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Afrique du Sud: enquête pour corruption sur un projet de Bombardier

CBC a appris que la Médiatrice de la République d’Afrique du Sud, Thuli Madonsela, enquête pour savoir si des « pots-de-vin » ont été payés dans le cadre d’un projet de train de 3 milliards, un contrat accordé à un consortium dont Bombardier fait partie. Thuli Madonsela joue un rôle d’ombudsman en Afrique du Sud, où les médias la surnomment « Madame anticorruption ». Bombardier assure collaborer et nie toute malversation.

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Un texte de Timothy Sawa, Diana Swain et de Marie-Maude Denis

L’enquête de Thuli Madonsela tente de confirmer les articles de certains médias, qui ont rapporté que des commissions de plusieurs millions de dollars ont été payées dans le cadre du projet Gautrain. Un train rapide de 80 kilomètres qui relie Johannesbourg et Pretoria, et dont la construction s’est achevée en 2012.

Thuli Madonsela élargira aussi son enquête aux nouvelles révélations de nos collègues de la CBC. Ils ont interviewé Peter-Paul Ngwenya, qui soutient qu’une entente secrète a été négociée par Bombardier pour lui verser une commission de 5 millions de dollars américains. Un intermédiaire qui se décrit lui-même comme une personne influente dans les milieux politiques en Afrique du Sud.

« Il y a quelque chose de complètement disproportionné dans ce genre de paiement », dit Paul Hoffman, un avocat à l’Institute for Accountability in Southern Africa, une ONG qui milite pour plus d’imputabilité en Afrique.

« On ne distribue pas ce genre de commissions à des gens qui n’y ont pas droit. Cela réduit la rentabilité d’un projet et cela peut mener à des pots-de-vin et de la corruption. Cette entente semble empester cela. » — Paul Hoffman, avocat

En entrevue à CBC, Thuli Madonsela a déclaré qu’elle avait reçu une plainte qui jette un doute sur le remboursement de certains dépassements de coût. Elle examine maintenant l’ensemble du projet. « Il y a des allégations d’ingérence politique », dit-elle. « Lorsqu’il y a des allégations d’ingérence politique, nous enquêtons pour savoir s’il y a des gratifications suspectes, ce que vous appelez des pots-de-vin dans votre pays », a-t-elle précisé.

Bombardier a refusé la demande d’entrevue de CBC. Dans un courriel dans lequel l’entreprise affirme ne pas avoir été mise au courant de la tenue d’une enquête, Bombardier assure que « si nous sommes invités à participer à l’enquête de la Médiatrice de la République, nous offrirons notre entière collaboration ».

L’intermédiaire raconte sa version des faits

CBC a obtenu des documents qui démontreraient que Bombardier a conclu une entente secrète en 2010. Cette entente aurait eu pour effet d’accorder une commission de près de 5 millions de dollars à un intermédiaire basé en Afrique. Selon Ngwenya, ce contrat a été rédigé après qu’il eut menacé d’entacher la réputation de Bombardier en rendant publiques des informations compromettantes.

Pour la première fois, cet intermédiaire, Peter-Paul Ngwenya, a parlé en détail de cette entente à nos collègues de CBC. Il soutient que Bombardier lui doit plus de 6 millions de dollars pour son aide qui aurait, selon lui, mené à l’obtention du contrat de train. L’argent, dit-il, devait lui être versé par l’entremise d’un autre intermédiaire, l’homme d’affaires tunisien Youssef Zarrouk. Des médias sud-africains ont rapporté que Zarrouk a reçu une commission de 35 millions de dollars de Bombardier.

« C’est une entreprise de tricheurs. [Bombardier] est dirigée par des voyous, des croches, des gens qui n’honorent pas leurs promesses écrites. » — Peter-Paul Ngwenya, en entrevue avec la journaliste Diana Swain

Bombardier soutient ne rien devoir à Ngwenya

« Comme nous l’avons affirmé à plusieurs reprises, Bombardier n’a jamais eu d’entente pour les services de M. Ngwenya », a écrit la firme dans un courriel à la CBC. « Bombardier maintient que ses allégations sont non fondées et sans aucun mérite. »

CBC a obtenu des lettres de 2009 écrites par Ngwenya dans lesquelles il menace Bombardier et exige d’être payé. Il évoque l’entreprise britannique BAE Systems, qui a été éclaboussée après une transaction d’armes entachée de corruption, dans les années 90. Il prévient Bombardier que le scandale a éclaté parce que des engagements n’ont pas été tenus.

Ngwenya ajoute : « Nous ne voudrions pas être tenus responsables de quoi que ce soit qui ferait mal à la réputation de votre entreprise ou à ses projets futurs dans cette partie du monde ».

« Je leur ai dit de régler mon cas, parce que je ne vais pas rester passif », a relaté Peter-Paul Ngwenya, en entrevue à CBC. « Cette [entente] pourrait être interprétée d’une autre façon, c’est-à-dire que nous sommes aussi impliqués dans des activités semblables à ce dont BAE (Systems) a été accusée ».

