le terrorisme dans le Sahel souffre parfois des inconséquences politiques et diplomatiques »

A l’approche du Forum International de Dakar sur la paix et la Sécurité, le Directeur du Timbuktu Institute- African Center for Peace Studies de Dakar, revient sur la situation au Mali, l’absence du Sénégal du G5 Sahel et analyse les dernières évolutions au Burkina Faso.

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Dans cette interview, Dr. Bakary Sambe appelle à une profonde réflexion sur « la question de la crédibilité du discours sur la lutte contre le terrorisme souffrant, parfois, des inconséquences politiques et diplomatiques en se penchant sur le hiatus qu’il peut y avoir, parfois, dans la gestion de la crise sahélienne entre les approches internationales et les perceptions locales ». Cet expert est professeur au Centre d’étude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il est aussi le Directeur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies de Dakar où il coordonne l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique. Spécialiste des rapports entre politique et religion en Afrique, il travaille aussi sur le militantisme islamique et les réseaux transnationaux auxquels il a consacré plusieurs publications et ouvrages. Il vient de diriger une nouvelle enquête qui paraît bientôt la perception du terrorisme dans les zones frontalières entre le Sénégal et la Mauritanie (Rosso)

IBK pourra-t-il enfin faire la paix avec les acteurs du Nord ? Quel gage donner aux récents accords ?

Une paix durable ne saurait se construire avec des initiatives conjoncturelles. Elle se pense dans la durée et se construit dans la sincérité loin des jeux et calculs politiques. Al Ghabbas Ag Intalla, député de Kidal depuis 2012 et Bilal Ag Chérif sont certes des personnalités-clés dans la question du Nord-Mali mais ne représentent pas toutes les tendances. On connaît le rôle des Ag Intalla et leur influence notamment dans l’Adrar des Ifoghas, sur les réseaux criminels avec le contrôle des droits de passage et des alliances qui régissent cette économie indissociable du conflit de manière générale. Le double statut paradoxal d’El Hadji Ag Gamou, sous les drapeaux et en même temps chef de groupe armé est plus que problématique. Cela signifie qu’au Mali on est encore dans les stratégies de saupoudrage et non de résolution globale du conflit : l’émergence du GATIA combinée aux prébendes réservées aux différents groupes a donné lieu à une surenchère menant à une situation où la guerre meurtrière du Nord fait désormais vivre ses propres protagonistes. Cette situation ne peut être pérenne de la même manière qu’on ferme encore les yeux sur les inconséquences des accords de Ouagadougou ainsi que les malentendus de la résolution 2058 qui a introduit un nouveau de conflit de perception du conflit entre la classe politique malienne et de la communauté internationale. Sans qu’on n’y prenne vraiment garde, le feu couve entre populations Sonraï et les Touaregs sur lesquels se concentrent aussi bien l’énergie que l’attention de la communauté internationale. En plus du Centre du Mali avec ses problèmes agropastoraux sur fond d’un djihadisme ethnicisé, d’autres foyers de tension sont malheureusement en gestation. Au moment où le Mal devrait espérer la paix, je crains bien, sous une responsabilité partagée, qu’on soit en train d’y semer de nouveaux germes de guerre.

Sur l’absence du Sénégal du G5 Sahel. Où se situerait, selon vous, le blocage ?

C’est une question difficile. Lorsqu’on s’en ouvre aux acteurs du G5 Sahel, ils déplorent l’absence du Sénégal et en même temps ceux de la partie sénégalaise semblent ne pas comprendre leur propre absence. A l’heure de la sécurité collective, des défis sécuritaires régionaux qui interpellent nos pays ayant la vulnérabilité en partage, c’est une incongruité doublée d’un non-sens stratégique que le Sénégal soit en dehors de ce cadre auquel la géographie l’associe. Mais je pense que depuis l’absence du Sénégal de la réunion des « pays du champ », du début du processus de Nouakchott, de la déclaration de Niamey, la couleur en était bien annoncée. Certes le Sénégal fait partie de la typologie des pays encore épargnés par le terrorisme mais pas en dehors de la menace. Sa sécurité n’est donc pas dissociable de celle de ses voisins surtout à l’heure du phénomène des « ventres mous ». Les critères d’évaluation de la menace ont bien changé : avant la question était de savoir s’il y avait assez d’éléments radicalisés prêts à basculer ; aujourd’hui le danger peut venir de l’extérieur. On est donc à l’ère de l’absurdité de la prévision où toutes les garanties sont bonnes à prendre.

Des relations difficiles entre Macky Sall et le Mauritanien Ould Aziz comme pensent certains ?

Le Président Aziz est un maillon important du dispositif G5 Sahel au regard du rôle qu’il a joué pour sa création et il ne cesse de s’imposer en leader dans la réflexion stratégique et militaire dans le Sahel. Nouakchott devient un point de ralliement des stratèges militaires de la région. Rien qu’en août dernier, le président mauritanien y recevait ensemble les généraux chefs d’Etat-Major Mbemba Moussa Keïta du Mali, Ahmed Mouhamed du Niger, mais aussi Ziyad Chérif chef de la section des opérations et du recrutement de l’armée algérienne. Aziz a donc bien marqué son terrain face au leadership militaire sénégalais incontesté dans la région en étant bien incrusté dans le schéma sahélien et ouvert à l’Algérie qui a un pied stratégique dans le Sahel. Pour éviter le mauvais départ lors de la crise malienne, au moment où on parle d’une force conjointe, je suis sûr qu’une coopération entre la Mauritanie et le Sénégal est une nécessité stratégique qui impose le sursaut et le dépassement. La dernière étude du Timbuktu Institute dans la zone frontalière de Rosso, le montre à tous points de vue. L’axe classique de notre doctrine de « diplomatie de bon voisinage » pourrait être utile dans ce contexte particulier.

Comment expliquez-vous le fait que le Burkina est de plus en plus attaqué alors qu’il était un modèle de stabilité ?

Le Burkina est dans une configuration difficile : étant sous pression sécuritaire par son voisinage avec le Mali, il doit, en même temps, construire une résilience nationale dans un environnement régional incertain. Sa situation devrait interpeller tous les pays voisins du Mali dont les frontières sont devenues un problème régional. Depuis les attaques d’Août 2015 contre la gendarmerie d’Oursi, ce pays est l’objet d’incursions djihadistes continues. Les attentats de Ouagadougou en 2016 avaient certes attiré l’attention de la communauté internationale, mais, bien que non encore massif, le djihadisme s’installe dans ce pays. La réalité est que le départ de Blaise Compaoré a privé les groupes criminels d’un couloir de déploiement et de circulation sécurisé qui était le prix à payer pour épargner le « pays des hommes intègres ». Aujourd’hui, ces groupes veulent faire du Burkina Faso un maillon faible et un territoire tampon entre le Mali et le reste de la région notamment avec l’émergence d’un djihadisme aux dehors endogènes symbolisé par les éléments de Boureïma Dicko dans le nord du pays. C’est assez significatif de la volonté des groupes djihadistes de créer partout des zones d’instabilité à défaut d’y installer un djihadisme massif du type Nord- Mali. En même temps qu’un rappel de la nécessité de stratégies régionales et de mutualisation des forces et du renseignement, cela devrait alerter tous les pays de région. C’est peut-être pour cela qu’Emmanuel Macron, le président français, aurait choisi Ouagadougou pour son adresse très attendue même si, dans le contexte actuel d’une panne des solutions sécuritaires au terrorisme, d’innombrables questions se posent sur sa teneur et surtout son orientation.

 

Source : Le Confident

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