Au Mali, il y a plus de personnes dans les prisons qui attendent un procès que de personnes jugées et condamnées. Les chiffres donnent des vertiges. Les dernières statistiques disponibles font état de plus de 60% de détenus sous le coup de la détention provisoire.
Mardi 28 janvier 2020, Cour d’appel de Bamako, il est 10h 17. La décision de mise en liberté provisoire du Général Amadou Haya Sanogo vient d’être prononcée, quand bien même le jugement sur le fond du dossier de l’assassinat des 21 bérets rouges, dans la nuit du 31 mars 2012, n’a jamais eu lieu.
Après sept ans de détention préventive (alors que le Code de procédure pénal ne requiert que trois ans comme durée maximale), la chambre d’accusation de la Cour ordonne la libération de l’auteur du coup d’Etat du 22 mars 2012 et ses 15 codétenus.
En 2016, une première session de la Cour d’Assises à Sikasso n’a pas pu statuer sur l’affaire. Le 13 janvier 2020 le jugement a été reporté pour raison de « contraintes majeures liées à la préservation de l’ordre public », selon les termes utilisés par le porte-parole du Gouvernement, le ministre Yaya Sangaré.
« Le droit à un procès équitable dans les délais raisonnables fait partie des droits de l’homme consacrés par la constitution du 25 février 1992 », soupire Me Cheick Oumar Konaré, avocat du général Amadou Haya Sanogo, au sortir d’une audience d’à peine 15 minutes.
Le cas de Sanogo et de ses co-accusés n’est pas unique. Les anecdotes sur la détention provisoire sont légion.
L’assassinat crapuleux d’un époux par son épouse dans la nuit du 12 au 13 octobre 2019 à Kalaban-coro (un quartier périphérique de Bamako) est encore dans les esprits. Mise sous mandat de dépôt et transférée à la maison d’arrêt de Bollé 24 h après le fait criminel qui a défrayé la chronique, Kadiatou Diassana attend désespérément son procès.
Lors de notre passage lundi 30 décembre 2019 dans cet établissement spécialisé pour femmes, près de 150 femmes y étaient détenues, selon une administratrice qui a requis l’anonymat.
Moussa Touré, chercheur pour la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) se rappelle l’une de ses missions mi 2019 à Bollé : « L’effectif dépasse la capacité d’accueil qui est de 100 prisonnières. Il est composé de malades et de femmes allaitantes. Nous avons pu en compter une dizaine portant des nourrissons sous les aisselles et le dos ».
« Je me rappelle, la cellule contiguë à l’espace ou les parents ou proches des détenus sont reçus, est mal éclairée et laisse voir des conditions de détention exécrables », ajoute-t-il.
Non loin de cette cellule, ajoute notre interlocuteur, une toilette aux odeurs pestilentielles avec une cohorte de cafards de part et d’autre sur un carrelage abimé et imbibé de moisissures. Le même décor s’offre à la prison de Ségou, Kayo à Koulikoro et Manantali en région de Kayes.
A Kayo tout comme à la Maison centrale d’arrêt de Bamako (MCA), l’infirmerie ne dispose que de quelques cachets de paracétamol, de l’alcool et du sparadrap. La majeure partie des soins se font à l’extérieur de l’établissement, assurent les détenus croisés sous le hangar. « En cas d’urgence sanitaire (coma ou troubles graves) on nous évacue le plus souvent à l’hôpital Gabriel Touré », témoigne cette victime de coma à la MCA qui, arrêtée il y a au moins cinq ans, attends toujours son jugement.
L’épouse de l’ancien chef d’Etat-major des armées Dahirou Dembélé, homme du sérail de la junte militaire qui a renversé le président Amadou Toumani Touré en 2012, Dembélé Madina Sissoko, porte-parole des familles des détenus, avait réclamé que leurs maris soient jugés ou libérés, le délai de détention légal étant expiré.
Dahirou était dans le lot des 17 militaires cités dans l’affaire de l’assassinat en 2012 de 21 bérets rouges retrouvés dans un charnier à Diago, près de Kati à 20 km de Bamako.
Le Sous-Comité pour la Prévention de la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans son Rapport sur la visite le 20 mars 2014 dans les prisons maliennes, souligne combien la détention provisoire est un facteur aggravant de la surpopulation carcérale.
La Fondation « Open Society » signale que la pratique de la détention provisoire touche chaque jour 3,3 millions de personnes à travers le monde. Le Mali n’est pas en reste.
L’application des dispositions de l’article 123 et suivant du code de procédure pénale qui évoque la période de la détention provisoire, reste problématique. Cette disposition stipule qu’en cas de délit, le prévenu écope de six mois et pour le crime il purge un an (renouvelable) avant son jugement. Le rapport 2012 de la Commission nationale des Droits de l’Homme (CNDH) révèle hélas la situation troublante de détenus ayant passé 10 ans en détention provisoire.
« Le nombre de détenus en attente de jugement est largement supérieur à celui des condamnés. Le Pacte international relatif aux droits civil et politique qui précise que : la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l’exécution du jugement », affirmait Me Sangaré Kadidia Coulibaly à l’occasion de la publication du rapport 2016 de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH).
Selon ce même rapport de la CNDH, la lenteur des procédures dans les cabinets d’instruction et devant les chambres de jugement, les innombrables renvois dilatoires devant les juridictions y sont pour beaucoup.
En 2017, la MCA, principal centre pénitentiaire du pays, dénombrait 1 956 détenus dont 1 393 prévenus et 563 condamnés.
Fin 2015, les 59 établissements pénitentiaires que compte le Mali hébergeaient 5561 détenus. Parmi eux, 3390 (soit 61% des détenus) sont sous le coup de la détention provisoire.
