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POINT D’HISTOIRE: Une Afrique pionnière

Dans un essai de prospective sur l’Afrique, en 2025, mené par Futurs africains, au sein du PNUD (et publié chez Karthala, en 2003), plus de mille Africains originaires de 46 pays se sont penchés sur la question des devenirs possibles du continent .Une telle étude prospective n’avait plus été réalisée depuis la publication, en 1988, d’un rapport de la Banque mondiale intitulé : «L’Afrique subsaharienne, de la crise à une croissance durable».

continent carte drapeau afrique

Ce travail aboutit à la conclusion que même si l’état des lieux de la situation actuelle en Afrique dresse un constat désastreux (ce que nous avons pu observer dans le premier chapitre de ce livre), les Africains sont aujourd’hui en train de se réapproprier leur histoire et leur destin. La question est bien sur de savoir comment va évoluer le continent. Certes, les scénarios pour 2025 dépendent de quelques données internationales que l’Afrique ne maîtrise pas :

– l’évolution du prix des matières premières;

– l’ampleur des financements octroyés par la communauté internationale  et notamment le règlement de la question de la dette ;

– l’adoption ou non de plans de développement globaux ;

– la croissance ou, au contraire, la récession des pays développés et des pays émergents, qui forment les principaux acheteurs des produits africains ;

– et, bien sûr, la question, qui est étroitement liée à ce dernier point, de savoir si l’Afrique pourra continuer de bénéficier d’un traitement de faveur dans les relations commerciales internationales (Accords de Cotonou, système généralisée de préférences, accord «tout sauf les armes», AGOA…), alors que l’OMC prévoit à terme la disparition de tous les régimes dérogatoires. Or, la vulnérabilité africaine explique que le continent ait absolument  besoin de continuer à bénéficier de traitements préférentiels, sous peine d’être définitivement distancé dans la compétition mondiale.

De même, reconnaître le droit au protectionnisme des économies africaines pour protéger leurs industries naissantes et leur agriculture ne serait que leur accorder ce que les pays développés s’octroient depuis la révolution industrielle et qui leur a permis de décoller économiquement.

Il est essentiel que les paysans africains puissent être correctement rémunérés pour leurs récoltes : c’est la condition pour qu’ils s’engagent enfin dans l’intensification et pour que les pays africains puissent se développer sur une base solide en créant un marché intérieur.

Donner du pouvoir d’achat aux paysans, c’est sauver l’Afrique. Mais cela, les dirigeants africains eux-mêmes doivent le comprendre : depuis les indépendances, ils n’ont jamais cessé de taxer leur paysannerie de toutes les manières possibles, pour financer la croissance des fonctions publiques, des villes, des industries… et de beaucoup de dépenses de prestige et de fortunes privées.

Ainsi, et les Africains sont désormais les premiers à le reconnaitre, le destin de l’Afrique dépend d’abord des Africains eux-mêmes. De leurs choix économiques et politiques, de leur capacité à bâtir des politiques d’intégration régionale, de leur aptitude à réaliser la synthèse entre la tradition et la modernité, dépend l’avenir du continent.

«La première révolution culturelle qui s’impose en Afrique, c’est la révolution de la probité, qui sera menée de pair avec la révolution de l’éducation», résume Tidiane Diakité dans son livre, L’Afrique et l’aide, ou comment s’en sortir ? (L’Harmattan, 2002) : la sous-scolarisation des enfants africains est incompatible avec le développement durable, la corruption sape le développement économique  et la construction d’un Etat de droit. L’Afrique a absolument besoin d’élites intègres, tournées vers l’intérêt public, le service public.

Certains justifient l’ampleur des détournements qui ruinent aujourd’hui l’Afrique et découragent ceux qui veulent l’aider, par la force des mécanismes de redistribution qui caractériseraient les sociétés africaines et justifieraient des pratiques d’appropriation systématique du bien public au profit des clientèles, des proches et des obligés. Mais les fortunes accumulées partent en réalité largement à l’étranger et la solidarité s’exerce surtout entre les pauvres.

