Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Soumeylou et Fily en prison : une justice sévère ou instrumentalisée ?

Depuis le 26 août 2021, l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga médite sur son sort à la Maison centrale d’Arrêt de Bamako. Tout comme l’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko, qui se trouve à la prison pour femmes de Bollé. Ils sont incriminés dans l’affaire dite « Achat de l’avion présidentiel et d’équipements militaires ». Cette détention provisoire était-elle la décision ultime de la Chambre d’accusation de la Cour suprême qui a désormais pris l’affaire en main après qu’elle a été classée par le procureur du Pôle économique et financier, Mamoudou Kassogué, actuellement ministre de la Justice ?

 

Les choses sont allées vites, et même très vite. Oui, personne n’ignore que le nom de l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, était cité dans cette affaire d’achat de l’avion présidentiel et d’équipements militaires tout comme d’autres personnes, à savoir : l’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko (également en prison), l’ancien secrétaire général de la présidence de la République, Moustapha Ben Barka, l’ancien conseiller spécial à la présidence de la République, Sidy Mohamed Kagnassy et l’ancien directeur de cabinet du président de la République, Mahamadou Camara. Mais, l’on ne s’attendait pas à voir aussi vite Soumeylou Boubèye Maïga et Mme Bouaré Fily Sissoko en prison tout d’un coup

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette décision judiciaire n’est pas du tout fortuite. Le flash spécial de l’ORTM dans la nuit du 24 au 25 août 2021 relatif à la déclaration de Mamoudou Timbo, procureur général près la Cour suprême n’avait-il pas pour objectif de préparer l’opinion nationale et internationale à cette décision qui a surpris quasiment tout le monde ? Il fallait juste analyser un peu les propos du procureur général pour comprendre ce qui se dessinait.  Au cours de sa déclaration, Mamoudou Timbo a précisé : « Si on reste comme ça, non seulement l’opinion publique ne comprendra pas cette attitude d’attentisme de notre part, mais encore les faits seront prescrits au bout de dix ans.»

Certes, nul n’est au-dessus de la lois, mais il est clair que le Code de procédure pénale (Loi n°92-020 du 23 septembre 1992) nous renseigne dans son Paragraphe 2 sur la détention provisoire, Art.123 : «En matière correctionnelle, si la sanction encourue comporte une peine d’emprisonnement la détention provisoire peut être ordonnée : lorsque la détention provisoire de l’inculpé est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices ; lorsque cette détention est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction ou pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction, pour prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l’inculpé à la disposition de la justice ; lorsque l’inculpé se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. »

Sans être avocat du diable, aucune des personnes citées dans cette affaire n’enfreint cet article 123 du Code de procédure pénale au point d’être placée directement en détention provisoire. La preuve est que depuis la publication du rapport du Bureau du Vérificateur général en octobre 2014 qui a relevé le détournement de deniers publics sur fond d’opérations frauduleuses pour un montant de 9 350 120 750F CFA et de surfacturation par faux et usage de faux pour un montant de 29 311 069 068F CFA, la chambre d’accusation n’a jamais fait une déclaration faisant cas de tentative de fuite, de destruction de preuve ou alors de menace sur les présumés ou contre un témoin.

Le cas de Soumeylou, un règlement politique ?

Depuis l’annonce de la détention de celui à qui l’on a collé le sobriquet de ‘’Tigre’’ en personne, Soumeylou Boubèye Maïga, ses partisans ont commencé à crier à un règlement politique. Vrai ou faux ? En tout cas le procureur Mamoudou Timbo, n’a, pour l’instant, pas rendu publique une déclaration sur l’avancée des enquêtes. Au même moment, sa formation politique l’Alliance pour la Solidarité au Mali (ASMA) dénonce dans un communiqué un acharnement contre son camarade président. «Cette tournure est, avec la réouverture décidée par le passé par le ministre de la Justice de l’époque, l’aboutissement d’un acharnement », peut-on lire dans ledit communiqué.

