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Résolution du conseil de sécurité de l’ONU sur le Mali : Ce qu’il faut savoir sur les sanctions

Le lecteur non juriste peut penser que dès que le Conseil de sécurité adopte, sur la base du chapitre VII de la Charte de l’ONU, des résolutions imposant des sanctions soit à des Etats soit à des personnes ou entités ciblées, dont le comportement est qualifié de « menace contre la paix », de « rupture de la paix » ou d’«acte d’agression », cela suffit pour que tout marche comme sur des roulettes. Il n’en va pas forcément ainsi, du moins en droit.

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En effet, il faut savoir que la résolution 2374, à l’instar de toutes les résolutionsdu Conseil de sécurité du même genre, peut, en théorie ou en pratique, poser un certain nombre de problèmes juridiques. Sans prétendre à l’exhaustivité, ni entrer en profondeur dans l’analyse technique, il suffira ici de rappeler les principaux points d’interrogation.

 

Première question : quelles sont les sanctions applicables prévues par la résolution 2374. La première sanction c’est l’interdiction de voyager.

Elle s’applique aux personnes désignées par le Comité des sanctions sur la base d’un certain nombre de critères. Suivant un certain nombre de critères. Concrètement, cette sanction consiste dans l’obligation imposée par le Conseil de sécurité à tous les Etats membres de l’ONU de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées et inscrites sur la liste des sanctions ; et ce pour une période initiale d’un an à compter du 5 septembre 2017. Il est précisé ici que rien n’oblige un Etat à refuser l’entrée sur son territoire à ses propres nationaux. L’interdiction de voyager ne s’applique pas dans les cas suivants :

si le voyage se justifie par des raisons humanitaires, ycompris un devoir religieux ;

si l’entrée ou le passage en transit sont nécessaires aux fins d’une  procédure judiciaire ;

si une dérogation serait dans l’intérêt de la paix et de la réconciliation nationale au Mali et de la stabilité régionale. Il faut souligner avec force que c’est le Comité des sanctions lui-même qui établit, au cas par cas, la pertinence de ces trois hypothèses. Le Conseil de sécurité met l’accent sur trois points importants : 1er- il souligne que les violations de l’interdiction de voyager peuvent mettre en péril la paix, la stabilité ou la sécurité au Mali ; 2ème- il souligne que les personnes qui facilitent délibérément le voyage d’une personne inscrite sur la liste en violation de l’interdiction de voyager peuvent être considérées par le Comité des sanctions comme remplissant les critères de désignation prévus dans la résolution 2374 ; 3ème- il engage toutes les parties et tous les Etats membres de l’ONU à coopérer avec le Comité des sanctions et avec le Groupe d’experts chargé d’aider le Comité, en ce qui concerne l’application de l’interdiction de voyager. La deuxième forme de sanction c’est le gel des avoirs. Elle s’applique :

aux personnes ou entités désignées par le Comité des sanctions ;

à toute personne ou entité agissant pour le compte ou sur les ordres de celles-ci ;

à toute entité en leur possession ou sous leur contrôle. Cette sanction consiste dans l’obligation pour les Etats membres de l’ONU de geler immédiatement les fonds et autres avoirs financiers et ressources économiques se trouvant sur leur territoire, lorsqu’ils sont en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect des personnes ou entités sus mentionnées ; cette obligation s’applique pour une période initiale d’un an à compter du 5 septembre 2017. Cette sanction consiste également dans l’obligation pour les Etats membres de l’ONU d’empêcher leurs nationaux ou toute personne ou entité se trouvant sur leur territoire :

de mettre à la disposition de ces personnes ou entités, directement ou indirectement des fonds, avoirs financiers ou ressources économiques,

