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Véhicules non dédouanés : Le passe-droit de privilégiés

Porteurs d’uniformes, élus, célébrités de la musique, des sports et de la presse, hauts fonctionnaires… nombre de nos compatriotes s’arrogent le droit de circuler dans des véhicules qui n’ont pas fait l’objet d’une procédure de mise en consommation. Gare aux policiers ou aux douaniers qui osent les interpeller.

 

Béret posé sur le tableau de bord, siège avant ostensiblement recouvert par un uniforme dont les pattes d’épaulettes exhibent deux bandes verticales (indiquant le grade de lieutenant du porteur), Oumar (ce n’est pas son vrai nom) garer son véhicule non immatriculé devant une salle de gym de la capitale. Les indices ont été mis en évidence par lui dans la voiture pour dissuader les agents chargés de la circulation de le siffler, même si son automobile n’affiche comme immatriculation que les quatre premiers chiffres du numéro de châssis.

 

Oumar est loin d’être le seul porteur d’uniforme à se comporter ainsi. Parmi ceux, qui servent sous le drapeau, beaucoup utilisent ce passe-droit. Notre officier circule en toute tranquillité à bord de sa voiture japonaise qui n’empruntera, certainement, jamais la route menant à l’Office national des transports (ONT) du Mali, ni celle des impôts. Notre homme n’envisage pas une régularisation qui concernerait la pose d’une plaque d’immatriculation ou l’acquisition d’une vignette.

 

Il serait cependant injuste de jeter la pierre au seul jeune officier. Dans les rues de la capitale et des grandes villes de l’intérieur, cet incivisme permanent des propriétaires de véhicules non dédouanés se retrouve même chez des magistrats, des élus et… des journalistes. Comme en témoigne cet épisode survenu près du stade Mamadou Konaté : un reporter d’un journal de la place, sifflé par un policier, alors qu’il téléphonait au volant, a essayé d’intimider l’agent en exhibant sa carte de presse. La manœuvre a été payante.

 

L’incivisme se banaliserait-il dans le pays ? s’interrogent de nombreux compatriotes. En tout cas dans la circulation urbaine, le mal s’enracine. La police et la douane sont débordées. Comme en témoigne, sous le couvert de l’anonymat, cet agent de la Compagnie de circulation routière (CCR). « Le pire est que ces personnes laissent leurs femmes et leurs enfants adopter le même comportement. Le comble est que quand on essaye de saisir le véhicule, lors des contrôles, ces gens ne se gênent pas pour nous faire remarquer qu’ils sont en position d’autorité. Ils nous demandent si nous n’avons pas prêté attention à leur macaron. Et si nous nous entêtons à faire notre travail, ils appellent la hiérarchie. Du coup, le chasseur devient le chassé.”,  nous fait-il savoir.

 

PERTES DE RECETTES – A la direction nationale des douanes, à la Compagnie de circulation routière, comme à l’ON), on sent percer une inquiétante résignation, malgré de nombreux véhicules saisis. Ce paradoxe se constate au guichet unique de dédouanement des véhicules à Bamako. Ici, la cour est encombrée par des véhicules non dédouanés qui affichent seulement CH. suivi d’un numéro comme toute immatriculation. ¨Parmi leurs propriétaires, on compte un fort pourcentage de douaniers, de policiers, de gendarmes et d’élus », indique un officier des douanes. Il assure : « Aucune de ces voitures ne sortira d’ici sans une régularisation totale ». Mais d’aussi bonnes prises, les douaniers en réussissent en y laissant souvent des plumes. « L’une des difficultés de ce travail, souligne notre interlocuteur, est la saisie de véhicules de porteurs d’uniforme qui se croient, vraiment, au-dessus de la loi ». « Une fois, un colonel de la police a foncé sur un agent des douanes quand ce dernier a tenté de lui retirer la clef de la voiture. Nous étions tous stupéfaits devant le comportement violent de cet officier. Malheureusement, des situations pareilles ne sont pas rares sur le terrain.” déplore-t-il.

 

Un autre douanier, qui assiste à notre échange, rapporte que sa voisine de quartier est une porteuse d’uniforme qui circule, depuis belle lurette, dans un véhicule non dédouané. Il s’est aventuré, un jour, à lui demander pourquoi elle ne se mettait pas en règle. La dame a paru étonnée par la question et elle lui aurait, tout simplement, rétorqué à quoi lui servirait son uniforme, si elle doit rouler en ville comme le citoyen lambda !

 

Pour le chef du Guichet unique de dédouanement des véhicules à Bamako, le lieutenant-colonel Baye Ag Assoni, il y a des propriétaires de véhicules qui roulent sous CH, après avoir bouclé les procédures de dédouanement et obtenu une carte grise temporaire. Ceux-là n’attendent que leur plaque d’immatriculation. Il pointe du doigt les CH qui n’ont pas fait l’objet de mise en consommation et n’ont, donc, pas le sésame que constitue la carte temporaire.

