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Une Normande, dont le père est aussi son grand-père, témoigne : « L’inceste est encore tabou »

Quand elle évoque son grand-père et père, Delphine, 40 ans, qui habite près de Rouen, l’appelle le «géniteur » ou « l’autre ». Pendant vingt-trois ans, elle a vécu avec sa mère et son grand-père, dans une commune de l’agglomération rouennaise sans savoir qu’il était en fait son père. « J’ai eu des doutes assez rapidement, mais j’étais dans le déni total […], c’était comme si je regardais un mauvais film », confie la jeune femme qui peine à se reconstruire et est à la recherche de son identité.

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« Pendant mon enfance, je sentais qu’il y avait quelque chose de bizarre : mon grand-père dormait dans la même chambre que ma mère… » Et de se remémorer : « Je lui avais posé la question à l’âge de six ou sept ans, et ma mère était tombée en crise de pleurs et de panique ; après je ne lui en ai plus jamais reparlé. » La jeune femme reste bloquée et se renferme sur elle-même.

« J’AI ÉTÉ ENDOCTRINÉE »

Début des années 70. La mère de Delphine, Marie*, a douze ans et demi quand son père abuse d’elle pour la première fois. Attouchements, agressions sexuelles, viols… Occasionnel au début, cela devient habituel, à raison de plusieurs fois par semaine. Selon elle, le calvaire durera pendant trente-sept années.

Au courant des relations incestueuses, la grand-mère maternelle de Delphine et le reste de la famille, oncles, tantes, frères et sœurs ne réagissent pas. En 1974, Delphine naît de cette union incestueuse. Sa mère n’a que dix-sept ans et demi. Quatre ans plus tard, une deuxième fille naît, handicapée moteur. Les grands-parents de Delphine divorcent, et sa toute jeune mère, 18 ans, est contrainte de rester avec ce père incestueux et « violent ». « Ensuite quand ma mère a commencé à travailler et a eu son logement, il nous a suivis, relate Delphine. Son excuse était de dire qu’il n’avait nulle part où aller. »

Pourquoi n’a-t-elle pas déposé plainte ? Pourquoi n’a-t-elle pas fui son bourreau ? « J’ai été endoctrinée, j’étais toute jeune et incapable de me défendre, témoigne la mère de Delphine, Marie, 57 ans. Ma croissance était restée celle d’une gamine de douze ans et demi ; je n’avais pas évolué. » En 2007, à l’âge de 49 ans, grâce à l’aide de son ancienne chef de service, elle réussit à faire partir son père de chez elle, et se libère de son emprise. Un an plus tard, elle dépose plainte. Son père est mis en examen pour viol, des faits qu’il est soupçonné d’avoir commis entre octobre 1998 et décembre 2007. Les autres faits plus anciens étant prescrits. La procédure judiciaire est toujours en cours dans le cabinet d’un juge d’instruction rouennais. Le grand-père, 81 ans aujourd’hui, a toujours contesté les faits qui lui sont reprochés.

ELLE VEUT CRÉER UNE ASSOCIATION

En 2009, suite à ce déballage judiciaire, Delphine apprend tout en détail et notamment que « mon oncle et ma tante maternels savaient des choses et qu’ils n’ont rien dit ». Depuis le dépôt de plainte, toute leur famille leur a tourné le dos. Sa mère, Marie, avec qui elle est très proche, « totalement libérée de l’emprise de son père », lui raconte tout. Elle a confirmation avec un test ADN que son grand-père et père ne font qu’un. Commence, pour elle, une période de dépression : tentatives de suicide, prise d’antidépresseurs… « Ma sœur de part son handicap a été prise en charge en institut durant toute son enfance jusqu’à l’âge adulte. À l’adolescence, l’équipe médicale lui a alors tout expliqué. »

S’estimant victime, la jeune femme souhaite obtenir réparation devant les juridictions civiles, et elle veut créer une association pour lutter contre l’inceste. « Il faut que cela cesse, l’inceste est encore malheureusement tabou dans beaucoup de familles, s’indigne-t-elle. Des enfants en sont encore victimes. » Elle souhaite aussi se battre pour les enfants comme elle et sa sœur, fruits de ces unions intrafamiliales. « Je m’en suis voulu de n’avoir rien fait pour sortir ma mère de là. Et les institutions, les gens qui savaient, n’ont rien fait. » Services sociaux, famille proche, voisins, médecins… Selon la jeune femme, tout le monde savait, personne n’a rien dit.

ÉLISE KERGAL

e.kergal@presse-normande.com

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