Siaka n’avait aucune raison de ponctionner dans la caisse de ses employeurs. Si ce n’était la perspective de se retrouver sous peu à la rue
« Faux, usage de faux et atteinte aux biens publics ». Voilà l’accusation qui a fait comparaître vendredi dernier le dénommé Siaka Dolo devant les jurés de la cour d’assises. Les faits reprochés à ce trentenaire remontent courant 2011-2012 et se situent à Bougouni. A l’époque, une organisation paysanne connue sous le nom de MOBIOM (Mouvement bio Mali) basée à Bougouni était à la recherche d’un agent comptable. Il faut préciser que sous le sigle indiqué plus haut se retrouve un regroupement constitué essentiellement de cotonculteurs. Il s’était mis en place pour défendre les intérêts de ses adhérents dans leur secteur d’activité spécifique. « Spécifique » puisqu’à la différence de l’écrasante majorité des paysans qui s’adonnent à la culture de l’or blanc dans la contrée du Banimonotié, les membres de MOBIOM s’étaient, eux, spécialisés dans la culture du coton bio. Ce choix s’était révélé des plus judicieux puisque le regroupement bénéficiait d’importants financements de la part de partenaires basés en Europe et aux Etats Unis. Partenaires qui encourageaient vivement cette autre manière de produire et qui n’hésitaient pas accorder d’importantes subventions aux organisations paysannes qui faisaient ce choix.
Devant l’importance grandissante des fonds que brassait MOBIOM, les responsables du mouvement prirent la sage décision de recruter un agent comptable. Une fois que leur offre d’emploi eut été lancée dans les médias locaux, les responsables de MOBIOM se sont retrouvés submergés par une vague de dossiers. Finalement, ce fut nommé Siaka Dolo a été retenu parmi la centaine de spécialistes qui prétendaient au poste d’agent comptable. Cependant le jeune homme fut recruté sur la base d’un contrat à durée limitée. Il percevait un salaire mensuel de plus de trois cent mille francs CFA.
L’APPETIT VIENT EN MANGEANT. Dans les premiers mois qui suivirent sa prise de service, le jeune comptable faisait son travail à la satisfaction de ses chefs et de tous les adhérents de l’organisation. Il est important aussi de préciser pour comprendre la suite des événements que la majorité de membres de MOBIOM se composait de paysans analphabètes. Siaka s’aperçut assez vite qu’il brassait des sommes plus considérables que ne le laissait envisager la taille du regroupement. En plus des financements extérieurs que le regroupement recevait, les membres versaient régulièrement d’importantes cotisations. La structure était donc financièrement à flot et les résultats qu’elle produisait ainsi que les justificatifs qu’elle faisait parvenir à ses bailleurs extérieurs satisfaisaient largement ceux-ci.
La bonne santé financière du regroupement ne faisait que se renforcer au fil du temps. Et cette prospérité commença à donner des idées à l’agent comptable. En apparence, Siaka n’avait pas de raisons de se plaindre. Son salaire était relativement confortable et aurait dû le mettre à l’abri de certaines tentations. Le hic était que le jeune homme ne disposait d’aucune sécurité d’emploi. Comme nous l’avions dit plus haut, son contrat était à durée limitée et Siaka, malgré quelques coups de sonde qu’il avait donnés, n’avait reçu aucune assurance de ses employeurs qu’il serait prolongé. L’agent comptable élabora donc un plan pour sécuriser son avenir, comme lui-même l’a dit plus tard.
Il commença d’abord par ouvrir à son propre nom un compte en banque. Et comme il maitrisait à merveille le flux des mouvements financiers du regroupement, il mit en place un système de vases communicants qui dérivaient à son profit une bonne partie des entrées de MOBIOM. Comme toujours dans ces cas là, l’appétit vient en mangeant et les « dérivations » effectuées par Siaka devenaient de plus en plus importantes. Les responsables du mouvement commencèrent à relever une chute inexpliquée des ressources financières qui faisaient marcher leur structure. Ils ne voulurent pas porter d’emblée leurs soupçons sur l’agent comptable à priori et firent donc procéder à un audit des finances de MOBIOM. Il était dès lors impossible de ne pas établir la responsabilité de Siaka Dolo.
Les contrôleurs découvriront un trou de plus de 18 millions de FCFA. A la suite des enquêtes qui se sont déclenchées après cette révélation, le jeune comptable s’est retrouvé coincé. Faute de pouvoir prouver sa non implication dans les pertes financières que sa structure venait de subir, il se retrouvera derrière les barreaux de la gendarmerie de la localité. Au fil des investigations, l’étau s’est resserré autour du jeune homme qui se fit mettre la main dessus par la justice. Siaka a comparu vendredi, dernier jour des travaux de la session pour répondre des infractions citées plus haut.
