Le président français a quitté l’Algérie le samedi 27 août, raccompagné à l’aéroport par Abdelmadjid Tebboune, après trois jours de visite. Pour ce quotidien algérien, la rencontre entre les deux chefs d’État a abouti à “beaucoup de déclarations générales, lourdes de leurs prudences”. Le récit du quotidien “Le Matin”.
Est-ce la fin de la guerre mémorielle soixante ans après la fin de la guerre d’indépendance ? A priori oui, mais prudence. Emmanuel Macron était plus dans la symbolique. Aucun sujet qui fâche. À l’aise avec la presse qui l’a accompagné, Emmanuel Macron a beaucoup dit, mais sans s’avancer. Roué, il a tourné sa langue sept fois avant de parler. Quant à Tebboune, il a assuré le service de maître des céans sans effets de manches. Les dossiers qui pourrissent les relations sont effleurés, voire remise à une autre visite, d’État, assure-t-on.
Le travail de mémoire de la colonisation ? On crée une commission d’historiens. Pas mal. Le partenariat économique, on verra,… La question des violations des droits de l’homme et les 300 détenus d’opinion qui croupissent dans les prisons ? À croire que l’Algérie n’a pas vécu le printemps 2019 avec ses millions de manifestants dans les rues qui réclamaient un changement pacifique. Donc rien. Pas un mot. On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu.
Au bout de trois jours, la visite de Macron en Algérie aura été conclue par la signature de “la déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé”. Objectif ? Relancer des relations entre Alger et Paris, encalminées depuis plusieurs années. Aucun contrat, ni prochaine visite, n’est annoncé. On veut mettre un pas devant l’autre, pas de précipitation.
Ces relations vont repartir sur “une dynamique irréversible” ont assuré samedi 27 août les présidents français et algérien, en scellant la réconciliation bilatérale au terme d’une visite “excellente et réussie” d’Emmanuel Macron, selon son hôte Abdelmadjid Tebboune.
Signe de leur bonne entente, Tebboune a raccompagné Macron à son avion, avec les honneurs militaires, et ils se sont salués, la main sur le cœur. Toutes les déclarations assassines sont donc oubliées ?
L’enjeu sécuritaire au Mali
Plus tôt, les deux dirigeants ont signé solennellement à Alger un document qui “renouvelle leur engagement à inscrire leurs relations dans une dynamique de progression irréversible”, soixante ans après la fin de la guerre d’indépendance.
Pour Abdelmadjid Tebboune, qui inhabituellement s’exprimait en français, les trois jours de visite d’Emmanuel Macron ont “permis un rapprochement qui n’aurait pas été possible sans la personnalité même du président”.
Désormais, les deux pays vont pouvoir “agir ensemble dans beaucoup de domaines en dehors de l’Algérie et la France”. “Ce rapprochement va nous permettre d’aller très très loin”, a-t-il ajouté.
Abdelmadjid Tebboune s’est félicité de la réunion de très haut niveau qui a réuni à Alger le vendredi 26 août les présidents et les services de sécurité des deux côtés, y compris l’armée, “pour la première fois depuis l’indépendance” de l’Algérie en 1962, annonçant des actions communes “dans l’intérêt de notre environnement géopolitique”.
Pour Alger, la visite d’Emmanuel Macron consacre son rôle stratégique en Afrique du Nord, sachant que l’Algérie partage 1 400 kilomètres de frontières avec le Mali, d’où la France a dû se retirer récemment, et près de 1 000 de kilomètres avec la Libye, plongée dans le chaos depuis la chute de Kadhafi et qui a connu ce samedi 27 août un regain de violence inquiétant.
Ayant perdu pied au Mali, il était en effet important pour la France de retrouver des rapports de pleine confiance avec l’Algérie dont la profondeur géographique et l’influence au Mali ne sont pas négligées. Il faut rappeler que la France a encore un journaliste otage au Mali [Olivier Dubois]. Il est fort probable que ce cas ait été évoqué au cours des échanges. Mais pas seulement.