 

Cette dernière catégorie représente un vrai danger, car ces véhicules roulent sans aucun signe d’identification. Pour lutter contre une tendance qui représente un manque à gagner de plusieurs centaines de millions pour l’Etat, douanes et police organisent des patrouilles bihebdomadaires.

 

« Les propriétaires de véhicules saisis lors de ces opérations sont sommés de se mettre en règle et sont astreints au paiement d’une amende. Ce sont, souvent, des personnalités bien connues. Mais les douaniers se montrent intraitables lors des opérations de saisies », précise le chef du guichet unique. « La loi est la même pour tout le monde. Il n’y a pas de raison que les hommes servant sous le drapeau, les élus ou même les hauts responsables ne se mettent pas en règle », souligne-t-il.

 

AVANTAGES FISCAUX – Pour cet agent de la CCR que nous avons rencontré, l’Etat doit accompagner l’effort d’intransigeance des policiers et dissuader ceux qui veulent s’attribuer un statut particulier. « Prenons le Sénégal voisin comme exemple, poursuit-il, on n’y voit pas de véhicules CH en circulation, parce que l’Etat a fait ce qu’il faut.” Le jeune agent ne peut, cependant, pas s’empêcher de prêcher pour sa propre chapelle pour regretter ce qu’il estime être le montant exorbitant des frais de dédouanement. Il croit, aussi, savoir que l’exonération consentie par l’Etat aux porteurs d’uniforme suit un processus long et compliqué.

 

Au ministère de l’Economie et des Finances, ces arguments sont battus en brèche par le conseiller technique Modibo Maïga. Selon lui, une loi votée en 2017 stipule qu’aucune exonération n’est accordée si elle n’est pas donnée sur la base d’une loi mais il se trouve que les porteurs d’uniforme que ce soit la police, la douane, la gendarmerie les forces armées et de sécurité ont été dispensées par cette loi sur la base d’un décret pris en Conseil des ministres.

 

« Une dérogation a été accordée aux diplomates qui rentrent de mission et aux députés. Ces derniers ont droit à une exonération par législature (celle-ci dure cinq ans). Mais pour les porteurs d’uniforme et les diplomates rentrés de mission, l’exonération est partielle (soit 50% du montant dû) alors que pour les députés, elle est totale. Mais les bénéficiaires doivent tout de même s’acquitter des 2,5% de prélèvements communautaires qui alimentent le budget de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), du prélèvement communautaire de solidarité qui alimente le budget de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la redevance statistique qui alimente le budget de l’Etat du Mali.

 

La procédure mise en place ne souffre, donc, d’aucune ambiguïté. Pour être dispensé du paiement des droits et taxes dont peuvent être exemptés les porteurs d’uniforme, ceux-ci doivent, obligatoirement, adresser au ministère de l’Economie et des Finances une lettre sollicitant l’exonération. Mais dans la réalité, dès qu’ils ont reçu une réponse positive de l’Hôtel des finances, beaucoup de demandeurs ne vont pas plus loin. Or, il y a un dossier à constituer avec, notamment, une attestation d’importation à prendre au niveau de la Direction générale du commerce et de la concurrence, sans oublier des formalités et les droits dont il faut s’acquitter à la douane. Le terminus de tout ce parcours, c’est l’Office national des transports où se délivre la carte grise, comportant le numéro d’immatriculation.

 

« C’est ça le processus normal », insiste Modibo Maïga, ajoutant que la lettre du département des Finances permet, seulement, de déclencher le processus. « Celui qui l’obtient doit, ensuite, valider un titre qui lui a été donné par le ministère. Partez dans n’importe quel pays de la sous-région, vous ne verrez jamais des CH dans la circulation. Ici, je constate que même des artistes et diverses célébrités font graver leur nom sur les plaques d’immatriculation, comme si leur réputation leur servait de passe-droit. Alors que le procédé auquel ils recourent est absolument contraire à la loi.”, dit M. Maiga.

 

Pour le chef de la CCR, Adama Coulibaly, le fait de circuler en CH aggrave les facteurs d’insécurité. En cas de problème, ces conducteurs ne disposent d’aucun document qui puisse permettre de gérer les dégâts qu’ils auront causés. Dans ce genre de situation, la police n’a d’autre choix que d’intervenir, rapidement, pour mettre la main sur les auteurs des infractions. Sinon, ceux-ci pourraient s’évanouir dans la nature et abandonner leurs victimes à leur triste sort.

MS/MD

(AMAP)

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