Quand la vérité un jour pair devient contrevérité un jour impair
Si l’administration est une continuité dans tous les pays au monde, au Mali, cette notion n’est pas forcément la chose la mieux partagée. L’”opérateur” sur la machine peut des fois se remettre à broyer sans raison ceux qui n’ont pas la chance de lui plaire quand bien même on pensait l’affaire close. La condamnation, courant novembre 2021, des sociétés de téléphonie mobile, Orange-Mali et Moov Africa/Malitel, à payer quelque 177 milliards F CFA à une association de consommateurs unipersonnelle pour “délit” de facturation du répondeur à leurs clients, illustre à bien des égards la tendance qu’ont certains à mettre l’administration sous leurs bottes, à l’opposé de l’intérêt général.
Bien que débouté par deux fois par la justice, le Réseau Malien des consommateurs des Télécommunications (Remacotem), sans siège et qui se résume à la personne de son président, Dr. Adama Traoré, a réussi au forceps à faire condamner, en appel, deux des entreprises les plus pourvoyeuses d’emplois du Mali. Le montant astronomique de 177 milliards de FCFA qu’Orange Mali et l’ex-Sotelma/Malitel devraient en principe payer au Réseau des consommateurs maliens signifierait sans nul doute la faillite pour les deux grands opérateurs de téléphonie mobile dans notre pays. Au-delà de l’entorse faite dans la forme (la grosse a été signée en février 2022 par un greffier admis à faire valoir ses droits à la retraite le 1er janvier 2022 par arrêté signé du ministre de la Justice en date du 24 décembre), un flash-back s’impose pour mieux comprendre ce que nous avons déjà qualifié de “Scandale du siècle” dans notre livraison de vendredi dernier.
De quoi s’agit-il au juste ? En réponse à la sollicitation du président du Tribunal de première instance de la Commune III pour donner son avis à propos de la requête de Recomatem contre les opérateurs de téléphonie mobile sus-indiqués, le président de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications/Tic et postes (AMRTP), à l’époque Dr. Choguel K. Maïga, actuel Premier ministre de la Transition, qui a le don d’être clair, rigoureux et constant dans ses prises de position politique et démarches administratives, a accepté d’éclairer la lanterne de la justice aux plans juridique et technique.
Si on peut faire à ce stade l’économie des missions assignées à l’AMRTP par les plus hautes autorités à sa création le 20 septembre 2011 par l’ordonnance n°2011-024/P-RM, on peut retenir que le Directeur Général, brillant docteur ingénieur en télécommunications, avait tranché tout net en faveur des deux sociétés.
Après avoir défini la boite vocale comme un dispositif technique qui permet d’offrir un service de messagerie électronique permettant la communication différée entre deux ou plusieurs personnes et souligné les avantages de cette technologie, le président de l’AMRTP indiquait, concernant la facturation du trafic téléphonique basée sur le principe du “Calling Party Pays” (CPP), que c’est l’utilisateur (l’appelant) qui prend l’initiative de la communication qui en supporte l’intégralité du prix.
Last but not least. “Lorsqu’il s’agit d’une communication internationale ou entre deux réseaux différents du même pays, une partie est conservée par l’opérateur local et l’autre est versée à l’opérateur distant. Le correspondant qui reçoit un appel (appelé), sous ce régime, ne paye rien du tout”, écrivait noir sur blanc, il de cela 9 ans, le président de l’AMRTP au président du Tribunal de la Commune III. Pour le président de l’AMRTP à l’époque, le principe de la facturation techniquement est entamé dès la mobilisation des ressources du réseau à “moins que l’opérateur ait volontairement renoncé comme dans le cas du système ‘bip’. Par mobilisation de ressources, il faut comprendre l’utilisation des circuits mis à la disposition entre l’appelant et l’appelé pour la communication. Cette mobilisation commence au retour d’appel déclenchant le système de facturation”, Choguel K. Maïga, dixit.