Dans le même document, l’ASMA «condamne énergiquement ledit acharnement ainsi que les vices graves de procédure qui confèrent au dossier une connotation purement et uniquement politique ; condamne à cet égard toute manipulation de la justice à des fins politiques ; réaffirme toujours sa confiance en l’Etat de droit fondé sur la loi et la présomption d’innocence ainsi qu’en la justice ; engage les autorités, et tous, au respect de la loi et du droit et à ne pas faire de la justice un instrument de règlement de comptes personnels et politiques et demande enfin aux militants de garder leur sérénité, de rester mobilisés et d’attendre les mots d’ordre de la direction du parti. »

C’est quoi la suite ?

Puisqu’aucune juridiction nationale n’a actuellement la compétence de les juger à cause de leurs statuts et parce que la Haute Cour de la Justice a été officiellement créée, mise en place et qui a récupéré toutes ses prérogatives, mais qui se trouve vidée de ses membres légaux, que faudrait-il faire ? Faudrait-il les garder en prison jusqu’à la nomination des nouveaux membres de la Haute Cour de la Justice ? Ou alors faudrait-il passer par la jurisprudence pour les juger ? Aujourd’hui, seule la Chambre d’accusation de la Cour suprême peut répondre à ces différentes questions. Seulement, l’on sait que le remembrement de la Haute Cour de la Justice  n’est possible qu’après l’élection des nouveaux députés.

A la lumière de ces réalités, l’on a l’impression qu’il y a une main politique derrière cette décision de Mamoudou Timbo, procureur général près la Cour suprême. Mieux, l’Association des procureurs du Mali voit dans cette détention une instrumentalisation de la justice malienne. Ainsi, dans un communiqué signé le 26 août 2021 par son président Cheick Mohamed Chérif Koné, l’association malienne des procureurs et poursuivants et la référence syndicale des magistrats « expriment leur inquiétude et se désolent de voir les premiers responsables de la cour suprême, donner à l’institution judiciaire, l’allure d’un organe instrumentalisé, pour fausser les règles du jeu démocratique, en prévision des prochaines compétitions électorales, notamment la présidentielle. »

Dans le même document, l’on peut lire : « En l’état de notre droit positif, soutiennent que s’agissant de l’instruction des dossiers impliquant  des personnalités justiciables de la  Haute Cour de Justice, la saisine de la commission d’instruction de la Cour suprême par le procureur général près ladite cour, est sans base juridique en l’absence de tout acte de mise en accusation émanant de  l’Assemblée nationale, formalité substantielle et le préalable à toute intervention du parquet de la Cour suprême, pour la mise en mouvement de l’action publique ; qu’en conséquence, dans le cas d’espèce,  aucune considération politique, ou un  quelconque argument tiré d’une jurisprudence anachronique d’ailleurs imaginaire, ne saurait justifier une violation aussi grave  des règles procédurales établies en la matière, par la plus haute institution judiciaire du pays dont des militants de l’AMPP et de la REFSYMA sont également membres à part entière, mais dont les avis n’ont pas été recueillis dans la prise d’une décision aussi hautement juridique que sérieuse engageant la responsabilité de tous ;  relèvent que cette auto saisine irrégulière  par la Cour suprême  non prévue par aucune disposition de la Charte de Transition,  pour connaître des dossiers sus spécifiés, est contraire à la Constitution  et aux lois de la République en ce qu’elle viole  la  loi portant organisation judiciaire, tout en desservant la Justice, l’Etat de droit et la Démocratie.»

En attendant de voir plus clair dans les choses, Soumeylou Boubèye Maïga et Mme Bouaré Fily Sissoko ne peuvent que prendre leur mal en patience. Aussi, sont-ils certainement en train de méditer sur leur sort avant le jour du verdict dont on ignore encore la date.

Ousmane BALLO

Source : Ziré

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance