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Aminata Dramane Traore dévoile l’agenda caché de la France au Mali

François Hollande, en début janvier, lors des Vœux aux armées à Creil déclarait : « L’opération Serval a été un succès. Reconnu, non seulement par les maliens, et ils l’ont manifesté, mais par l’ensemble de la communauté internationale. »

 

aminata dramane traore mali

Aminata Dramane Traoré : C’est clair que si nous sommes ici, c’est parce que nous avons une autre lecture du bien fondé de cette intervention, de la question des responsabilités et la situation réelle sur le terrain, ce que nous constatons. Moi je n’attendais pas de serval,qu’en 2 temps 3 mouvements,elle chasse les djihadistes du Mali, d’autant plus que l’immense majorité est constituée de désespérés du pays.

Mais les maliens savent qu’il y aun autre problème que la France minimisait ou faisait semblant d’ignorer : c’est-à-dire le rôle de l’autre acteur le MNLA dans cette affaire.

Donc d’un coté on a libéré entre guillemets le Mali des djihadistes mais est-ce qu’il s’agit d’une libération parce que la plupart d’entre eux sont chez eux. En fait, on rase sa barbe, on disparait, on se calme en attendant que la situation change dans un sens ou dans l’autre.Et puis de l’autre coté effectivement le MNLA qui, à la faveur de Serval s’est installé à Kidal
Boubacar Boris Diop : Après quelques opérations en Iraq Bush, dans une déclaration spectaculaire dit en deux mots « mission accomplie, les combats majeurs sont terminés ». On voit maintenant où en est l’Iraq. La situation n’a jamais été aussi terrible pour ce pays.

Ce n’est pas la même échelle l’Iraq et le Mali. Je me méfie beaucoup des déclarations du style de celle de Hollande. On se souvient quand il va à Tombouctou. Il dit quelque chose qu’il faut rappeler. Il dit « c’est le plus beau jour de ma vie ». C’est un homme qui a eu une vie bien remplie.
Et s’il le dit là-bas… Ce n’est pas des propos en l’air. Il y avait une espèce d’exaltation : nous sommes formidables, nous avons réussi cette affaire c’est très bien. Si on circonscrit l’opération Serval dans le temps : les gens sont là, ils coupent des mains, ils obligent les femmes à se voiler. Les gamins ne peuvent plus prononcer le nom de Lionel Messi ou taper dans un ballon. Oui, sur les faits dégagés, c’est bien. Ça c’est clair.

Personne ne peut en douter mais à condition juste qu’on s’en arrête là. Mais dès qu’on essai d’entrer dans la profondeur de l’histoire et qu’on essai de comprendre le mécanisme. Dès qu’on essai de voir finalement le pourquoi, la relation qui est à l‘œuvre dans cette intervention, on est dans l’abomination néocoloniale classique.

Ça ne pouvait pas durer et ça n’a pas duré. Ce qui permet aux maliens de comprendre, au point qu’il y a aujourd’huiune espèce de ressentiment anti français dans la société malienne. C’est lié à Kidal.
Aminata Dramane Traoré : L’armée malienne ne contrôle toujours pas Kidal. Le MNLA, dans l’entendement de Sarkozy et de son équipe à l’époque, sous prétexte d’une meilleure connaissance du désert, des réalités du nord, devait aider la France à combattre AQMI et libérer les otages. Je crois que cet espoir était vite dessus. Ils sont bâti des alliances avec d’autres frères touaregs islamistes, même des gens venus d’Algérie et d’ailleurs.

Toujours est il qu’au lieu de combattre AQMI, de libérer les otages, ils ont fait le choix de combattre l’Etat centrale et ses symboles, surtout l’armée malienne. Entre temps les islamistes et les rebelles qui n’avaient pas le même agenda. Les islamistes se veulent maliens. Ils veulent instaurer la Charia. Le MNLA ne veut pas de la Charia mais veut l’indépendance de l’azawad (ce qu’ils considèrent comme leur territoire naturel.

Ce qui est faux, c’est juste une zone de pâturage), donc les 2/3 du territoire sans consulter les autres communautés qui occupent cet espace. Ce que nous considérons comme la complicité de la France est dans cette montée en force du MNLA. C’est que, soutenu par les medias français parce que c’est quand même à partir des bureaux de France24 que l’un des représentants du MNLA a déclaré l’indépendance.

