Le devoir m’impose de répondre au Général LECOINTRE pour honorer la mémoire de mon père qui a sacrifié sa vie comme tirailleur pour défendre l’honneur de la France en 1939-1945, après avoir été enrôlé dans l’armée française contre sa volonté. Après la mort de la plupart de ces combattants dont l’Afrique est fière, quelle n’a pas été notre surprise d’entendre le Général LECOINTRE encourager la France et les pays de l’Union Européenne à envisager une expédition militaire en Afrique dans 10 ans pour recoloniser les Africains ! Quelle est la morale de la gratitude pour mon père et ses confrères tirailleurs africains d’avoir été défendre une cause chère à la France, celle du droit à la liberté, qu’un officier supérieur français ne reconnaît pas aux Africains ? La perte de l’influence franco-européenne en Afrique est le résultat d’une politique moralement inacceptable sanctionnée par un pouvoir divin dont le processus invisible a conduit à une ” peur face à l’incertitude “.
Le discours de M. LECOINTRE renferme une saveur à préoccupation militaire dont l’objectif est la reconquête de l’Afrique sans les Africains, afin d’apprivoiser cette “peur de l’incertitude existentielle” par une réponse moins orthodoxe fondée sur la culture de la guerre. Nous sommes portés à croire qu’il s’agit d’une pensée guerrière pour la “Recolonisation de l’Afrique pour s’emparer de ses richesses et les contrôler. Le président Macron a été clair sur les intentions de la politique française en affirmant : « La France est en Afrique pour “ses intérêts “ à défendre, bâtir, poursuivre et renforcer ». Les bases militaires françaises en Afrique constituent le rempart et jouent le rôle de force en attente garant d’une police d’assurance-vie pour protéger les intérêts français et non ceux des Africains. M. Macron invite les Africains à la réalité de ne pas rêver, la France n’est pas en Afrique pour donner l’illusion de” faire du bien “. C’est dans cette perspective qu’il faut inscrire le discours du Général LECOINTRE. C’est-à-dire une stratégie qui fait appel aux pays européens à envisager une coalition d’intervention militaire à travers un coup d’État pour renverser les institutions démocratiques africaines, afin d’imposer une dictature militaire qui anéantira et asservira les Africains. Pour paraphraser Nathalie Yamb, «ils se plaignent des pouvoirs militaires en Afrique, mais ils ne se gênent pas de planifier la conquête du pouvoir hégémonique en Afrique par leurs propres militaires ». Quel paradoxe ! Par ailleurs, l’appel aux Européens sous-entend que la France à elle seule ne possède pas la puissance militaire pour intervenir sur le continent africain, d’autant plus qu’elle a démontré son échec à combattre les terroristes du Sahel après un enlisement d’environ 10 ans au Mali, malgré le soutien logistique du genre de coalition réclamé par le Général LECOINTRE. C’est par une stratégie s’appuyant sur l’instrumentalisation du mécanisme de l’unilatéralisme multilatéral que l’opinion internationale, notamment européenne, avait été préparée pour attaquer l’Irak, la Lybie et la Syrie. L’histoire retiendra et jugera la légitimé et la légalité de ces actions meurtrières auxquelles découlent des conséquences incalculables de pertes de vies humaines sans égard à la doctrine du respect des droits de l’homme. Nous pouvons déjà imaginer que le scénario d’une expédition militaire proposée par Général LECOINTRE sera identique et la justification sera fondée sur “la Vertu et les Valeurs” de la civilisation universelle, la démocratie et les droits de l’homme; un discours cher à la politique française. Pour mieux comprendre la profondeur et la portée de la déclaration belliqueuse du Général LECOINTRE, examinons le contenu de sa rhétorique avant de poursuivre notre analyse. Nous comprendrons pourquoi la politique française en Afrique est à la base du clivage entre la France et l’Afrique, devenues deux solitudes dont les valeurs sont irréconciliables.
Rhétorique du Général François Lecointre
Selon le Général LECOINTRE, « Ce qui est notre destin commun, nous Français et Européens, c’est la Méditerranée et l’Afrique où se joue notre destin commun. Nous avons essayé en permanence, nous Français, d’entraîner les Européens dans cette prise de conscience, de la nécessité d’agir collectivement en Afrique. On ne peut imaginer qu’à nos portes il y a un continent qui est en train de s’enfoncer dans la destruction des appareils de gouvernement et des États, s’enfoncer dans une forme de chaos et de guerre civile. Un continent qui va connaître une explosion démographique, comme aucun continent n’en a jamais connu. Imaginez que cela se passe dans les 10 et 20 prochaines années et qui n’aura pas de conséquence sur l’Europe, parce que nous vivons dans une forme de bulle protégée par quoi ? C’est simplement inconscient. » Général LECOINTRE exprime sa désolation de l’échec de leur engagement au Sahel, il dit que, de toute façon, ‘’nous aurons à nous poser la question’’. D’après sa rhétorique, l’Europe se décidera à agir comme une entité politique qui ira défendre ses intérêts en Afrique, y compris par les moyens d’engagement de ses armées dans 10 à 20 ans. Il fait remarquer que le continent africain est confronté aux difficultés liées aux évolutions climatiques qui sont dramatiques sur des populations vulnérables. Selon son point de vue, on ne peut pas soutenir l’idée que cette situation n’aura pas de conséquence sur l’Europe. Il conclut que ‘’dans 10 ou 20 ans, nous aurons l’obligation de retourner en Afrique’’. Il est persuadé que ce ne sont pas la Chine, la Russie et Wagner qui vont apporter des solutions durables aux très grandes difficultés que ces Africains et leurs populations connaissent ».
