Président de la transition depuis septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a fait beaucoup de promesses aux Burkinabè. Mis à part un alignement politique sur son voisin malien, le plus jeune chef d’État au monde n’a rien prouvé. Bien au contraire.
Allez, commençons par une bonne nouvelle. Le 12 juin dernier, le gouvernement a annoncé un programme d’entrepreneuriat communautaire destiné à créer des entreprises locales dans les domaines des mines, de l’agriculture ou de l’industrie. Le gouvernement de transition espère lever 300 milliards de francs CFA (environ 490 millions de dollars).
« Il s’agit de promouvoir la création d’entreprises communautaires dont le seul promoteur est le peuple burkinabè, avance Dr Aboubakar Nacanabo, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Prospective. Nous croyons fermement que cette approche axée sur l’actionnariat communautaire est une alternative efficace pour relever les défis économiques, sociaux, et politiques auxquels nous sommes confrontés. » Si louable soit-elle, cette initiative n’est que l’arbre qui cache le désert. Car aujourd’hui, « la patrie des hommes intègres » aurait besoin d’une politique beaucoup plus dynamique.
Le défi économique : peut mieux faire
Si vous le voulez bien, écartons aussi bien la propagande occidentale que la propagande des médias inféodés au pouvoir du capitaine Traoré. Regardons les choses en face : la situation économique au Faso est calamiteuse, et rien ne permet de dire que la politique conduite par le tombeur du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba – lors du coup d’État de septembre 2022 – portera ses fruits.
Il faut dire que le pays part de très bas : « Le Burkina Faso est un pays du Sahel à faible revenu et aux ressources naturelles limitées, avance la Banque mondiale. Son économie repose sur l’agriculture, même si les exportations aurifères progressent. Plus de 40% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. Le rapport 2021-2022 de l’IDH du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), révèle que le Burkina Faso a été classé 184e sur 191 pays. »
Autant dire que les défis sont immenses.
Les médias proches du pouvoir, évidemment, assurent que les lendemains meilleurs sont pour bientôt. Le gouvernement serait même optimiste ! Selon le conseil des ministres, « les perspectives de croissance restent favorables sur la période 2023-2026, sous les hypothèses d’une accalmie des tensions géopolitiques au niveau international – notamment, la crise russo-ukrainienne –, d’une amélioration de la situation sécuritaire nationale, d’un climat sociopolitique apaisé et d’une pluviométrie favorable sur la période de projection. L’activité économique connaîtrait donc une croissance de 5,8% en 2023, 4,6% en 2024, 5,2% en 2025 et 4,7% en 2026 ».
Difficile de prendre ces prédictions au sérieux : il n’y a malheureusement aucune raison d’entrevoir une accalmie des tensions géopolitiques – ni dans la région ni en Ukraine –, aucune raison de croire au retour de la sécurité ou de la démocratie, aucune certitude sur les pluies susceptibles d’assurer une production agricole abondante dans les trois années à venir.
Le défi sécuritaire : promesses non tenues
Passons au dossier suivant. La sécurité avant tout, avait promis Ibrahim Traoré en septembre dernier. Mais aujourd’hui, le gouvernement et les forces armées ne contrôlent même pas deux tiers du territoire. Le Premier ministre Apollinaire Joachimson Kyelem de Tambèla a beau faire des promesses en annonçant le recrutement de 6000 nouveaux soldats et la mise en place de partenariats stratégiques avec la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie et le Venezuela, le compte n’y est pas pour nos frères burkinabè.
Depuis mars, la situation sécuritaire est toujours aussi déplorable, les attaques se suivent et se ressemblent. Le mois de mai a été particulièrement meurtrier, le mois de juin suit la même tendance comme en témoignent deux nouvelles attaques de jihadistes début juin à Sawenga (province du Boulgou, région du Centre-est), causant la mort de 14 civils et de 4 militaires, et à Yendéré (sud-ouest) qui a causé la mort de 2 civils et d’un policier.