Pour l’AMRTP, sollicitée, au Mali, et dans plusieurs pays, la facturation est entamée à partir de l’aboutissement de l’appel, d’où la notion d’appel efficace.
“Tout service offert est payant”
“En télécommunications, un appel est considéré efficace si l’appelant arrive à joindre son correspondant et ils communiquent normalement ; une impulsion de retour déclenche automatiquement le système de facturation et la facturation s’effectue à hauteur du temps écoulé. Si l’appelant n’arrive pas à joindre son correspondant, mais en lieu et place une machine parlante (répondeur) se déclenche, la facturation interviendra jusqu’au raccrochage de l’appelant ou l’épuisement de l’espace prévu pour la boite vocale. Pour les appels internationaux, l’annonce vocale ne peut être dissociée de la boite vocale, car en la matière, une quote-part doit être versée à l’opérateur du correspondant de l’appelé dès l’aboutissement de l’appel comme précédemment décrit”. Des explications on ne peut plus claires comme l’eau de roche.
Au plan de l’analyse juridique, l’AMRTP a rappelé au Tribunal que le secteur malien des télécommunications est régi, entre autres, par les Actes additionnels de la Cédéao du 17 janvier 2007, les Directives de l’Uémoa du 23 mars 2006, l’ordonnance n°2011-023/P-RM du 28 septembre 2011 relative aux télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication, l’ordonnance n°2011-024/P-RM du 28 septembre 2011 portant régulation du secteur des télécommunications/Tic et postes. Ces textes sont complétés par les avis et décisions du régulateur.
“Les différents textes indiquent ce qu’on peut entendre par service des télécommunications et les conditions dans lesquelles, il est fourni dans le cas d’un appel. Ainsi, selon l’article 3 de l’ordonnance n°2011-023/P-RM du 28 septembre 2011, les services de télécommunications sont des prestations fournies normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission ou l’acheminement de signaux ou une combinaison de ces fonctions sur les réseaux de télécommunications mais qui exclut les services consistant à fournir des contenus à l’aide de réseaux et des services de télécommunications ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ces contenus”, précisait le grand chef de l’Autorité en son temps, ajoutant que la mise à disposition par l’opérateur d’une annonce pour indiquer l’indisponibilité ou la non réponse du correspondant avec possibilité de laisser un message constitue bien un service offert et cela contre rémunération. Selon l’AMRTP, le principe est que tout service offert est payant. La seule exception à ce principe est l’obligation d’acheminer gratuitement les appels d’urgence. Battant en brèche la directive de l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’AMRTP a ajouté qu’aucune réglementation universelle n’existe en la matière ; chaque administration dispose de sa propre réglementation ou de sa pratique acceptée et tolérée. “Pour le cas du Mali, le service n’ayant pas été spécifiquement régulé il a été toléré et admis que la facturation commence dès le début de l’annonce, l’appelant disposant dans tous les cas de 10 à 20 secondes pour raccrocher avant le début de l’annonce”. Pour toutes ces raisons, l’AMRTP, au regard des arguments technico-juridiques avancés, a indiqué au juge que la facturation de l’annonce querellée telle que pratiquée par les opérateurs de télécommunication Sotelma-SA (actuel Moov Africa/Malitel) et Orange-Mali est légale et conforme au principe de la liberté tarifaire prévu par la réglementation en vigueur et ne viole aucun avis ou décision du régulateur ; elle régulière car le coût de la seconde facturée à 1,8 FCFA TTC correspond effectivement au tarif régulé par l’AMRTP à savoir 108 F CFA TTC la minute. C’est le silence du Premier ministre qui intrigue dans cette crise alors qu’une seule phrase de Choguel K. Maïga pourrait mettre fin à l’imbroglio visiblement entretenu jusqu’en haut lieu.
El hadj A. B. HAIDARA
Aujourd’hui-Mali N°302 du vendredi 4 Mars 2022.
Source: Aujourd’hui-Mali