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Parler avec les jihadistes ? Le dilemme qui agite le Mali

L’idée d’une négociation avec les groupes islamistes maliens a été évoquée à l’issue de la Conférence d’entente nationale qui s’est tenue à Bamako. Les gouvernements français et malien s’y opposent.

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C’est un sujet embarrassant pour Bamako qui a resurgi ce mois-ci. Faut-il dialoguer avec les jihadistes maliens ? Cette suggestion, contenue dans une discrète ligne du rapport de la Conférence d’entente nationale qui s’est tenue du 27 mars au 2 avril, a fait couler beaucoup d’encre dans la foisonnante presse locale. Comment interpréter autrement cette recommandation, inscrite au chapitre 7.3, de «promouvoir une culture de paix et de dialogue avec tous les fils de la nation, y compris avec des islamistes maliens une fois que leurs préoccupations, comprises, n’entament pas l’unité nationale et les fondements de la République» ?

La question est, en réalité, évoquée depuis longtemps par les responsables politiques et religieux à Bamako. Mais jamais à voix haute, car chacun sait que l’idée déplaît souverainement à Paris. Depuis 2013, la France a déployé des milliers d’hommes pour combattre les groupuscules jihadistes implantés au Sahel. Dix-neuf soldats de l’opération «Serval», puis «Barkhane» (à partir d’août 2014), sont morts au Mali. Certains dans des attaques revendiquées par des islamistes maliens. Immédiatement après la Conférence d’entente nationale, le Président, Ibrahim Boubacar Keïta, a semblé fermer la porte à toute idée de négociation. «Il n’y aura aucune discussion avec les terroristes», a-t-il affirmé.

Actions de harcèlement
Derrière ce dilemme très théorique – peut-on négocier avec un ennemi qui a recours à des actions terroristes pour atteindre ses objectifs ? –, c’est un cas très concret qui fait débat. Celui d’Iyad ag-Ghaly, l’homme à la tête du groupe jihadiste Ansar ed-Dine. Touareg de la lignée noble des Ifoghas, «Iyad», comme l’appellent les Maliens, est un vétéran des guerres du Sahara. Passé par les rangs de la légion verte de Kadhafi, il fut, dans les années 90, l’une des figures centrales de la rébellion touareg contre le pouvoir central. A ce titre, il signa un accord de paix avec Bamako qui conduisit, le 26 mars 1996, à la dissolution de son Mouvement populaire de l’Azawad, au cours d’une cérémonie symbolique où 3 000 armes furent brûlées à Tombouctou.

Dans les années 2000, Iyad se rapproche du président malien, Amadou Toumani Touré. Il est nommé consul à Djedda en 2007, avant d’être expulsé du pays par les Saoudiens. Sa fréquentation du mouvement de prédication tabligh le fait entrer en contact avec des islamistes radicaux, notamment pakistanais. L’ex-rebelle reste cependant un relais utile de Bamako dans le Sahara : Iyad est notamment sollicité pour négocier la libération des otages occidentaux aux mains d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi).

C’est l’occupation des villes du nord du Mali, en 2012, qui va consacrer le basculement du personnage dans la sphère jihadiste. Iyad est alors le trait d’union entre les cadres d’Al-Qaeda, souvent des Algériens, et les touaregs maliens. Son organisation, Ansar ed-Dine, est fondée à cette époque. Depuis l’intervention française, elle a plongé dans la clandestinité et revendique régulièrement des actions de harcèlement contre les forces de Barkhane, les Casques bleus, ou l’armée malienne.

«Aucun signe d’ouverture»
«A la différence d’Al-Qaeda, Ansar ed-Dine n’a jamais kidnappé, ni commis des attentats à l’aveugle contre les civils, souligne Pierre Boilley, chercheur à l’Institut des mondes africains et bon connaisseur du monde touareg. Mais actuellement, Iyad ne donne aucun signe d’ouverture. Au contraire, il semble même s’éloigner : comment dialoguer avec quelqu’un qui a pour seul agenda l’instauration d’un califat et la propagation de la foi ?» Début mars, Iyad ag-Ghaly a en effet pris la tête d’une nouvelle organisation, le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans – fusion d’Ansar ed-Dine, d’Aqmi et du Front de libération du Macina – qui a renouvelé son allégeance à Al-Qaeda.

«Cela n’est pas très encourageant, admet Mahmoud Dicko, le président du Haut Conseil islamique du Mali. Mais c’est un enfant du pays, pourquoi ne pas essayer de lui tendre la main ?» Le religieux affirme n’avoir «jamais cessé de tenter de lui parler», en passant par des intermédiaires qui peuvent lui transmettre des messages. «On peut toujours le ramener à la raison, abonde un cadre touareg joint à Bamako, qui souhaite rester anonyme. Iyad est un musulman comme nous, il s’est assis à la table des négociations par passé.»

«Problème moral»
«Il a clairement rejeté l’initiative de Mahmoud Dicko, précise pourtant un spécialiste de la région. On agite aujourd’hui la possibilité de négocier avec Iyad, tout en posant comme condition la reconnaissance de la République une et indivisible… Ce qui est inacceptable pour lui.» Le chercheur Alexander Thurston, de l’université de Georgetown, a consacré plusieurs notes à cette question : «Quels pourraient être les termes d’une négociation ? Peut-être une amnistie pour Ansar ed-Dine… On dit qu’Ag-Ghaly n’est pas inflexible. Mais ses liens avec Al-Qaeda risquent de poser un problème insurmontable», commente-t-il.

A Paris, le principe même de dialoguer avec un homme désigné comme terroriste, et qui a revendiqué des attentats contre la France, est considéré comme inacceptable. Iyad doit être capturé et jugé, affirme officiellement le gouvernement français. Voire éliminé, ajoute-t-on tout bas. «Un “recyclage” d’Iyad fâcherait très fort Paris, c’est certain, mais après tout, c’est une question de souveraineté malienne, rappelle un connaisseur du dossier. Veut-on la paix ou la justice ? Toutes les résolutions de conflit sont traversées par cette question. Il y a bien entendu un problème moral, mais d’un autre côté, nous devons nous poser des questions pragmatiques : sortir Iyad du jihad serait-il efficace ? Il faut reconnaître que la réponse est oui.»

Par liberation.fr / 14 avril 2017 à 10:37

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