Parfois le lieu, les gens et l’instant communient dans d’étranges coïncidences. En ce 16 septembre, Bamako rend hommage au général Moussa Traoré. Le vieux satrape aux vingt-deux ans de dictature (1968-1991), condamné à mort après avoir été emporté par la tempête démocratique du début des années 1990, puis finalement gracié, est décédé un jour plus tôt.

Il est mort dans son lit, assez tard pour partir entouré d’une certaine bienveillance et avec les honneurs de funérailles nationales. Les années avaient fait de lui un « sage » de la nation. Par respect dû au mort, chagrin sincère ou opportunisme, chacun est venu présenter ses condoléances à la famille de ce soldat qui élimina toute forme d’opposition. De rares voix ont rappelé les années de répression et les acquis démocratiques.

Au même moment, au pied de la falaise de Koulouba, juste en dessous du palais présidentiel abandonné à peine un mois plus tôt par Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », une photo vieille de quatre ans jaunit dans la modeste maison de Kadiatou Konaté. C’est celle d’Ibrahima, son mari, un adjudant de gendarmerie, tombé au front sans que le moindre honneur ne lui soit rendu.

« Il travaillait dans le Nord. Je ne sais pas où car il bougeait tout le temps. Cela faisait cinq mois qu’il était parti. Il a reçu une balle. Il a été gravement blessé et est mort à l’hôpital. J’ai appris que ce sont les djihadistes qui l’ont tué. Ce jour-là, il y a eu quatre morts. Le lendemain, trois autres. » La voilà veuve à 36 ans d’un soldat à la sépulture inconnue. Mère de trois enfants de 17, 9 et 7 ans. Chargée de sa mère. Et avec une pension de 100 000 francs CFA par mois (quelque 150 euros) pour tout payer.

Des pertes militaires terrifiantes

Doux visage rond cerclé d’un foulard doré, Kadiatou Konaté partage son malheur avec d’autres sœurs d’infortune, rencontrées au sein de l’Association des veuves de militaires tombés au champ d’honneur. Des femmes comme Ina Ndiaye, dont l’époux, Cheick Diabaté, a disparu il y a cinq ans.

« C’était un béret vert. Il était adjudant-chef. Il est mort en patrouille près de Douentza. Leur véhicule a sauté sur une mine. Les trois à l’intérieur sont morts. Il a été enterré là-bas dans une fosse commune. Après sa mort, la famille de mon mari m’a chassée de la maison avec mes trois enfants. En dehors de la pension inférieure à 100 000 francs, mes enfants ne reçoivent rien comme pupilles de la nation. C’est moi seule qui me débrouille pour leur éducation », précise-t-elle.