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Ségou : Les temps sont durs pour les tisserands

Les tissus importés et la friperie ont ravi la vedette à l’étoffe tissée. La fermeture de la COMATEX-SA et des frontières avec le Burkina Faso ont achevé de plomber l’activité de ces valeureux tisserands qui perpétuent une tradition millénaire

 

Quatrième région administrative du Mali, Ségou peut se targuer d’être une plaque tournante de la production du textile. Avec ses multiples organisations et centres qui promeuvent le tissu traditionnel, la Cité des Balanzans séduit et émerveille encore bon nombre de visiteurs et férus des produits «made in Mali». Le Village artisanal de Ségou est un joyau architectural et un centre dédié à la filature, la teinture, la coupe, la couture…

Dans ce temple de la créativité, les tisserands perpétuent un savoir-faire millénaire. Ici, des hommes et des femmes accomplissent un travail d’orfèvre. Ils tissent des fils pour en faire des étoffes de qualité destinées à l’habillement, mais aussi des couvertures, des rideaux, des serviettes, de splendides boubous niaga et saran, du pagne rayé (koba) et des supports bogolan.

Par un matin un peu frisquet, nous rencontrons Yacouba Diarra, au Village artisanal de Ségou. Marié et père de 5 enfants, ce tisserand a fait ses premières armes au Burkina Faso avant de retourner au bercail. Depuis que la Compagnie malienne des textiles (COMATEX-SA) a mis la clé sous la porte le 3 août, la pénurie de fils à tisser est devenue une préoccupation majeure pour Yacouba Diarra et l’ensemble des tisserands de Ségou. La voix de notre interlocuteur trahit une certaine forme de morosité. «Nous n’avons pas de fils à tisser.

L’activité est presque à l’arrêt à cause du manque de cette matière première», explique le tisserand. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil à l’atelier de tissage. Ici, des métiers à tisser qui, pour la plupart tournaient à plein régime et produisaient des crissements stridents, ont cédé rapidement la place à un silence de cathédrale. Selon Yacouba Diarra, l’embargo de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) a sonné le glas dans ce secteur.

En effet, la cargaison contenant des fils à tisser en provenance du Burkina Faso, n’a pas pu être acheminée à Ségou, à cause du blocus imposé à notre pays. Pour les acteurs du secteur, c’était l’unique planche de salut pour reprendre le travail. Aujourd’hui, le quotidien des tisserands s’avère moins romantique.

L’heure est à la déprime et l’activité est plombée par l’atmosphère ambiante. Mais, fait remarquer notre interlocuteur, les difficultés rencontrées par les artisans ne datent pas d’aujourd’hui. Yacouba Diarra déplore l’attrait de nos concitoyens pour les produits importés au détriment des produits locaux. Il s’avère nécessaire, selon lui, que les autorités donnent l’exemple. Pour cela, elles doivent être animées de cette fibre patriotique en adoptant une approche globale de promotion de nos étoffes locales.

Le tisserand rappelle qu’en 2005, le président de l’assemblée régionale de Ségou avait exigé que tous les maires de la région s’habillent en pagne tissé. «En ce temps-là, le marché était florissant», se souvient-il. à quelques encablures de là, dans une autre salle, installé sur la banquette du métier à tisser, Ibrahim Konaté ainsi que deux autres tisserands reproduisent les gestes anciens de nos ancêtres. Les cliquetis de la navette forment une musique qui retentit longuement dans l’atmosphère.

Ces vacarmes ne semblaient pas déranger Oumou Diallo et Mariam Diarra. Assises à califourchon, les deux femmes enroulaient des fils de chaîne sur plusieurs bobines avec beaucoup d’entrain. Ibrahim Konaté confesse que ce travail lui procure une grande satisfaction et lui permet de subvenir à ses besoins. La barbe grisonnante et une casquette vissée sur la tête, le formateur en tissage, Séga Diallo déplore la cherté du fil à tisser vendu à l’usine COMATEX.

Il fait remarquer qu’un paquet de fils à tisser de 900 g à l’état naturel coûte 3.000 Fcfa. «Pour faire une chemise, il faut au moins débourser 2.000 Fcfa pour l’achat de fils. Sans compter la main d’œuvre du tisserand, dont le travail titanesque met le corps à rude épreuve. C’est ce qui explique le coût élevé du tissu traditionnel», précisera Séga Diallo. Des années 90 à nos jours, renchérira-t-il, le tissu niaga a toujours été prisé par la clientèle pour ses motifs d’ondulation.

«Généralement, on le met dans le trousseau de mariage. La mère de la mariée achète ce grand boubou vendu à 13.500 Fcfa pour l’offrir à son gendre. Le prix minimum du pagne tissé mesurant 2m de longueur et 1m20 de largeur est de 3.500 Fcfa, selon le motif», a-t-il fait savoir. De nombreux jeunes ont tendance à bouder le métier de tisserand. Le formateur en tissage précise que même en dernier ressort, cette frange de la population préfère se tourner vers les métiers de la métallurgie et de la mécanique.

Le tissu traditionnel est destiné aux fervents admirateurs de produits locaux. Selon Soumaïla Sanogo, président de la Conférence régionale des chambres de métiers de Ségou, cette clientèle se fait un peu plus rare. Aujourd’hui, le pagne tissé subit une concurrence féroce. Les pagnes importés et le prêt-à-porter ont colonisé les rayons des magasins et étals de nos marchés. On assiste aussi à une arrivée massive de la friperie. Pour Soumaïla Sanogo, cette dernière constitue un handicap au développement de l’artisanat du textile.

D’abord, elle détourne les consommateurs des tissus produits par nos valeureux artisans. Ensuite, les carnets de commandes de nos tailleurs s’amenuisent, étant donné que ces vieux habits ne nécessitent aucune réparation. «On ne cesse de décrier, mais nous ne parvenons pas à résoudre cette problématique», déplore Soumaïla Sanogo. Il est clair que la consommation des produits locaux contribue au développement de l’économie nationale. Or, sur ce point essentiel, notre pays enregistre un retard coupable.

Pour que le Mali puisse boxer dans la catégorie des géants du textile, le président de la Conférence régionale des chambres de métiers de Ségou suggère l’augmentation de la capacité de transformation du coton et l’instauration du port du tissu traditionnel dans l’administration. La forte volonté politique pourrait être une bouée de sauvetage pour les acteurs du secteur de l’artisanat.

Mamadou SY
Amap-Ségou

Source : L’ESSOR

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