ou d’en permettre l’utilisation à leur profit. Il est important de savoir que la sanction consistant à geler les fonds et avoirs ne s’appliquent pas dans certains cas, lorsque ceux-ci sont déterminés par les Etats concernés, à savoir :1- si les fonds sont nécessaires pour régler des dépenses ordinaires ; 2- si les fonds sont nécessaires pour régler ou rembourser des dépenses d’un montant raisonnable engagées dans le cadre de la prestation de services juridiques, conformément à la législation nationale ; 3-ces cas ne peuvent être invoqués et appliqués qu’à une double condition : a- que l’Etat concerné ait informé le Comité des sanctions de son intention d’autoriser, lorsque cela est justifié, l’accès à ces fonds ; b- que le Comité n’ait pas pris de décision contraire dans les 5 jours ouvrables suivant cette notification ; 4-si les fonds sont nécessaires pour régler des dépenses extraordinaires, à condition que : a- l’Etat concerné en ait avisé le Comité des sanctions et b- celui-ci ait donné son accord ; 5- si les fonds font l’objet d’un privilège ou d’une décision judiciaire, administrative ou arbitrale, à la triple condition que : a- le privilège ou la décision soient antérieurs à la date du 05 septembre 2017, b- le créancier privilégié ou le bénéficiaire de la décision ne soit pas une personne ou une entité désignée par le Comité des sanctions, et c- le privilège ou la décision aient été portés à la connaissance du Comité par l’Etat concerné ; 6- si le Comité établit qu’une dérogation serait dans l’intérêt de la paix et de la réconciliation nationale au Mali et de la stabilité régionale. Le Conseil de sécurité décide en outre que les Etats pourront autoriser :

le versement sur les comptes gelés, des intérêts et autres rémunérations revenant à ces comptes ;

des paiements dus au titre de marchés, d’accords ou d’obligations souscrits avant la date à laquelle ces comptes ont été gelés ;

étant entendu que ces intérêts, rémunérations et paiements resteront gelés. Le Conseil de sécurité n’interdit à aucune personne ou entité désignée d’effectuer des paiements au titre d’un contrat passé avant son inscription sur la liste, à condition : 1- que l’Etat concerné s’assure que le paiement n’est pas reçu directement ou indirectement par une personne ou entité inscrite sur la liste ; 2- que ledit Etat notifie au Comité des sanctions avec un préavis de 10 jours son intention d’effectuer ou de recevoir de tels paiements ou d’autoriser, selon qu’il conviendrait, le déblocage à cette fin de fonds et autres avoirs financiers ou ressources économiques. Deuxième question : quelles sont les personnes ou entités visées par les sanctions, et quels en sont les critères de désignation ou d’inscription sur la liste noire. La résolution 2374 a voulu ratisser très large pour tenter de cibler tous les acteurs potentiels susceptibles d’intervenir dans le processus de contestation, d’obstruction, de remise en cause de l’esprit et de la lettre de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale. Ce qui ne va pas sans poser de délicats problèmes de décryptage, de décodage, d’interprétation, d’établissement des faits et des preuves. Sans prétendre résoudre ces questions ici et maintenant, on se bornera à procéder à un recensement des catégories de personnes ou entités visées à travers la terminologie employée dans la résolution 2374. Terminologie du préambule de la résolution 2374. On y emploie les termes ou expressions suivants :

quiconque entraverait l’exécution des engagements contenus dans l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali et la réalisation des objectifs poursuivis ;

ceux qui s’emploient à empêcher ou à compromettre la mise en œuvre de l’Accord ; ceux qui reprennent les hostilités et violent le cessez-le-feu ;

ceux qui lancent des attaques contre la MINUSMA et d’autres présences internationales ou entreprennent de les menacer ;

ceux qui apportent leur soutien à de telles attaques et entreprises ;

ceux qui dressent des obstacles qui entravent l’exécution de l’Accord. Terminologie du dispositif de la résolution 2374. Dans la partie consacrée à l’interdiction de voyager, on emploie les termes ou expressions suivants :

personnes désignées par le Comité des sanctions ;