Afrique 2052 soulève la même question que Tidiane Diakité- certes de moins abrupte- en concluant que l’avenir du continent dépend de savoir s’il continuera à privilégier le lien, c’est-à-dire, les relations sociales, ou le bien, c’est-à-dire les relations économiques (il faut entendre par cette formule l’idée de bien produit et non bien (mal acquis) : l’Afrique doit entrer dans une logique d’accumulation productrice, et non plus de communication immédiate et ostentatoire.

Dans le premier cas, explique l’ouvrage, «les lions seront pris au piège» : l’Afrique sera égale à elle-même, marginalisée, pauvre, dépendante ; elle ne connaîtra de catastrophe majeure, mais elle ne sera pas non plus sur la voie du développement. Le risque est alors pour elle de basculer dans le scénario terrible des lions «faméliques», vision apocalyptique d’une Afrique affamée et malade, abandonnée à elle-même dans des «friches étatiques» où seule règne la loi des seigneurs de la guerre.

Dans le troisième scénario, «les lions sortent de leur tanière»: la nouvelle génération d’hommes politiques africains met en place des Etats forts et inspirés, orientés vers le développement de l’économie.

L’Afrique sort enfin de l’économie rentière où elle s’était enfermée, elle s’engage dans des processus d’accumulation productrice. Certes, elle ne renie pas pour autant son passé et accorde toujours une place importante aux liens sociaux, à la coutume, aux autorités coutumières et religieuses, mais elle ne se laisse pas enfermer dans la tradition, car, résume Axelle Kabou, «l’Afrique du XXIème siècle sera rationnelle ou ne sera pas».

Mais ne risque-t-elle pas alors de tomber dans le piège que dénonçait, dès 1962, le Peul sénégalais Cheik Hamidou Kane dans son livre L’Aventure ambiguë : celui d’imiter ces Occidentaux qui sont «tellement préoccupés par le rendement de l’outil qu’ils en oublient l’immensité infinie du chantier ?» Voilà pourquoi le dernier scénario d’Afrique 2025, celui qui emporte la préférence de ses valeurs, est intitulé «les lions marquent leur territoire».

Cette Afrique-là aura réussi à marier les logiques productives et les logiques rationnelles, à réaliser une alliance entre les pouvoirs politiques et les pouvoirs symboliques, à mettre en œuvre une «voie africaine de développement», fondée sur une véritable citoyenneté, elle foisonnera des réussites de l’économie populaire dans un contexte de décentralisation et de et de reconnaissance de la diversité culturelle du continent. L’Afrique jouerait un rôle de pionnière en inventant de nouvelles formes de développement, moins matérialistes que le modèle occidental.

 

L’Afrique pionnière ?

Elle en a les caractéristiques géographiques : jeunesse et vitalité démographique, sous- peuplement et abondance des terres neuves, forte capacité d’adaptation et de mutation, mobilités spéciales et identitaires, ressources encore largement inexploitées, voire inexplorées.

Le dynamisme créateur des peuples pionniers est aujourd’hui la chance de l’Afrique. Reste à l’Occident à la soutenir en passant le continent des «contrats de développement durable», qui permettraient d’inscrire des mesures d’annulation de dette et d’accroissement de l’APD dans un cadre concerté et cohérent.

Définir avec les Etats concernés des objectifs chiffrés sur des territoires pilotes, en matière de réduction de la mortalité infantile, d’électricité ou d’accès à l’eau potable par exemple, secteurs-clés pour le développement, conditionner la délivrance de l’aide à la réalisation de ces objectifs, coordonner le travail aujourd’hui épars des multiples acteurs qui interviennent en Afrique (Etats, ONG, entreprises, agences d’aide…), contrôler que les sommes débloquées vont bien à ce pour quoi elles ont été délivrées, c’est par de tels «CDD» que l’Afrique pourra enfin cesser d’être un continent riche peuplé de pauvres et de passagers clandestins et, en construisant un vrai marché intérieur, s’engager sur la voie du développement durable.

Sylvie Brunel, décembre 2003

MONDE

 

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