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Polémique sur l’avenir du franc CFA : Les responsables de la BCEAO rompent enfin le silence

Le franc CFA, instrument d’asservissement colonial et handicap économique ou gage de stabilité monétaire et de croissance ? Qu’est-ce que l’Afrique et la France y gagnent ? La survie et la prospérité des 14 pays africains qui l’utilisent dépendent-elles de son rejet ou de son maintien ? Le débat fait rage depuis un certain temps. Deux camps qui rivalisent d’ardeurs et d’arguments : d’un côté les contempteurs, de l’autre les défenseurs.

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Pendant tout ce temps, les responsables de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest(BCEAO), considérant qu’ils ont un devoir de réserve et ne doivent pas amener un débat technique sur la place publique, s’étaient garder de toutes sorties médiatiques intempestives. Pour la toute première fois, las de voir selon eux, prospérer des contre-vérités susceptibles d’induire en erreur les populations de bonne foi, ils sont sortis de leur mutisme sur les ondes de Radio France internationale(RFI) le dimanche 1er octobre 2017.

L’on peut dire que les intervenants à l’émission « Le débat africain », sur les antennes de RFI, concernant la problématique du maintien ou du rejet du franc CFA constituaient une palette de rêve. L’on avait Tiémoko Meyliet Koné, Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Ismaïla Dem, Directeur Général de l’Economie et de la Monnaie de la BCEAO, Habib Thiam, Directeur de la Stabilité Financière de la BCEAO, Pr Ndongo Samba Sylla, Economiste de la Fondation Rosa Luxembourg et co-auteur de « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire », Gilles Yabi, Analyste politique, fondateur du Wathi, « think tank citoyen » pour l’Afrique de l’Ouest.

C’était vraiment la première fois que l’on avait l’occasion d’entendre les hauts cadres de la BCEAO sur la question. Une question qui est objet de toutes sortes de controverses dans lesquelles s’entrechoquent thèses souverainistes et démarches techniques et pragmatiques. Il était vraiment temps que ces experts qui occupent des fonctions stratégiques dans cette institution de prestige qu’est la BCEAO donnent leurs avis sur ce sujet d’intérêt certain et objet de discussion tumultueuse. Leurs interventions auront-elles le mérite de recadrer le débat et de le dépassionner ? Rien n’est moins sûr vraiment… Et comme l’on pouvait s’y attendre avec la présence de certains pourfendeurs du franc CFA, en l’occurrence Pr Ndongo Samba Sylla et Gilles Yabi, le débat a donné lieu à de véritables tirs qui pour sûr, ne manqueront pas de se poursuivre à d’autres niveaux.

Le Franc CFA : une scorie de la colonisation selon ses contempteurs

Pour bon nombre d’activistes panafricanistes, le franc CFA n’est pas autre chose qu’un instrument de néo colonisation savamment mis en place par l’ancienne métropole, la France, pour continuer à spolier les pays africains. Certes, la remise en cause de cette monnaie a toujours existé. Mais elle a monté d’un cran ces derniers temps avec l’action audacieuse de l’activiste Kémi Shéba qui a brûlé à Dakar un billet de 5 000 francs pour exprimer toute sa désapprobation. L’action judiciaire de principe, pour éviter la prolifération d’actes illégaux de ce type, engagée par le gestionnaire principal du franc CFA en Afrique de l’Ouest, la BCEAO, contre cet activiste n’a fait qu’emballer le débat. Depuis, l’on a assisté à des mouvements de rue dans certains pays pour non seulement décrier l’action de la banque centrale contre l’activiste, mais encore pour rejeter à cor et à cri une monnaie qu’ils considèrent comme d’essence coloniale et « françafricaine ».