personnes qui facilitent délibérément le voyage d’une personne inscrite sur la liste en violation de l’interdiction de voyager. Dans la partie consacrée au gel des avoirs, on emploie les termes ou expressions suivants : 1- personnes ou entités désignées par le Comité des sanctions ; 2- toute personne ou entité agissant pour le compte ou sur les ordres de celles-ci ; 3- toute entité en leur possession ou sous leur contrôle. Dans la partie consacrée aux critères de désignation, on emploie les termes ou expressions suivants : 1- personnes et entités que le Comité des sanctions aura désignées comme étant responsables ou complices des activités ou politiques faisant peser une menace sur la paix, la sécurité ou la stabilité au Mali ; 2- personnes et entités désignées comme ayant contribué, directement ou indirectement à ces activités ou politiques. Critères de désignation des personnes visées par les sanctions. L’inscription sur la liste des sanctions se fait sur la base d’un critère général et de certains critères plus spécifiques. Le critère général c’est la participation directe ou indirecte à des activités ou politiques qui font peser une menace sur la paix, la sécurité ou la stabilité au Mali. Les critères spécifiques sont définis à travers une typologie de ces fameuses activités ou politiques. Il s’agit des faits suivants : 1- le fait de prendre part à des hostilités en violation de l’accord pour la paix  et la réconciliation. Commentaire : a- à priori ce cas vise les violations répétées du cessez-le-feu par les groupes armés des coalitions Plateforme et Coordination ; b- l’application de ce critère n’est cependant pas évidente car elle soulève des problèmes d’établissement des faits et d’identification des auteurs ; c- au-delà de son apparente clarté, l’interprétation de ce critère soulève des problèmes. En effet, celle-ci peut laisser entrevoir les cas de figure suivants : i- les deux parties Fama – Forces Armées Maliennes – et groupes armés respectent rigoureusement le cessez-le-feu, auquel cas, aucun problème de sanction ne se pose, ii- des groupes armés rompent unilatéralement le cessez-le-feu en se livrant bataille, mais sans susciter une réaction de la part des Fama, auquel cas seuls les membres de ces groupes armés, parce qu’ils prennent part aux hostilités, sont passibles de sanctions, iii- un ou des groupes armés rompent unilatéralement le cessez-le-feu, en attaquant les positions des Fama, entraînant ainsi une réaction armée de la part de celles-ci, auquel cas, et les membres des groupes armés et les membres des Fama, parce qu’ils prennent part aux hostilités, sont logiquement passibles de sanctions, sauf à considérer que c’est le premier intervenant qui a toujours tort et est coupable de violation, iv- si pour repousser une menace imminente d’attaque armée visant à violer le cessez-le-feu par des groupes armés, les Fama menaient une opération armée contre ces derniers ; les questions suivantes se poseraient : a- y a-t-il violation du cessez-le-feu par le Fama ; b- s’agit-il d’un cas de légitime défense « anticipée » ou d’un cas de légitime défense « préventive », à supposer qu’il s’agit là de deux situations juridiques différentes ; c- selon la réponse apportée à ces questions, quelles sont alors les personnes passibles de sanctions ; 2- le fait de prendre des mesures qui font obstacle à la mise en œuvre de l’Accord, y compris par des retards persistants, ou menacent cette mise en œuvre. Commentaire : a- cette hypothèse soulève des problèmes d’interprétation, b- que recouvrent concrètement les notions de « mesures faisant obstacle à » ou « menaçant l’application de l’Accord », c- leur portée englobe-t-elle le comportement négatif des seules parties signataires de l’Accord et/ou l’action des autres composantes de la nation malienne, par exemple les agissements d’un mouvement social comme la Plate forme « Antè a bana », d- si oui son application ne pose-t-elle pas alors un problème de compatibilité avec le respect des exigences de l’Etat de droit et des droits de l’homme etc. ; 3- les faits suivants : a- agir pour le compte d’une personne ou entité se livrant aux activités visées ci-dessus, b- ou agir en son nom ou sur ses instructions, c- lui fournir toute autre forme d’appui ou de financement, notamment en utilisant le produit de la criminalité organisée, la traite des êtres humains, le trafic de migrants, la contrebande, le trafic d’armes et de biens culturels ; 4- le fait de préparer, de donner l’ordre de commettre, de financer ou de commettre des attaques contre : a- les différentes entités mentionnées dans l’Accord, y compris les institutions locales, régionales et nationales, les patrouilles mixtes et les forces de défense et de sécurité maliennes, b- les Casques bleus de la Minusma et le personnel des Nations-Unies et le personnel associé, notamment les membres du Groupe d’experts, c- les forces internationales de sécurité, notamment la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel, les missions de l’Union Européenne et les forces françaises ; Commentaire : les hypothèses prévues aux points 3 et 4 sont certes importantes, mais elles soulèvent de gros problèmes de recherches, d’établissement des faits et des preuves, donc d’identification des auteurs ; 5- les faits suivants : a- faire obstacle à l’acheminement de l’aide humanitaire destinée au Mali, b- empêcher l’accès à cette aide ou à sa distribution dans le pays ; 6- le fait de préparer, de donner l’ordre de commettre ou de commettre au Mali : a- des actes contraires au droit international des droits de l’homme ou au droit international humanitaire, b- des actes qui constituent des atteintes aux droits de l’homme ou des violations de ces droits, notamment des actes dirigés contre des civils : actes de violence, enlèvements, disparitions, déplacements forcés, attaques contre des écoles, des hôpitaux, des lieux de culte ou des lieux où des civils ont trouvé refuge ; 7- l’emploi ou le recrutement d’enfants par des groupes armés ou des forces armées en violation du droit international, dans le cadre du conflit armé au Mali. Troisième question : les personnes ou entités inscrites sur la liste des sanctions peuvent-elles faire une demande de radiation de cette liste. La réponse