Au cours une visite à Bamako, le maire de la Commune rurale de Sangha, Ali Dolo, nous a accordé une interview dans laquelle il aborde largement la situation sécuritaire au centre du pays. Candidat aux élections législatives prévues en octobre prochain, Ali Dolo, déclare également dans cet entretien que cette crise a provoqué le déplacement de quatre villages et de plus de 4500 personnes vers des localités plus sécurisées. Il souligne aussi que dans la Commune de Sangha, douze villages n’ont pas pu cultive cette année à cause de l’insécurité. Lisez plutôt l’interview !
Monsieur le maire, présentez-vous à nos lecteurs.
Je suis Ali Indogo Dolo, maire de la commune rurale de Sangha. Je suis à mon quatrième mandat en tant que conseiller communal et troisième en tant que maire.
Parlez-nous un peu de votre commune.
La commune de Sangha est située dans le cercle de Bandiagara à quarante-cinq kilomètres du chef-lieu du cercle (Bandiagara). Elle est composée de soixante-et-un villages majoritairement dogon. Le relief est reparti en trois niveaux : il y a la plaine, la falaise et le plateau. Sur le plateau, on a seize villages, trois sur la plaine et le reste de la commune se trouve sur la falaise.
Vous venez juste d’affirmer que cela fait trois mandats que vous êtes à la tête de la commune. Alors, quelles sont vos grandes réalisations en faveur des populations ?
D’abord quand je venais à la tête de la commune, il y avait des problèmes de cohésion sociale. Vers 1999, même l’administration centrale refusait d’aller à Sangha. J’ai donc piloté la commune pendant quatre années sans sous-préfet. Ma première mission était de mettre ensemble les femmes et les hommes de Sangha. Parce que l’avènement de la démocratie avait créé un conflit politico-culturel entre eux et il fallait d’abord résoudre ce problème.
Aujourd’hui dans le domaine scolaire, la commune de Sangha est bien nantie. Car, durant nos mandats, nous avons construit l’école de Koundou et celles de Banani, de Bandje et d’Intemeni.
Côté santé, le CSCOM de Yendouma a été construit, ainsi que celui de Kama qui est pratiquement devenu aujourd’hui un hôpital doté de matériels de chirurgie. Toutes ces réalisations ont été rendues possibles grâce à l’accompagnement de nos partenaires tels que Seydou Nantoumé que je salue au passage.
En plus de cela, des centres secondaires d’état-civil ont été créés dans plusieurs de nos villages de la commune de Sangha. Il s’agit des villages de Yendouma, Tereli et Kama. Les travaux de ceux des villages de Ibi et de Ireli sont en cours d’exécution.
Ma plus grande fierté est le lycée professionnel de Sangha. Parce qu’au Mali, moi dans mon analyse, on a beau penser à la littérature et aux études supérieures scientifiques, on ne peut pas se développer sans la technicité, sans les formations professionnelles. Ce qui m’a amené à créer ce lycée professionnel. Parce que ça me fait honte de voir les Chinois, les Togolais et les Sénégalais venir construire nos propres maisons. Pourtant nos grands-pères ont construit des maisons en banco qui ont résisté des centaines d’années durant. On se rappelle également que des Européens et des Asiatiques venaient s’imprégner de l’architecture dogon. Mais, dire qu’aujourd’hui les petits-fils de ces mêmes dogons n’arrivent pas à se construire des maisons sans faire appel aux étrangers, c’est une chose qui doit nous interpeller tous. C’est pourquoi, nous avons jugé nécessaire de créer ce Lycée professionnel de Sangha.
Construit avec l’appui d’un partenaire hollandais que je remercie aussi au passage, le lycée entame sa 3ème promotion cette année. La réalisation de ces travaux a coûté trois milliards de francs CFA dont 500 millions ont été pris en charge par notre frère Seydou Nantoumé. Les filières enseignées dans ce lycée sont la maçonnerie et la technique de taille des pierres. Nous n’avons pas d’or chez nous, mais nous avons la pierre et si nous la travaillons bien, elle peut nous être d’une grande utilité.
Aujourd’hui, si vous regardez les maisons des personnes aisées, on voit des marbres venus d’Italie et elles ne sont rien que des pierres taillées. Pourquoi ne pas faire ça chez nous?
De même au sein de cet établissement, on enseigne également l’électricité et les énergies renouvelables. Parce que nous nous disons qu’avoir de l’électricité aujourd’hui chez soi, ne doit plus être un luxe. Même au fin fond du Mali, le plus petit paysan a besoin de l’énergie pour charger son téléphone.
En plus on enseigne aussi l’hydraulique, la plomberie et le forage. Là aussi, vous savez que le problème du Mali, c’est la maîtrise de l’eau. Malgré la quantité de pluie qui tombe pendant l’hivernage, nous n’arrivons pas à en faire de l’eau potable. On a la terre, mais la seule chose qui nous manque, c’est l’eau. Connaissant le dogon, si l’on lui donne l’eau et la terre, je crois qu’il va s’en sortir. Voilà donc des filières choisies à notre image, en rapport avec nos besoins et ceux de la localité.