Malgré le fait que l’Afrique soit éloignée de la France et que nos intérêts et valeurs soient différents, ‘’il y a un acharnement avec mépris à ne pas laisser les Africains se développer et s’épanouir selon leur réalité et leur choix’’. Nous sommes au XXIème siècle, la déclaration du Général LECOINTRE, qui s’adresse exclusivement à l’opinion publique française et européenne, est très grave, venant d’un officier supérieur qui ne peut pas ignorer la réprobation générale en Afrique contre l’écho et l’impact de sa rhétorique. Son discours comporte une réaction émotive, celle liée au spectre de la peur d’un destin existentiel incertain pour la France et l’Europe dans 10 ou 20 ans. Quel est ce destin qu’on peut définir par : « On entend par destin la force surnaturelle qui agit sur les êtres humains et les évènements auxquels ils doivent faire face tout au long de leur vie. Le destin est donc une succession inévitable d’évènements à laquelle personne ne peut échapper ».
Pourquoi ce destin franco-européen a muté en Afrique ? Pauvre maudite Afrique, jadis où la seule évocation de ce continent rappelait injustement la misère, les maladies contagieuses et dangereuses, la désolation, la pitié, mais, qui subitement devient viable, suscitant l’appétit de la convoitise, capable d’assurer la survie des Européens qui ont adopté une politique d’immigration pour chasser et refouler les migrants noirs africains ! Sous le prétexte fallacieux qu’ils sont des illégaux. Paradoxalement, l’Europe doit planifier d’immigrer en Afrique pour l’envahir par la force militaire d’occupation. C’est ce qu’on appelle ” la morale d’État “. Malgré la pratique inhumaine de l’esclavage plus de 400 ans, la déportation des forces vives africaines, la destruction de leur culture et tradition, le devoir de mémoire s’impose. La France a pris part à cette activité lucrative de la traite négrière, en plus de son rôle joué dans la colonisation dont la politique a été critiquée et dénoncée par le journaliste et homme d’État français Georges Clémenceau le 31 juillet 1885 à la Chambre des députés. « Il s’exprime sur la politique d’expansion coloniale de la France en réponse au discours colonialiste de Jules Ferry du 28 juillet 1885. Dans cette allocution, Jules Ferry avait validé la politique d’expansion coloniale française, comme un système politique et économique se rattachant à trois ordres d’idées : à des idées économiques, à des idées de civilisation de la plus haute portée et à des idées d’ordre politique et patriotique. A l’inverse, Georges Clemenceau ne partage pas les idées de Jules Ferry, basées sur un argumentaire de race supérieure et race inférieure. Dans sa réponse, il se réfère à l’argumentaire développé trois jours auparavant par Jules Ferry. M. Clémenceau rétorque : « Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu’elles exercent. Ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. » Voilà en propres termes la thèse de M. Ferry, et l’on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation.
Races? Supérieures ? Inférieures ?
Races supérieures ? Races inférieures, c’est bien dit ! Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps ! Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l’Inde pour la Chine, avec cette grande efflorescence d’art dont nous voyons encore aujourd’hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! Avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui paraît avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! En vérité, aujourd’hui même, permettez-moi de dire que, quand les diplomates chinois sont aux prises avec certains diplomates européens… (rires et applaudissements sur divers bancs), ils font bonne figure et que, si l’un veut consulter les annales diplomatiques de certains peuples, on y peut voir des documents qui prouvent assurément que la race jaune, au point de vue de l’entente des affaires, de la bonne conduite d’opération infiniment délicates, n’est en rien inférieure à ceux qui se hâtent trop de proclamer leur suprématie. M. Clémenceau poursuit : « Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n’est pas autre chose que la proclamation de la primauté de la force sur le droit ; l’histoire de France, depuis la Révolution, est une vivante protestation contre cette inique prétention. C’est le génie même de la race française que d’avoir généralisé la théorie du droit et de la justice, d’avoir compris que le problème de la civilisation était d’éliminer la violence des rapports des hommes entre eux dans une même société et de tendre à éliminer la violence, pour un avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des nations entre elles. […] Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! Voilà l’histoire de votre civilisation ! […] Combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices que l’Européen apporte avec lui : de l’alcool, de l’opium qu’il répand, qu’il impose s’il lui plaît. Et c’est un pareil système que vous essayez de justifier en France dans la patrie des droits de l’homme ! Je ne comprends pas que nous n’ayons pas été unanimes ici à nous lever d’un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu’à mesure que nous nous élevons dans la civilisation, nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence, l’hypocrisie. » Les conséquences horribles de la colonisation ont marqué le destin de l’Afrique. Dans une prochaine publication, nous poursuivrons notre analyse du discours du Général LECOINTRE qui a privilégié la primauté de la force sur le Droit.
Par Boubacar TOURÉ
Source :
*-https://lesdefinitions.fr/destin
https://www.savoiretculture.com/discours-georges-clemenceau-politique-coloniale/