A la barre, la tête baissée, les bras croisés, c’était un homme visiblement au bord de la déprime qui s’est présenté aux jurés, mais aussi un homme qui n’a pas du tout essayé d’user de faux-fuyant. Il a reconnu dans toute leur gravité les faits qui lui ont été reprochés. Il a aussi expliqué de manière détaillée les opérations qui lui ont permis de procéder à ses prélèvements. L’agent comptable a indiqué que durant plusieurs mois, il établissait des fausses factures au nom de l’organisation qu’il adressait aux adhérents. Analphabètes pour la plupart et sans connaître le libellé des factures, ces derniers s’empressaient de signer et de s’acquitter de sommes relativement importantes. Sans le moindre scrupule et fort des documents en sa possession, l’agent comptable se payait avec l’argent perçu sur les fonds de MOBIOM ou de ses membres.
Pour amadouer ses victimes, il lui arrivait de leur promettre des faux projets pour le développement de leurs localités (centre de santé, écoles, marché etc.). Mais aucune des infrastructures ne verra le jour. Les ponctions opérées par Siaka ont incontestablement nui aux employeurs de l’agent comptable. Le récit des frasques de ce dernier a jeté une ombre sur la gouvernance de MOBIOM. Certains partenaires, catastrophés par la révélation des montants détournés, ont choisi d’arrêter leur appui.
LA VOLONTE DE REPARER. Bizarrement, avant même qu’il ne soit mis aux arrêts, Siaka savait qu’il avait peu de chance d’échapper aux autorités judiciaires. Pour atténuer les dégâts qu’il avait causés, il avait acquis un camion benne. Il avait engagé un chauffeur avec lequel il avait passé un accord très simple. Le conducteur devait impérativement lui verser chaque semaine une somme de trois cent mille francs CFA, le reste des gains restant à sa disposition. Devant les jurés, l’accusé a expliqué les raisons qui l’ont poussé à agir ainsi. Selon lui, lorsqu’il a vu que le vent tournait en sa défaveur et qu’il avait de moins en moins de chances d’échapper à la justice, il avait acheté et mis en service le véhicule afin de pouvoir « remettre à leur place » les 18 millions de francs CFA qu’il avait puisés dans les caisses de MOBIOM. Malheureusement, il fut arrêté bien avant d’avoir vraiment avancé dans son entreprise de reconstitution.
A la question de savoir pourquoi il s’en était pris à l’argent du groupement alors qu’il bénéficiait d’un salaire décent qui lui permettait de subvenir à ses besoins, Siaka s’est montré d’une brutale franchise. Il a clairement indiqué que dans ses actions entraient en ligne de compte une large part de frustration et un désir de vengeance. L’accusé a indiqué que ses compétences lui avaient fait espérer un contrat à durée illimitée, mais le premier responsable ne lui avait accordé qu’un CDD. Dès lors Siaka avait estimé qu’il lui fallait agir pour éviter les difficultés financières qu’il rencontrerait lorsqu’il se retrouverait à la rue au terme de son contrat avec le Mouvement bio.
La partie civile ne s’est guère étendue dans son intervention. Elle n’en voyait pas la nécessité à partir du moment où l’accusé lui-même a reconnu les faits. Le défenseur de l’organisme victime s’est surtout appesanti sur les dégâts causés par la malversation dont le comptable s’est rendu coupable. « Aujourd’hui, a soutenu l’avocat, le groupement a perdu tous ses bailleurs de fonds. Il n’est plus financé que par un seul partenaire et les pertes sont énormes pour les autres travailleurs ». Le conseil de la partie civile a donc réclamé 30 millions de francs CFA pour réparer les dommages causés suite au détournement des fonds de l’agent comptable.
Le conseil de l’accusé s’est agrippé au fait que l’agent comptable a agi ainsi en voulant échapper aux affres du chômage dès la fin de son contrat. « Dès le jour de son recrutement, notre client avait été déçu par son chef », a-t-il soutenu pour expliquer la conduite du fautif. Le conseil de Siaka a ensuite plaidé les circonstances atténuantes en faveur de son client.
Quelques minutes auparavant, le ministère public avait lui aussi plaidé un tel verdit. Et pour deux raisons. D’abord parce que l’accusé a reconnu les faits sans tergiverser. « Cela nous a rendu la tâche beaucoup plus facile », a soutenu le défenseur des citoyens. Ensuite, parce que le jeune homme a manifesté la volonté de réparer le préjudice causé. Il a déjà payé 7 millions sur les 18 qu’il est accusé d’avoir détourné aux dépens de sa structure. Il avait vendu son camion benne pour réunir cette somme pendant la période où il avait bénéficié d’une mise en liberté provisoire, après une première incarcération.
Les jurés ont suivi le ministère public en accordant de larges circonstances atténuantes à l’accusé. Celui-ci a ainsi écopé de 5 ans de prison assortis de sursis. Il ne payera pas non plus les 30 millions de Francs CFA demandé par la partie civile. Mais l’agent comptable doit rembourser 17 millions de FCFA à MOBIOM et s’acquitter de la somme de 2,5 millions en guise de dommages et intérêts.
MH.TRAORE
source : L’Essor