à cette question est affirmative, car elle se trouve dans la résolution 1730 (2006) du Conseil de sécurité portant sur les questions générales relatives aux sanctions. Elle s’applique donc au cas de la résolution 2374. Pour l’essentiel, il faut savoir que dans la résolution 1730 : 1- le Conseil de sécurité demande au Secrétaire général    de créer au Service du Secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité un point focal chargé de recevoir les demande de radiation ; il s’agit concrètement d’une adresse postale, d’un numéro de téléphone et d’un courriel ; 2- il est précisé, et cela est important, que ceux qui souhaitent présenter une demande de radiation peuvent le faire par l’intermédiaire de ce point focal, ou par l’intermédiaire de leur Etat de résidence ou de nationalité ;  3- un Etat peut instaurer une règle selon laquelle ses ressortissants et ses résidents devront faire parvenir directement leur demande de radiation au point focal ; pour ce faire, il devra adresser au Président du Comité des sanctions une déclaration qui sera publiée sur le site web du Comité. Sans reprendre ici la liste des tâches confiées au point focal, il suffira d’indiquer qu’à l’issue de la procédure d’examen de la demande, le point focal informera le requérant, selon le cas : a) que le Comité des sanctions a décidé d’accéder à la demande de radiation, b) que le Comité a achevé l’examen de la demande de radiation et que le requérant reste inscrit sur la liste. Quatrième question : quels sont les organes chargés de l’application de la résolution 2374. Il y a d’abord le Comité des sanctions. Celui-ci est chargé d’accomplir les principales tâches suivantes : 1- suivre l’application des sanctions d’interdiction de voyager et de gel des avoirs ; 2- désigner les personnes et les entités passibles des mesures relevant du gel des avoirs, passer en revue les informations concernant les personnes, et examiner les demandes de dérogation ; 3- désigner les personnes passibles des mesures relevant de l’interdiction de voyager, passer en revue les informations concernant les personnes, et examiner les demandes de dérogation ; 4- arrêter les directives qui pourraient être nécessaires pour faciliter la mise en œuvre des sanctions ; 5- favoriser le dialogue avec les Etats et les organisations internationales, en particulier ceux de la région, afin d’examiner la question de l’application des sanctions ; 6- demander aux Etats et aux organisations internationales des informations utiles sur les actions engagées pour appliquer les sanctions ; 7- examiner les informations faisant état de violations ou du non-respect des sanctions, et y donner la suite qui convient. Il y a ensuite le Groupe d’experts qui est placé sous l’autorité du comité des sanctions. Celui-ci est chargé d’accomplir les principales tâches suivantes : 1- aider le Comité à s’acquitter de son mandat, notamment en lui fournissant des informations pouvant servir à désigner des personnes qui se livrent aux activités et politiques interdites décrites dans la résolution 2374 ; 2- réunir, examiner et analyser toutes informations provenant des Etats, des organismes des Nation-Unies, d’organisations régionales et d’autres parties intéressées, et concernant l’application des sanctions, en particulier les violations des dispositions de la résolution 2374 ; 3- remettre au Conseil de sécurité, après concertation avec le Comité des sanctions, un rapport d’activité le 1er mars 2018 au plus tard, et un rapport final le 1er septembre 2018 au plus tard, et des rapports périodiques dans l’intervalle ; 4- aider le Comité des sanctions à préciser et à actualiser les informations concernant la liste des personnes visées par les sanctions, notamment en fournissant : a- des renseignements concernant leur identité, et b- des renseignements supplémentaires pouvant servir au résumé des motifs présidant à leur inscription sur la liste, résumé qui est accessible au grand public ; 5- coopérer étroitement avec Interpol et l’office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, selon que de besoin. Il est demandé : 1- à toutes les parties et à tous les Etats, ainsi qu’aux organisations internationales de coopérer avec le Groupe d’experts, 2- à tous les Etats concernés d’assurer la sécurité des membres du Groupe et de leur donner libre accès aux personnes, documents et sites pour que le Groupe puisse s’acquitter de son mandat. En ce qui concerne la notification des mesures prises, il est demandé à tous les Etats, en particulier ceux de la région : 1- de mettre en œuvre activement les sanctions prévues par la résolution 2374, et 2- de rendre régulièrement compte au Comité des sanctions de ce qu’ils font pour appliquer les sanctions imposées. Cinquième question : un Etat peut-il refuser d’appliquer la résolution 2374 au motif que celle-ci n’a pas un caractère obligatoire. Ecoutons les réponses données par la Charte de l’ONU, la résolution 2374 elle-même et la Cour Internationale de Justice. Selon l’article 25 de la Charte de l’ONU « Les membres de l’organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de Sécurité conformément à la présente Charte ». Voici une affirmation à la fois claire et obscure : 1- le point d’achoppement c’est la question de la portée du mot décision ; 2- on sait que ce sont les articles 41 et 42 qui définissent les décisions « contraignantes » que le Conseil de Sécurité peut prendre en application du Chapitre VII en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ; 3- la portée de la résolution 2374 procède d’une interprétation de la Charte des Nations-Unies fondée sur : a- une conception de plus en plus extensive de la notion de « menace contre la paix », b- un brouillage de la portée de la distinction entre conflits armés internes et internationaux, c- une approche selon laquelle un conflit armé interne peut constituer une « menace contre la paix », d- une pratique consistant à imposer des sanctions à l’une des parties à une guerre civile, e- l’affirmation claire selon laquelle : i- le Conseil de Sécurité constate que la situation au Mali continue de menacer la paix et la sécurité internationales dans la région, ii- le Conseil de sécurité agit en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies.