Selon la déclaration, ce “nouveau partenariat privilégié” [voir ci-dessous] est “devenu une exigence dictée par la montée des incertitudes et l’exacerbation des tensions régionales et internationales”.
Pour “rehausser” le niveau de “leurs concertations”, Paris et Alger vont instaurer un “haut conseil de coopération” au niveau des chefs d’État, qui se réunira “tous les deux ans”, alternativement à Alger et Paris, pour examiner les “questions bilatérales, régionales et internationales d’intérêt commun”. Des visites ministérielles dans tous les domaines de coopération sont également prévues.
Affronter le passé “avec courage”
Pour Emmanuel Macron, la déclaration d’Alger va permettre que “l’intimité se renforce en ayant un dialogue permanent sur tous les sujets, y compris les sujets qui nous empêchaient d’aller de l’avant, car ils revenaient sans cesse, la mémoire par exemple”.
La question mémorielle autour de la colonisation française (1830-1962) et la sanglante guerre de libération avaient provoqué une grave brouille entre les deux pays à l’automne dernier, après des propos d’Emmanuel Macron sur lesquels il a fait amende honorable.
La commission mixte d’historiens décidée pendant la visite d’Emmanuel Macron pour aplanir les dissensions et affronter “avec courage” le passé, selon les mots du président français, “pourrait être installée dans les quinze à vingt jours qui suivent”, a annoncé Abdelmadjid Tebboune.
La déclaration d’Alger évoque aussi en filigrane la question des visas qui a également empoisonné la relation bilatérale ces derniers mois après une division par deux de leur nombre par la France pour les Algériens, au motif d’un manque de collaboration pour l’expulsion des indésirables.
Paris et Alger ont décidé de renforcer la lutte contre l’immigration clandestine tout en “encourageant la mobilité pour les étudiants, entrepreneurs, scientifiques, artistes, responsables d’association, sportifs” et les familles de binationaux. Le dossier des sans-papiers algériens en attente de leur expulsion a été un sujet de discorde ces dernières années. Là aussi, les partenaires vont accélérer les procédures.
“Partenariat équilibré”
Alger et Paris vont aussi donner “un nouvel élan” à leur relation économique dans “un partenariat équilibré dans l’intérêt des deux pays”, notamment dans le numérique, les énergies renouvelables, les métaux rares, la santé, l’agriculture et le tourisme.
Des coopérations multiples sont prévues aussi sur le plan culturel et sportif avec beaucoup de projets pour la jeunesse, dont un incubateur de startups, des aides aux jeunes entrepreneurs sur les deux rives, un développement conjoint de filières cinématographiques.
Avant de prolonger inopinément son voyage par un retour exprès à Alger, Emmanuel Macron avait découvert Oran, la grande ville de l’Ouest algérien, grimpant jusqu’au fort de Santa Cruz avec vue plongeante sur la Méditerranée. Il a déjeuné aussi avec Kamel Daoud et une dizaine d’amis de ce dernier au restaurant “La Liberté” qui a une vue panoramique sur El Bahia.
Il a rejoint ensuite la miniboutique du label Disco Maghreb, emblématique du raï, courant musical très populaire dans les années 1980, remis au goût du jour par le dernier morceau de DJ Snake. Cette virée a enflammé les réseaux sociaux. Beaucoup ne comprennent pas cette destination qui réduit la culture en Algérie à une simple boutique qui produit des K7. “C’est le kif de Macron, c’est son côté quadragénaire !” s’amuse un Oranais habitant Paris.
En bras de chemise, il a devisé avec le patron du label, Boualem Benhaoua, 68 ans, qui lui a annoncé que “de nouveaux talents seraient prochainement enregistrés dans un studio du bord de mer”. Il a ensuite pris un bain de foule un peu chahuté parce qu’une foule de gens voulait le saluer et faire des selfies, avant de rencontrer des champions de breakdance.
Source : Courrier international