Nous avons suivi ce discours et dont celui d’Alain Juppé qui, à l’époque, enregistre avec une certaine jubilation les avancées du MNLA. Quand Serval a commencé, le MNLA revenait en force donc c’est un peu comme :on a envoyé le MNLA en mission contre AQMI, pour nos otages. Ça n’a pas marché, nous sommes là. Maintenant on fait cause commune et on marche avec le MNLA. Or, le MNLA déclarait la guerre à l’armée malienne et à l’Etat malien.

Contre toute attente, arrivé aux portes de Kidal Serval dit à l’armée malienne : non vous rester ici. Le reste, de la conquête, de la libération se fera. On a peur que vous preniez votre revanche à la suite d’Aguelhok sur les touaregs. Donc ils font intervenir encore le même argument de la protection des civils là-bas sous prétexte que les soldats maliens sont des criminels potentiels, des revanchards donc il vaut mieux ne pas les laisser entrer dans Kidal.

On utilise l’armée malienne dans la libération de Gao et de Tombouctou et il arrive un moment où on lui dit arrêtez-vous là, on continue avec le MNLA, que l’immense majorité des maliens considèrent comme fautif. L’immense majorité des maliens ont le sentiment d’avoir été trahis. La France est venue, sous prétexte de libérer, de nous restituer l’intégrité du territoire.

Mais voici que Kidal devient une exception. Après l’élection du président de la république, la France nous donne l’impression de… « Réglez ça entre vous ! » C’est pour ça que si on vous dit : le Mali est libéré, mission accomplie. On se pose des questions.

La France devait-elle intervenir différemment ?

Aminata Dramane Traoré : C’est clair ! Je suivais Devillepin, c’est lui qui disait dans un débat de International, que : « il est arrivé à la France d’intervenir autrement dans des situations plus ou moins comparables qui consistaient à détruire des colonnes de pick-up sans déployer 5.000 hommes ».

D’abord, c’était une promesse de Hollande dès son élection et Fabius a démenti les journalistes qui ont dit à l’époque que cette intervention se préparait. Et Hollande lui même a déclaré , je crois, le 13 novembre 2012 qu’il n’est pas question qu’il y ait des troupes au sol.

Donc on s’attendait à une opération ciblée de manière à démanteler le réseau d’autant plus que technologiquement la France a les moyens de voir ce qui se passe dans ces zones, les caches d’armes… Ces colonnes de djihadistes ne peuvent pas avancer à l’insu de la France.

La France savait ce qui se passait. Mais dans un cas comme la nôtre, on crée une situation qui permet aux djihadistes d’occuper ces localités tout comme la progression vers Konna et l’attaque de Konna, on peut bien décider de laisser la situation évoluée vers l’extrême, au point que tout le monde dit : il n’y a rien d’autre à faire que d’intervenir.

La crise malienne est-elle emblématique des relations entre l’Afrique et l’Occident ?

Boubacar Boris Diop : Il s’agit beaucoup plus de l’ex empire colonial français qui, à l’époque était divisé en 2 parties l’Afrique Occidentale Française et l’Afrique Equatoriale Française. Il s’agit beaucoup plus de ça que de la relation entre l’Afrique en général et l’occident. Non !

On est dans le déploiement de la relation françafricaine, c’est de ça qu’il s’agit. Moi je suis plutôt pour que la France fasse son examen de conscience. Je demande toujours à des amis : la seule façon pour la France de nous aider, pas l’Etat français mais la société française , l’opinion française, c’est de faire la politique africaine de votre pays un sujet de politique intérieure.

Autrement dit, les hommes politiques français de gauche et de droite ont exactement les mêmes comportements sur le continent africain et c’est le sentiment qu’en Afrique on peut tout faire et ça ne va pas nous couter une voix dans l’électorat français.

Que les français se demandent pourquoi les anglais ne sont jamais intervenus au Zimbabwe, au Ghana ou au Kenya ; que les portugais ne sont jamais retournés après 1974 au Mozambique ou en Angola. Et que leur pays entre les années 1960 et maintenant, avec Sangaris, est à sa 50e intervention. C’est beaucoup 50 ! Si à 50, on n’a pas encore commencé à réfléchir c’est que peut-être on ne le fera jamais, c’est qu’il y a un problème qui est là.

