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Naufrage de la Cour constitutionnelle du Mali : l’arbuste qui cache la forêt

L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 avril 2020 portant proclamation des résultats définitifs du second tour de l’élection des députés à l’Assemblée Nationale a été un véritable coup de tonnerre dans la mesure où il a provoqué une crise institutionnelle d’une ampleur jamais atteinte dans ce pays et a déclenché non seulement le naufrage de cette juridiction, mais aussi celui des autres institutions démocratiques de l’Etat à la suite du coup d’Etat perpétré par les forces armées maliennes le 18 août 2020.

Cet arrêt a définitivement effacé de la mémoire de la classe politique l’accueil qui avait été réservé à un arrêt rendu le 25 octobre 1996 sous la présidence de son premier président, M. Abdoulaye Dicko, consacré à l’examen d’un projet de loi portant code électoral. A l’époque, le journal Le Scorpion avait titré le 30 octobre 1996 « La Cour constitutionnelle s’affranchit de toute dépendance ».

Si elle a été particulièrement vilipendée, maudite, à la suite de son arrêt du 30 avril 2020, la Cour constitutionnelle constitue cependant non pas l’arbre, mais l’arbuste qui cache la forêt et ce, pour plusieurs raisons :

Des délais intenables

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Mme Manassa Danioko, l’ancienne présidente de la Cour constitutionnelle, et ses huit conseillers ne constituent pas les seuls responsables du naufrage judiciaire de cette institution.

Ce naufrage résulte d’une mauvaise rédaction de quelques articles de la constitution du 27 février 1992, de la loi organique complétant celle-ci et des lois électorales fixant le calendrier des élections législatives et présidentielles.

On ne peut attendre d’un juge, quel qu’il soit, le prononcé d’une décision juste et équitable si, ni les avocats des parties au procès, ni lui-même, ne disposent du temps et des facilités nécessaires à la préparation de celle-ci.

Citons quelques exemples d’articles dont l’application a multiplié les risques d’erreurs judiciaires dans les procès électoraux :

L’article 32 de la constitution a posé comme règle que « les élections présidentielles sont fixées vingt et un jours au moins et quarante jours au plus avant l’expiration du mandat du président en exercice ».

L’article 42 instaure la même règle en cas de dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République.

Cette règle signifie que tout ce qui concerne l’élection du président de la République qu’il s’agisse des dépôts de candidature, des éventuels procès concernant la régularité de ces dépôts, des campagnes électorales, de l’organisation du premier tour, des contestations judiciaires relatives à la régularité des votes effectués, de l’organisation du second tour doivent s’effectuer dans le délai de 40 jours !

Le résultat de ce délai déraisonnable est la mise en place constitutionnelle d’une justice expéditive.

Quelques exemples suffisent à le démontrer :

– les candidats aux élections présidentielles ou législatives disposent d’un délai de vingt-quatre heures seulement pour contester devant la Cour constitutionnelle le refus de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) d’enregistrer leurs candidatures.

Même en passant une nuit blanche, comment un avocat peut-il réunir suffisamment d’éléments de preuve relatifs par exemple aux mentions erronées ou incomplètes d’une liste de parrainage pour assurer une défense efficace dans un délai aussi bref ?

Quant à la Cour constitutionnelle, la loi précise qu’elle statue sans délai, autrement dit, immédiatement (Article 31 de la loi organique du 11 février 1997).

– les candidats aux élections présidentielles ou législatives peuvent saisir la Cour constitutionnelle durant les cinq (5) jours qui suivent la date du scrutin (Article 32 de la loi organique du 11 février 1997).

Cette règle n’est d’aucune utilité pour un candidat qui, avant la proclamation des résultats par la CENI, ignore s’il a gagné ou perdu l’élection et par voie de conséquence s’il a ou non intérêt à contester les conditions de son déroulement devant la Cour constitutionnelle.

– la loi précise en outre que dans les quarante-huit heures qui suivent la proclamation des résultats provisoires des premier et deuxième tours de l’élection du président de la République ou des députés, tout candidat, tout parti peut contester la validité de l’élection d’un candidat devant la Cour constitutionnelle (Article 32 de la loi organique du 11 février 1997).

Ce délai est manifestement insuffisant pour permettre à un candidat, même assisté de plusieurs avocats, de réunir l’ensemble des éléments de preuve pour justifier les irrégularités qui ont pu être commises à son détriment dans un ou plusieurs bureaux de votes des nombreuses communes qui composent une circonscription électorale.

Certes le délai fixé en matière d’élections présidentielles est inspiré du droit électoral français.

Cependant, la France est dotée d’un cadre établi d’institutions démocratiques depuis plusieurs siècles alors que le Mali est encore à la recherche de telles institutions.

En outre, il existe une différence manifeste entre les situations respectives de ces deux Etats aussi bien dans les domaines géographique, économique, financier, administratif, culturel, que dans la nature et l’importance des infrastructures, des moyens de communication ainsi que des moyens matériels et financiers consacrés à l’organisation des élections.

Enfin, alors que la France a institué des délais de recours différents selon qu’il s’agit des élections présidentielles ou des élections des députés, le Mali a adopté les mêmes délais pour les deux types d’élections.