Outre cette jeunesse africaine organisée progressivement en ordre de bataille via les organisations de la société civile et qui se déchaîne de plus en plus contre le franc CFA, il y a les intellectuels et les politiques souverainistes qui tirent à boulets rouges sur cette monnaie. En août 2015, en marge de la fête de l’indépendance du Tchad, le président Idriss Déby avait pris position ouvertement contre le franc CFA notamment contre certaines clauses : « Il a des clauses qui sont dépassées… Ces clauses tuent l’économie de l’Afrique ». L’ancien ministre du Togo Kako Nubukpo est également un pourfendeur attitré du fcfa avec une réthorique bien huilée évoquant une servitude volontaire.Selon l’économiste Ndongo Samba Sylla participant à l’émission du 1er octobre dernier, le franc CFA est une monnaie qui est sous tutelle d’abord française, ensuite européenne. Par conséquent, les pays africains qui l’utilisent ne peuvent pas décider de leur politique de change, ce qui ne leur permettrait pas decréer les conditions endogènes adéquates pour booster le développement.

Cette façon de représenter le franc CFA n’est pas partagée par les gestionnaires de la BCEAO. Les hauts cadres de la banque centrale se sont littéralement démarqués de tous ceux qui soutiennent le caractère obsolète et colonial du franc FCFA

Le franc CFA : une monnaie africaine et utile selon les cadres de la BCEAO

Selon le premier responsable de la BCEAO, ceux qui disent que le franc CFA est une monnaie de servilité ont tort. Comment se fait-il que plus de 55 ans après leurs indépendances, les pays africains colonisés par la France ne soient pas capables de créer leur propre monnaie ? Voilà une question refrain de ceux qui critiquent avec acrimonie l’utilisation du franc CFA. A ce propos, Tiémoko Meyliet Koné affirme : « Je n’en suis pas du tout gêné. Ce qui me gêne plutôt, c’est de devoir expliquer et convaincre que des pays africains, après leurs indépendances aient délibérément décidé d’avoir une monnaie, une monnaie africaine, et de la mettre comme un ciment dans une intégration monétaire,et qu’on soit obligé de dire que c’est leur monnaie… ». Plus loin sur cette question d’appartenance de la monnaie, le gouverneur est plus clair : « Ce n’est pas la monnaie du Blanc. Et ça ne sera pas la monnaie du Blanc… »

Après avoir défendu l’identité africaine du franc CFA, les gestionnaires de la BCEAO ont décliné des raisons qui militeraient pour son maintien. L’on y décèle surtout des motifs de stabilité, de convertibilité, et par ailleurs de sécurité et de coût pour sa fabrication en France, des raisons chères aux premiers responsables qui estiment que saborder le franc CFA, c’est comme annoncer l’aube du naufrage économique des pays qui l’utilisent. Il n’est donc pas question de chercher à quitter cette monnaie. Sur ce fait, à Alain Foka qui demande au gouverneur si la création d’une monnaie est envisagée, celui-ci dit ceci : « On ne sort d’une monnaie qui nous appartient. Le CFA nous appartient. Donc, vous voulez qu’on sorte et qu’on aille où ? […] Non, parce qu’il y a une monnaie. Peut-être que l’articulation de cette monnaie peut changer, peut évoluer. Mais ça évoluera avec le temps parce que c’est cela qui est sage » soutient-il.

Maintenir le franc CFA pour des raisons de stabilité du pouvoir d’achat des populations, de convertibilité de cette monnaie pour des paiements à l’extérieur et poursuivre jusqu’à preuve du contraire, sa fabrication par une entreprise française pour des motifs de sécurité et de coût, selon les cadres de la BCEAO

Le Gouverneur Koné explique en disant que « la stabilité des prix, c’est ce qui permet à la ménagère qui va au marché de ne pas être inquiète parce qu’elle ne sera pas surprise que, du jour au lendemain, du fait de la perte de valeur de la monnaie, le prix du riz soit multiplié par dix ou augmente de façon incontrôlée. C’est aussi le cas d’un malade qui va dans une pharmacie. Il se rassure que les prix des médicaments auxquels il a accès d’habitude n’augmenteront pas de façon exponentielle. C’est ça que cela veut dire la stabilité du pouvoir d’achat. Si cela n’est pas le cas, on aura des frondes sociales. Mais pour les entreprises, l’inflation est beaucoup plus grave parce que ça veut dire qu’elles vont produire avec des coûts réels qu’elles ne maitrisent pas et qui peuvent changer du jour au lendemain ». S’agissant de la convertibilié, il y a des pères de famille qui ont des enfants qui sont à l’extérieur et à qui ils envoient régulièrement de l’argent pour leurs bourses. Si la monnaie n’était pas convertible cela n’aurait pas été possible . »