Oh oui je pense que c’est parce que nous l’acceptons aussi. Quand je dis nous, je ne parle pas des sénégalais en général, des maliens en général ou des gabonais en général. Je parle des élites, de ces élites dont Césaire a dit un jour que c’est des élites décérébrées .

Ces élites africaines qui sont en complicité avec l’Etat français pour établir la Françafrique… Ça fait bientôt 20 ans que je travaille exclusivement sur le Rwanda. On ne va pas en parler ici mais la France n’intervient pas parce que les gens souffrent. Au Rwanda on tuait 10.000 personnes par jour pendant 100 jours.

Il n’y a pas eu d’interruption. Elle n’est intervenue qu’en juin 1994 mais pour exfiltrer les tueurs. Donc, on ne va pas nous dire aujourd’hui qu’en Centrafrique ou autre on intervient parce qu’on ne supporte pas la vue du sang. C’est pas vrai ! Alors le problème que ça pose c’est la question, finalement, de laisser le model de la France même à l’intérieur du bloc occidental…

Elle déploie une activité intense à l’ONU : résolution sur le Mali, sur la Libye, sur la Centrafrique. Les autres pays occidentaux regardent cela d’un air un peu…Qu’est-ce-que c’est que cette histoire ? Et on demande à la Pologne et d’autres pays de mettre la main à la poche. Mais vous rigolez ? On ne le fera jamais, c’est votre histoire assumer la. Ce sont les turpitudes de la Françafrique à l’époque de la lutte contre le terrorisme.
Aminata Dramane Traoré : La France joue surtout sa propre survie dans un monde globalisé où elle est confrontée aux conséquences de la mondialisation.

Il y a dans cette frénésie de la France, dans le cadre de la responsabilité de protéger les populations, l’agenda cachée : c’est que la sortie de crise passe par le contrôle de l’uranium, du pétrole, de toutes ces ressources en Afrique qui ne peuvent plus être négociées entre un président démocratiquement élu ou pas et la France.

Les gens commencent à se poser beaucoup de questions mais Il y a surtout d’autre acteurs, d’autres partenaires potentiels qui peuvent proposer, qui ne sont pas dans le chantage de la démocratie, qui disent tout simplement : on a besoin d’uranium, on paie tant. Pendant ce temps ceux qui fourrent les règles de la démocratie aux pieds sont les 1er à nous dire allez aux élections d’abord.

Vous avez compris qu’au Mali comme en Centrafrique, c’est les mêmes mots, mêmes agendas et mêmes scenarios de sortie de crise. On va aller vers des élections et ensuite… personne ne vous parle d’économie. L’économie est pour nous en tout cas la toile de fond.

Quand Boris parle de ces élites qui ne s’expriment pas, qui ne s’engagent pas comme nous, c’est tout simplement qu’ils sont piégés dans le système. Ils se sont prononcés pour une Afrique qui gagne dans le cadre du paradigme du marché donc ils ne vont pas se contredire. Beaucoup de politiques qui entendent parfaitement ce qu’on dit, disent : maintenant qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ?

On n’ a pas le choix puisque, pour gagner en compétitivité il faut ouvrir aux investisseurs. C’est pour protéger les investissements aussi qu’on va en guerre. Il faut occuper militairement parce que AQMI s’en prend à ces investissements. Donc si vous avez une élite politique qui croit aux vertus du marché ça veut dire qu’ils ont les mêmes intérêts que la France.

Donc il faut mener le même combat contre la France comme avec la France contre le même ennemi qui est pour l’instant les islamistes. Mais la question qui devrait aussi nous interpeller est qu’est ce que cache cette définition ? Qui est l’islamiste ? A propos du Mali, sous prétexte de ménager la sensibilité des musulmans, ils ont dit non, on va plus les appeler islamistes, djihadistes.

Il faut dire terroristes… Et terroriste, ça montre le coté disons laïc. Donc on s’attaque pas à l’islam mais à des terroristes. On met ça dans le floue au plan sémantique, au vue de tout le monde, selon les circonstances. Toujours est-il que là où le Bâ blesse c’est non seulement il n’y a pas de débat ici, des débats contradictoires sur ces réalités nouvelles et graves mais chez nous…on s’interdit nous-mêmes !