Entorse à la loi
La vie d’un détenu au Mali est un feuilleton éprouvant. Condamnés et non condamnés, semblent subir les mêmes conditions drastiques : une situation de non-droit. Mais l’administration pénitentiaire ne semble pas prêter une oreille attentive aux cris de cœur de la société civile et des défenseurs de droits humains.
La détention provisoire ne doit pourtant pas dépasser trois ans, selon Mamadou Guissé, professeur de droit : « Le placement en détention provisoire n’est possible que si la personne mise en examen encourt une peine criminelle ou correctionnelle d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à trois ans ».
La loi N°-01-079 du 20 août 2011 portant code de procédure pénale du Mali évoque les principes juridiques qui régissent l’univers carcéral : http://www.droit-afrique.com/upload/doc/mali/Mali-Code-2001-penal.pdf
« La loi prévoit que la détention provisoire ne peut être ordonnée que si elle constitue l’unique moyen. C’est pourquoi les personnes dans cette situation doivent faire l’objet d’une très grande attention. Ils jouissent pleinement de la présomption d’innocence », signale Me Cheick Oumar Konaré, avocat à la Cour.
« Banquer » pour s’éviter le pire
Autre réalité dans les prisons, l’influence de l’argent.
De nombreux témoignages font état de la pratique de la corruption dans l’univers carcéral : « sauf les cas extrêmement célèbres où la justice et l’administration pénitentiaire jouent la prudence, c’est l’argent qui fait la loi », témoigne Albert Dembélé, ancien prisonnier à la MCA.
Interrogé, Ibrahim Tounkara, directeur national de l’administration pénitentiaire et de l’éducation surveillée (DNAPES), préfère ne pas aborder la question.
La lenteur dans les procédures d’enquêtes et de jugements expliquerait le supplice des prisonniers, objets de marchandages et ou de spéculations, selon plusieurs sources.
Quelques anciens prisonniers sont sans équivoque. « Exposés à des sévices corporels multiples, la plupart des détenus issus de milieu défavorisés ne bénéficient pas de soins appropriés. Plusieurs fois nous avons assisté impuissants au détournement des repas que nos parents nous envoient », s’accordent à dire les 2 anciens prisonniers rencontrés de la MCA.
Interrogé, le régisseur de la MCA s’est contenté de dire : « Allez-y vous adresser à notre hiérarchie ».
Ecroué il y a près de 4 ans pour une affaire de vol de moto « Jakarta » dans le quartier Sabalibougou, en Commune V du district de Bamako, ce prisonnier attend son jugement.
Pourtant, l’article 6 de la Charte des Nations unies sur les droits fondamentaux des détenus, rappelle que tout détenu « a le droit d’être entendu sans délai par une autorité judiciaire ou autre habilitée à consulter, selon qu’il conviendra, le maintien de la détention, y compris de la mise en liberté dans l’attente du jugement ».
Sur les cinq détenus que nous avons croisé à la MCA et avec qui nous avons eu un échange bref eu égard au niveau rapproché de la surveillance, trois n’ont jamais bénéficié d’entretien avec un avocat. Même si la loi leur en donne le droit.
Cette situation qui fragilise le détenu provoque une colère vive chez les défenseurs des droits de l’Homme. « C’est inacceptable ! Nos prisons doivent évoluer et tendre vers les standards internationaux », s’indigne Drissa Traoré, expert en matière de défense des droits Humains.
Pour sortir de prison, les plus nantis se rabattent sur la liberté provisoire contre espèces sonnantes et trébuchantes. Les moins nantis eux ont très peu de chance.
Selon Boubacar Traoré, ancien surveillant à la MCA, l’exiguïté des cellules et surtout la surpopulation est pour beaucoup dans certains agissements dramatiques tels que le viol et la maladie.
Et « Pekin » ancien prisonnier de la MCA libéré et reconverti dans la musique, d’ajouter : « le MCA est l’antichambre de l’homosexualité vecteur de plusieurs pathologies. Beaucoup de prisonniers y basculent facilement ».
Les vieux locaux visités, tant à Bamako qu’à l’intérieur (Koulikoro et Sélingué notamment), ne présentent pas la moindre traçabilité des détentions via un système informatique fiable. Malgré quelques tentatives d’informatisation observées ici tout comme à la prison pour Femme de Bollée, les services de greffe ne sont pas informatisés. Le vœu de voir un système uniformisé de gestion des dossiers des détenus reste alors un rêve.
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) pilote auprès de 21 établissements pénitentiaires maliens une mission baptisée GFP Prisons Mandela. Lancé en 2016 pour s’achever en 2020, ce programme qui pourrait être la panacée lève le voile sur les problèmes qui assaillissent la vie dans les prisons.
Condamnés et non jugés tous sont soumis au même régime alimentaire. La prison de Manantali confirme cette situation.
Conçus à partir des vieilles législations coloniales, les maisons de détentions du Mali soulèvent de vraies questions, en raison du fait qu’elles sont très peu adaptées au contexte actuel. « Les infrastructures carcérales héritées du système colonial ne répondent plus aux normes universelles et aggravent la situation des droits humains dans le milieu carcéral au Mali », assure Moussa Diarra, expert en droits humains.
Le cancer de la surpopulation
La MCA de Bamako abritait à la date du 31 décembre 2019, 2300 détenus pour une capacité de 400 places, la maison d’arrêt de Ségou comptait 152 détenus pour une capacité de 100 places, celle de Fana 68 détenus pour une capacité de 50 places.
Le ratio d’encadrement défendu par l’observatoire international des prisons, requiert un surveillant pour huit détenus, un travailleur social pour 67 détenus, un infirmier pour 298 détenus et un médecin pour 2683 détenus…
Enquête réalisée
Par David Dembélé
Source: L’Investigateur