Bombardier nie les allégations

Selon d’autres documents, Bombardier a d’abord balayé du revers de la main les menaces de Ngwenya, en les qualifiant de « fausses allégations ». L’entreprise n’avait aucune volonté de payer ou de donner suite à ses doléances. « Votre référence à BAE et vos menaces à l’égard de la réputation de Bombardier sont très offensantes et complètement sans mérite », a écrit Peter Albexon, le vice-président aux ventes et au développement des affaires chez Bombardier Transport.

« Bombardier a les plus hauts standards de comportement éthique au monde », ajoute-t-il. Le cadre de haut niveau de Bombardier écrit à Ngwenya qu’il « n’a aucun contrat de quelque nature que ce soit avec Bombardier ».

La directrice des communications de Bombardier Transport, Sandy Roth, a même été plus loin en affirmant « que personne chez Bombardier n’a même rencontré Ngwenya ». Elle a déclaré n’avoir « jamais eu de contrat avec lui » et ne « jamais avoir fait affaire avec lui ». « À notre connaissance, c’était [l’agent tunisien Youssef] Zarrouk qui l’a embauché. Nous n’avons jamais eu de contact direct avec lui, non. »

Or, un an après avoir menacé Bombardier de l’éclabousser, Peter Paul Ngwenya soutient qu’il a rencontré un vice-président de l’entreprise et Youssef Zarrouk dans un hôtel de Londres. CBC a obtenu une copie de l’entente secrète qui a alors été négociée.

Ce dernier document stipule que Bombardier n’a pas eu de contact direct avec Ngwenya pour le projet Gautrain, mais précise que « pour régler ce litige de façon expéditive », il est convenu de transférer une somme non dévoilée à son agent en Afrique du Nord, qui à son tour doit verser à Ngwenya 5,3 millions de dollars américains.

Le document contient une clause de confidentialité qui prévoit que l’entente « devra rester privée et confidentielle et ne devra sous aucune circonstance être dévoilée à quiconque ». Toutefois, dans une correspondance subséquente, Ngwenya dit qu’il n’a pas été payé.

« Bombardier n’a jamais accepté de payer quelque somme que ce soit à Mr Ngwenya », a écrit l’entreprise dans une déclaration à CBC. « L’entente à laquelle vous faites référence fait l’objet de procédures judiciaires en Afrique du Sud. Bombardier ne peut donc commenter davantage cette affaire. »

Drapeaux rouges

Les nouvelles révélations de CBC font suite à des articles publiés par le South Africa’s M&G Centre for Investigative Journalism en 2012. Les journalistes ont rapporté que Bombardier a embauché Youssef Zarrouk, un homme d’affaires tunisien controversé et promis de lui verser 35 millions de dollars si elle remportait le contrat pour le projet de train.

CBC a obtenu une version antérieure du contrat entre Bombardier et Zarrouk ainsi que le contrat entre Zarrouk et Ngwenya. Les deux documents font moins de 10 pages et contiennent peu de détails sur le travail qui doit être fait en échange des millions promis.

« C’est un drapeau rouge qui nous aurait interpellés », dit Peter Dent, un ancien enquêteur anticorruption à la Banque mondiale qui travaille maintenant chez Deloitte, à Toronto. Peter Dent explique qu’en général, une entreprise qui fait affaire avec un agent produit un document qui détaille très clairement ce que doit faire cet agent, pour se protéger de possibles allégations de corruption.

« C’est ce qu’on appelle le syndrome du dossier mince », ajoute-t-il. « Plus le dossier qui contient le contrat est mince, moins il y a de documentation, plus ce contrat est risqué. » Dans ce cas-ci, il n’y a pas de preuve que des pots-de-vin ont été payés, et toutes les personnes impliquées dans cette affaire le nient.

« C’est pratique courante dans plusieurs industries d’embaucher des représentants et agents dans des pays où les entreprises souhaitent faire affaire », a écrit Bombardier.

« Bombardier met en application un code de conduite strict, nous avons des mécanismes serrés de vérification internes et externes. Comme nous l’avions déjà affirmé, nous ne cautionnons pas les paiements pour obtenir des contrats. Ces pratiques sont complètement contre notre éthique et nous condamnons ce genre de comportement. » — Bombardier

Ngwenya dit aussi qu’il n’a jamais payé de pots-de-vin. Il soutient que « personne chez Bombardier ne lui a demandé de faire quoi que ce soit d’inapproprié », mais croit que ces « ententes et les millions de dollars qui changent de main semblent suspects ».

« Évidemment que je ne connais rien aux trains et que je ne suis pas ingénieur. Quelqu’un pourrait se dire que 7 millions, c’est beaucoup d’argent, et se demander ce que j’ai fait. […] Je suis qui je suis et en raison de mes relations, c’est facile de tirer la conclusion que l’argent, que cette affaire, l’argent que j’ai reçu, je m’en suis servi pour corrompre des gens. Personne chez Bombardier ne m’a demandé de faire quoi que ce soit d’inapproprié », affirme Peter-Paul Ngwenya.

 

Source: huffingtonpost.ca

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