Dans le sud, les populations ont peur et passent la frontière pour se réfugier en Côte d’Ivoire. À en croire le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), près de 20000 Burkinabè seraient dans ce cas, soit deux fois plus qu’en 2022. La situation des réfugiés se serait même largement dégradée, selon la Fédération burkinabè pour la défense des droits humains (FBDDH), avec plus de 2 millions de déplacés en interne à la fin mars. Mais de cela, les médias proches de Traoré ne parlent pas.
Pire – comme au Mali avec l’implication de moins en moins contestable malgré les dénégations officielles, des FAMa et des miliciens russes de Wagner dans le massacre de Moura en mars 2022 –, les forces armées du capitaine Traoré sont régulièrement pointées du doigt dans des cas d’exactions contre des civils. Dernier exemple en date : le massacre de Karma, fin avril. « Ce massacre constitue un énième exemple de la violence contre les civils dans le cadre du conflit au Burkina Faso, déplore Samira Daoud, directrice du Bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Après les meurtres à Nouna le 30 décembre dernier et ceux commis lors de l’attaque du site de personnes déplacées de la Ferme à Ouahigouya, le 13 février, la responsabilité de l’armée est une nouvelle fois avérée dans cette attaque et ces meurtres qui visaient délibérément des civils. Ces attaques à l’encontre des populations civiles doivent immédiatement cesser. »
Sur ce point, le Burkina et le Mali se serrent les coudes, Ouagadougou ayant apporté son soutien à Bamako face à des accusations similaires. Vu son ampleur, le massacre de Karma pourrait même être qualifié de « crime de guerre » par la justice internationale. Peut-être que les hommes forts du Burkina n’ont cure du droit international, mais c’est un fait.
Le défi démocratique : zéro pointé
Alors qu’il semblait initialement se démarquer de lui sur ce point, Ibrahim Traoré a finalement choisi de marcher dans les traces d’Assimi Goïta à Bamako, en optant pour le rapport de force en politique intérieure. Comme au Mali donc, l’opposition politique n’a désormais plus voix au chapitre, et on ne peut que le regretter.
Premièrement, les élections sont remises sans cesse à une date ultérieure. La raison officielle, on le comprend aisément, reste la sécurité : « Si on organise des élections actuellement, alors qu’une partie du territoire est inaccessible, on va dire que celui qui sera élu est mal élu, explique le Premier ministre. Pour que les élections soient acceptées, il faut qu’au moins l’essentiel du pays puisse participer. » Autant dire que plus le chaos perdurera, plus la junte militaire restera longtemps au pouvoir. De là à conclure que l’absence de progrès durable au plan sécuritaire., il y a un pas que nous ne franchirons pas… mais on peut au moins se poser la question…
Ensuite, qui dit élections sous-entend naïvement « possibilité d’une alternative politique ». Comme c’est censé être le cas en démocratie. Mais ici comme au Mali, les hommes forts du pays ont réduit au silence les voix dissonantes et limité la liberté de la presse. La séparation des pouvoirs n’existe plus, la justice semble avoir été mise au pas. En témoigne, le 2 juin dernier, la mise sous scellée, pour raison fiscale, du journal L’Evènement, empêchant par là-même ses journalistes de travailler et d’informer l’opinion publique burkinabè sur ce qui se passe réellement dans le pays.
« L’instrumentalisation du fisc et des services publics en général pour faire taire les voix discordantes ou pour mettre au pas les empêcheurs de tourner en rond est une entreprise dangereuse et contre productive dont il faut se départir », a immédiatement dénoncé la Société des éditeurs de la presse privée (SEP).
Non, contrairement à ses belles promesses autour du « bien commun », Ibrahim Traoré n’a pas restauré l’État de droit et la démocratie dans son pays. Encore moins la liberté de la presse et la sécurité. Il n’est pas encore trop tard pour faire machine arrière pour ce jeune chef d’État. Mais le pourrait-il même s’il le voulait ? Lui qui parlait si vaillamment de souveraineté et de fierté nationale retrouvée, il y a quelques mois encore, présente finalement un bien maigre bilan.
Paul Sano
Source : afrikipresse.fr