Monsieur le maire, qu’en est-il de la situation sécuritaire dans le centre en général et dans votre commune en particulier ?
Cette crise, c’est de la catastrophe. Vous savez, elle a commencé au même moment que celle du Nord en 2012. C’est la crise du nord qui a tué l’économie de la commune de Sangha qui recevait plus de cent milles touristes par an. Avec seulement 5% de terre cultivable, l’économie de la commune était essentiellement basée sur le tourisme. Pendant cette période de crise, il n’y avait plus de touristes et l’économie de la commune était restée morte. Voilà donc la première catastrophe que nous avons vécue.
C’est après cela que l’insécurité a gagné tout le terrain. Déclenchée au Nord, cette crise a d’abord touché le cercle de Douentza et celui de Koro. Tout de suite, j’ai mis dix maires autour de moi, pour essayer de voir ensemble la solution qu’il fallait rapidement envisager afin d’écarter le danger. Parce qu’il y a justement un cordon ombilical qui nous lie au cercle de Koro, à travers des populations dudit cercle qui sont originaires de la falaise de Sangha. Donc, j’ai organisé des rencontres intercommunautaires et faute de moyen, le mal a fini par arriver. Aujourd’hui dans la commune de Sangha, il y a quatre villages dogon et plus de 4500 d’autres dogon déplacés vers des localités plus sécurisées.
Ce qui est encore plus déplorable dans tout ça, c’est que cette année, douze villages n’ont pas pu cultiver à cause de l’insécurité. Or, dans notre milieu, pour tuer un dogon, l’on n’a pas besoin d’arme ou de poison. Il faut juste l’empêcher d’aller cultiver.
Pour tout résumer, je dirai que la crise est réelle. Chez nous au pays dogon, le pire est à craindre. Car, nous sommes menacés de famine. Les déplacés sont dans la détresse totale parce que les parents ne sont plus capables de les recevoir dans de bonnes conditions, le logement, la nourriture, tout est devenu un sérieux problème aujourd’hui. Quand j’ai lancé le cri d’alarme, y a eu quand même des personnes de bonne volonté, notamment des ONG et associations comme CARITAS, PAM ou encore l’association Dogon Vision, Les jeunes bâtisseurs de Sangha, le professeur Ali Tembely à titre personnel, Alone Sangha, Farcinde Dogon, VEA Sahel, Dogon initiative et Seydou Nantoumé, qui ont tous essayé d’atténuer l’urgence. Mais, il faut reconnaître que ces appuis ne peuvent pas couvrir le long terme. Donc je le répète, le pire est à craindre dans le pays dogon.
Parlons un peu de la politique. Ibrahim Boubacar Keita a été investi la semaine dernière par la Cour Suprême et l’opposition continue de réclamer la victoire.Quelle est votre lecture de la situation?
Chacun à sa lecture de cette situation. Dire que cette élection a été parfaite, ce serait trop dit. Un pays, ce sont d’abord des institutions. Mais pour moi, il faut être objectif. Les hommes passent, mais le pays reste. C’est maintenant devenu une histoire de deux personnes. Entre le mal et le pire, on préfère prendre le mal. De toutes les façons, l’élection a eu lieu, même si elle a fait l’objet de contestation. Cinq ans, ce n’est rien dans la vie d’une nation. Moi je préfère qu’on respecte les institutions et qu’on se patiente.
Cinq ans ce n’est rien. Mais, il y a quand même des défis à relever, alors quelles sont vos attentes de se nouveau mandat d’IBK?
Pour nous, la première priorité est la sécurisation de la région du centre. Il faut mettre définitivement fin à cette crise. Un homme qui n’est pas libre, c’est un homme à demi-mort. Actuellement le centre du Mali n’existe pas, il faut que cela finisse. Les gens font comme s’il y avait rien, alors qu’il y a eu un moment où l’on ne pouvait pas passer une journée sans qu’il y ait au moins dix morts. Il faut que cela s’arrête, car la vie humaine est sacrée.
Les élections législatives sont prévues en octobre prochain. Serez-vous candidat ?
Oui ! Je suis candidat et ce sera même ma troisième ou quatrième tentative. Je serai candidat aux législatives sous les couleurs d’APM Maliko en alliance avec d’autres partis qui seront prêts à aller avec nous. Je veux être candidat, parce qu’aujourd’hui, je viens de dire qu’on ne maîtrise plus le centre. Tout le monde parle de Bamako, mais nous avons un arbre qui n’a pas de racine et cet arbre risque de mourir. Aujourd’hui on parle de l’or, du coton, nous (dogons) nous n’avons ni or ni coton. Mais, nous avons notre culture. Donc, je veux défendre cette culture. Mon objectif est de lier la culture à l’éducation, lier la culture au développement. Nous sommes l’un des peuples qui ont su conserver jalousement leur culture et cela est très important.
Votre mot de la fin !
Mon mot de la fin est un appel adressé à nos deux peuples (dogons et peulhs) afin qu’ils se pardonnent et se donnent la main. Nous sommes tous pris en otage par ce conflit. Mais nous devons nous ressaisir, car il n’est jamais trop tard pour restaurer la paix et le vivre ensemble.
Amadou Basso