La Cour Internationale de Justice a eu l’occasion de se prononcer sur la question dans son Avis du 21 Juin 1971 sur la Namibie : 1- la Cour de la Haye a fait une interprétation extensive de l’article 25 de la Charte, en disant que sa portée s’étend au-delà des seules mesures coercitives du Chapitre VII ; 2- la Cour a surtout proposé des critères de qualification juridique, en disant qu’avant de pouvoir conclure à l’effet obligatoire d’une résolution du Conseil de Sécurité, il faut : a- soigneusement analyser le libellé de la résolution, b- déterminer dans chaque cas si les pouvoirs découlant de l’article 25 de la Charte ont été en fait exercés compte tenu : i- des termes de la résolution à interpréter, ii- des débats qui ont précédé son adoption, iii/ des dispositions de la Charte invoquées, et en général, iv- de tous les éléments qui pourraient aider à préciser les conséquences juridiques de la résolution du Conseil de Sécurité Sixième question a-t-on jamais attaqué, devant le juge, une résolution du Conseil de Sécurité pour non-compatibilité des sanctions avec les droits fondamentaux de l’homme. La question de la conformité des résolutions du Conseil de Sécurité à la Charte de l’ONU et au droit international général s’est posée dans un cadre communautaire.

En effet, la Cour de Justice des Communautés européennes – CJCE- a rendu un arrêt important en 2008, suite à un pourvoi dirigé contre l’arrêt du Tribunal de 1ère Instance –TPI- du 21 Septembre 2005 dans les affaires Yusuf et Kadi. M. Kadi et la Fondation internationale Al Barakaat avaient intenté un recours en annulation contre un règlement du Conseil de l’Union européenne du 27 mai 2002. Ce règlement avait institué un gel des avoirs et des ressources financières de personnes et entités liées à Oussama Ben Laden et au réseau Al-Qaïda qui se trouvaient inscrites sur des « listes noires » dressées par un Comité des sanctions. Ce règlement avait été édicté sur la base de la position commune du 27 mai 2002 qui transposait une résolution adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies au titre du Chapitre VII de la Charte ; résolution qui ne laissait place à aucune marge de manœuvre aux Etats.