Concernant la question de sécurité, l’on apprend que sur les 52 pays africains, il n’y aurait que huit qui fabriqueraient eux-mêmes leur monnaie. En tout état de cause, le fait que les pays qui utilisent le franc CFA ne le fabriquent pas eux-mêmes ne poserait aucun problème selon les responsables de la BCEAO. « Parce que d’abord c’est une technologie qui est très chère, qui évolue très vite et puis qui est très concurrencée par les faussaires » a expliqué le gouverneur. Est-ce que le fait de faire fabriquer la monnaie en France ne donne-t-il pas l’opportunité à cette dernière d’avoir la mainmise là-dessus ? « Non ! Pas du tout » d’après le gouverneur qui ne ménage pas ses arguments pour soutenir les exigences de sécurité, de qualité et de coût associées à la fabrication des billets CFA .

Sur d’autres plans, le ton du gouverneur est le même. S’agissant de la question de l’arrimage du franc CFA à l’euro, elle n’ouvre aucune brèche permettant à la France de contrôler la monnaie. Il reconnait qu’il y a eu, à certains moments, des rencontres avec la France pour passer en revue l’ensemble des accords signés, voir leur état de fonctionnement. Il précise qu’en dehors de ces concertations, aucune décision au niveau de la banque centrale concernant la politique monétaire n’est prise à Bercy ou ailleurs en France.. Les représentants de la France au niveau de la banque centrale ont les mêmes pouvoirs que ceux des pays membres de l’UMOA. Ils ne disposent d’aucun droit de véto.

Dans la suite des explications, il apparaît que l’arrimage et la logique paritaire qui sous-tendent le franc CFA lui assureraient une convertibilité et une stabilité qui seraient indispensables au développement et à la croissance. « Si aujourd’hui les investisseurs qui viennent dans nos pays n’avaient pas la possibilité avec la convertibilité du franc CFA de pouvoir faire des transactions, il y a longtemps que les investissements se seraient arrêtés » indique le gouverneur.

Or selon d’autres experts, le mécanisme d’assurance qu’offre le trésor français, via l’arrimage à l’euro et la parité fixe, aux pays utilisateurs du franc CFA leur permet de s’assurer contre les défaillances de la gouvernance monétaire et économique vis-à-vis de l’extérieur. Ce ne serait donc pas un mécanisme qui peut leur permet d’enclencher la transformation structurelle dont parlent pourtant les experts de la BCEAO. Ce sur quoi s’appuie Ndongo Samba Sylla pour dire : « Dans le cas de la zone franc CFA, on a fait le choix de dire que ce qui nous intéresse, c’est l’équilibre externe mais pas l’équilibre interne. Et ce qu’on voit dans la littérature économique, c’est qu’effectivement les pays qui ont choisi l’équilibre interne ont un peu plus d’inflation mais la production est plus stable. Par contre les pays qui ont fait le choix de l’équilibre externe comme les nôtres, les prix sont bas mais la production très instable ».

Comme l’on pouvait s’y attendre, cette idée n’est naturellement pas du goût des experts de la BCEAO qui en se basant sur la maitrise de l’inflation, soutiennent que le franc CFA dans son organisation actuelle ne saurait être un handicap à la production locale. Mieux, il créerait une visibilité aux opérateurs économiques, ce qui leur donne la possibilité de faire des prévisions et d’investir en conséquence. Pour Gilles Yabi, sur cette question, il faut couper la poire en deux. Il explique : « Je crois qu’il faut reconnaître que le franc CFA a au moins un avantage, c’est celui de la stabilité. Et il faut reconnaître que la stabilité malgré tout joue un rôle rassurant sur les investissements et un rôle qui est très positif pour la croissance.

Mais en même temps, il faut reconnaître que lorsqu’on met l’accent sur la stabilité, généralement on perd en dynamisme, on perd notamment en incitation à la production locale ». Il soutient par la suite que le débat revêt un caractère symbolique que les techniciens ou les experts monétaires ne devraient pas aussi écarter surtout qu’il y a une cristallisation de l’opinion africaine sur la question.

LEFASO.NET / Par Anselme Kammanl • jeudi 5 octobre 2017 à 00h24 

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