Je ne connais pas de medias africains alors n’allez même pas demander à nos télévisions d’instaurer un débat sur ce qui nous arrive, de qui sont les terroristes. Alors à un moment donné… ça fait bien aujourd’hui d’attaquer frontalement ces terroristes, ces narco…C’est vrai qu’ils sont tout cela : il y a des narcotrafiquants, des passeurs. Il ya tout mais tout cela est dû à la faillite lamentable de politiques économiques que nous avons suivi scrupuleusement ces 30 dernières années.

Il ne faut pas oublié qu’on était le meilleur élève de la sous-région…Le résultat des courses c‘est la tutelle militaire, politique du Mali et bon élève du FMI et de la banque mondiale et de l’union européenne mais c’est ce système qu’il faut questionner !

C’est pas l’Occident en tant que tel mais c’est un modèle, un système économique de pillage qui a réussi à l’Occident qui est en faillite aujourd’hui et l’horreur absolue c’est d’entendre, lors du sommet Afrique-France ou Françafrique de l’Elysée sur la crise, sur la militarisation pour conforter l’idée de la nécessité d’avoir des troupes aujourd’hui qui défendent, moi je dirais qui sécurisent les investissements parce qu’il ne s’agit pas de sécuriser les africains. On dit : on va vous aidez à développer.

Et j’entends cette élite totalement décérébrée dire que c’est normal que la France qui a libéré le Mali, que les entreprises françaises soient prioritaires pour avoir libéré le Mali.

C’est pour cela que le discours qui prend le contre pied de la libération nous pose problème parce que si nous ne sommes pas redevables à la France ni à qui que ce soit de nous libérer (et que la libération n’est même pas faite), cela veut dire que c’est l’inverse, c’est la France qui est redevable à l’endroit du Mali d’une nouvelle dette qui est la dette de la défense de ses intérêts au Sahel aujourd’hui. Nous, on a été piégé par un model de développement qui ne marche pas. On s’est appliqué.

Ça fait qu’aujourd’hui on a toute une armée de jeunes désœuvrés, désespérés qui ne n’ont pas le droit de venir voir par ici, ils attendent. Ces jeunes sont prêts à monter au front, qu’il s’agisse de prendre des embarcations de fortune, qu’il s’agisse de se faire recruter par les djihadistes. Ils sont là, par milliers. Ils ne croient personne. Et on s’étonne qu’ils se dirigent vers les Mosquées ! Donc moi je pense que ce débat doit contribuer à interpeller la France, qu’elle se pose les bonnes questions.

J’ai l’habitude de dire que nos pays sont de lointaines banlieues. La France est capable de voir ce qui se passe ici. Comment on fait en sorte que les gens se retrouvent dans des problèmes inexplicables. Le taux de chômage dans les banlieues aujourd’hui c’est pas 12%, c’est pas 20%, c’est 50 à 70%.

Dans nos grandes banlieues aussi c’est ça, mais depuis 30 ans. Mais Hollande préfère parler de notre libération alors qu’il devrait être interpelé par le taux de chômage là-bas aussi.
Boubacar Boris Diop : Le mimétisme économique commence avec le mimétisme culturel et encore une fois, entre la France et les élites de ses anciennes colonies. Il y a depuis l’époque coloniale un tête à tête fondateur c’est-à-dire, on a toujours été là, à tenir ensemble les populations africaines, à l’époque coloniale comme après les indépendances. Moi citoyen d’un pays comme le Sénégal, mon 1erpresident était un homme de culture, un poète, etc. J’ai bien vu ce que ça donne sur le plan culturel .

Tout ce qui se dit, qui se fait, ce fait autour de la francophonie, ce n’est pas du tout par hasard. Moi je ne me prononce pas sur l’économie parce que ce sont des questions que je ne maîtrise pas tout à fait mais en même temps quand on vient à la question de la culture…

Il se trouve que je suis écrivain et que j’écris en français et dans ma langue maternelle puisque je ne suis en guerre contre aucune langue et que je me bats pour la promotion de nos langues nationales, et qu’à l’université j’enseigne à la fois ma langue et la littérature wolof.

Finalement il faut repartir de zéro. J’entends 2, 3, 10 fois par semaine des intellectuels sénégalais me dire : mais enfin qu’est ce qui te prends de parler tout le temps de la langue wolof mais qu’est ce que tu as contre les français ? Ça c’est très important et après ça quand on contrôle les esprits, on contrôle l’espace politique. Et à partir de là, évidemment, l’économie.

Aliou Hasseye

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