Les requérants se plaignaient de ce que le règlement avait été adopté en violation de certains de leurs droits fondamentaux : droit de propriété, droits de la défense, droit à une protection juridictionnelle effective.

En conclusion la Cour européenne : 1- a reconnu que les décisions du Conseil de Sécurité revêtent une importance particulière au regard de sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale ; 2- a estimé toutefois qu’aucune immunité juridictionnelle n’est reconnue aux obligations issues de la Charte de l’ONU, qui permettrait la remise en cause des principes qui relèvent des fondements mêmes de l’ordre juridique communautaire, parmi lesquels le principe de la protection des droits fondamentaux de l’homme ; 3- a estimé, enfin, que le dispositif de gel des fonds mis en place par les Nations-Unies au titre des sanctions : a- portait atteinte au respect des droits de la défense, b- mais ne méconnaissait pas le droit de propriété ; Septième question – la résolution 2374 (2017) s’applique-t-elle directement dans le droit national, autrement dit a-t-elle un effet direct, est-elle auto-exécutoire ou self executing. Le caractère obligatoire des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-Unies prises en application du Chapitre VII de la Charte n’emporte nullement qu’elles aient un effet direct. A propos de la résolution 687 adoptée à la fin de la guerre du Golfe, pour citer l’exemple de la France, la Cour de cassation, dans l’arrêt du 25 avril 2006 société Dumez, a adopté la position de principe selon laquelle « si les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-Unies s’imposent aux Etats membres, elles n’ont, en France, pas d’effet direct tant que les prescriptions qu’elles édictent n’ont pas, en droit interne, été rendues obligatoires ou transposées ». La plupart des résolutions du Conseil de sécurité affectant les droits et obligations des particuliers sont transposées en droit interne par des règlements communautaires ou des actes législatifs ou réglementaires pris par les autorités nationales, dont l’applicabilité immédiate ne fait aucun doute.

La Charte des Nations Unies n’impose pas le choix d’un modèle déterminé pour la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du Chapitre VII de cette Charte. Cette mise en œuvre doit intervenir conformément aux modalités applicables à cet égard dans l’ordre juridique interne de chaque membre de l’ONU. En effet, la Charte des Nations-Unies laisse en principe aux membres de l’ONU le libre choix entre différents modèles possibles de réception dans leur ordre juridique interne de telles résolutions. Huitième question – les sanctions imposées par la résolution 2374 sont-telles imputables à l’ONU ou aux Etats membres qui les mettent en œuvre. Une telle question peut paraitre curieuse aux yeux d’un lecteur non juriste. Pourtant, il se trouve qu’il peut exister dans certaines hypothèses une zone d’incertitude sur le point de savoir si la sanction est imputable à l’organisation internationale ou à l’Etat membre qui la met en œuvre. Ainsi par exemple, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – CEDH – relative aux mesures prises par les Etats membres pour mettre en œuvre les résolutions contraignantes du Conseil de sécurité de l’ONU tend à distinguer deux cas :

1- cas dans lesquels les Etats ne disposent d’aucune marge de manœuvre dans l’exécution des résolutions ; les mesures étatiques- s’il y en a-sont alors imputables à l’Organisation – voir par exemple CEDH, 2 mai 2007, Behrami contre France – ; 2- cas dans lesquels au contraire plusieurs moyens s’offrent aux Etats pour mettre en œuvre la sanction décidée par le Conseil de sécurité, ce qui permet de leur imputer les mesures qu’ils prennent – voir CEDH, 12 septembre 2012, Nada contre Suisse.

Dr Salifou FOMBA

Professeur de droit international à l’Université de Bamako ; Ancien membre et vice-président de la Commission du droit international de l’ONU à Genève ; Ancien membre et rapporteur de la Commission d’enquête de l’ONU sur le génocide au Rwanda ; Ancien conseiller technique au Ministère des Affaires étrangères.

 

Source: L’ Aube

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