En effet en France, l’élection d’un député ou d’un sénateur peut être contestée devant le Conseil constitutionnel par tout électeur de la circonscription intéressée ou par toute personne qui y a fait acte de candidature dans le délai de dix jours suivant la proclamation des résultats de l’élection, au plus tard à dix-huit heures.

Le Niger a adopté la même disposition (article 105 du code électoral nigérien).

Au Mali, comme on l’a déjà précisé, ce délai est de cinq jours à compter du jour du scrutin et de quarante-huit heures (48 heures) à compter de la proclamation des résultats provisoires.

Ainsi, lorsque les résultats sont proclamés à vingt-une heures quinze minutes, le décompte du délai de quarante-huit heures commence à cette heure précise, obligeant alors les candidats et leurs avocats à commencer immédiatement le travail de préparation de leurs plaintes.

En outre, à la différence de ce qui se passe au Mali, en France, pendant le délai de dix jours, les procès-verbaux des bureaux de vote restent à la disposition des personnes pouvant exercer le recours dans les bureaux de la préfecture.

Conséquence de cette situation, l’arrêt du 30 avril 2020 a rejeté 17 des 79 plaintes parce qu’elles n’étaient accompagnées d’aucun élément de preuve (12) ou de simples photocopies de récépissés des résultats des bureaux de vote incriminés sans aucun élément probant c’est-à-dire convainquant (5).

Les hommes politiques et une partie des Maliens ont été sensibilisés sur la question de la brièveté des délais d’organisation des élections présidentielles à deux reprises :

– d’abord en 2012, quand à la suite du coup d’Etat du capitaine Amadou Haya Sanogo, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a obligé les putschistes à rétablir la Constitution du 25 février 1992 et à accepter un accord dans le cadre duquel le président Amadou Toumani Touré a démissionné de ses fonctions et M. Dioncounda Traoré, le président de l’Assemblée Nationale, a été désigné en qualité de président par intérim pour organiser l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel de 40 jours, ce qui n’a pas été possible.

– ensuite en 2018 lorsque la durée totale de la campagne électorale du deuxième tour de l’élection présidentielle du 12 août 2018 a été de … 48 heures seulement !

Des recours limités

La Cour constitutionnelle a rejeté la plainte n° 2 déposée par une douzaine de chefs de villages ou de fractions (parties de villages) de la circonscription électorale de Gourma-Rharous demandant l’annulation des suffrages issus du scrutin du 19 avril 2020 communiqués au titre de leurs localités respectives parce qu’à la suite des enlèvements du matériel électoral par des inconnus, aucune opération électorale n’a pu avoir  lieu dans lesdites localités (arrêt, p. 4).

Elle a justifié sa décision en énonçant que ces chefs de village ou de fractions (de parties de villages) n’étant ni chefs de partis, ni candidats, ni mandataires de candidats, ils n’avaient, compte tenu de leurs fonctions respectives, qualité à agir, autrement dit, n’étaient pas concernés par le litige.

Cette décision est certes fâcheuse, c’est-à-dire regrettable mais elle est fondée sur l’article 32 de la loi organique n° 97-010 du 11 février 1997 modifiée par la loi n° 2002- 011 du 5 mars 2002 relative à la Cour constitutionnelle qui limite le droit de porter plainte devant la Cour constitutionnelle aux candidats ou à leurs mandataires ainsi qu’aux partis politiques.

A l’occasion d’une modification de la loi électorale, il serait raisonnable de reconnaître l’intégralité des droits politiques des électeurs qui inclut non seulement le droit d’accès aux procès-verbaux des opérations de vote pendant la durée de ces opérations pour y faire porter mention de leurs réclamations, mais aussi la qualité à agir devant la Cour constitutionnelle (c’est-à-dire le droit de porter plainte devant cette Cour).

Une telle règle existe en France.

Si cette règle est adoptée, les réclamations des chefs de villages et des fractions seraient recevables devant la Cour constitutionnelle.

L’opacité des décisions de la Cour constitutionnelle

Les rédacteurs de la constitution et des lois organiques (Lois complétant la Constitution) et électorales ont également assuré l’opacité, c’est-à-dire l’absence de clarté des décisions de la Cour constitutionnelle.

En effet, l’article 25 de la loi organique du 11 février 1997 précise que les débats devant cette Cour ne sont pas publics.

Seuls les arrêts sont prononcés en audience publique en matière de contentieux électoral (procès électoral).

Pourtant, l’audience publique des débats assure une certaine transparence de l’administration de la justice et protège le justiciable contre une justice secrète qui fait naître des doutes, voire des fantasmes sur les motivations réelles ou supposées des magistrats ayant statué.

Cette transparence est capitale au Mali où règne une forte suspicion de partialité des magistrats au profit des dirigeants politiques en place.

La technique de rédaction des arrêts prononcés par la Cour constitutionnelle en matière de procès électoraux a aussi contribué à l’opacité c’est-à-dire à l’absence de clarté de ses décisions.

En effet, celle-ci avait été saisie de 79 plaintes. On aurait pu s’attendre à ce que chaque plainte donne lieu à un arrêt. C’est ce qui se passe en France.

Mais, la Cour constitutionnelle a regroupé toutes ces plaintes pour les trancher en un seul arrêt. Cette méthode de traitement des plaintes semble avoir commencé en 1997, lors de la proclamation des résultats des élections législatives des 20 juillet et 3 août.

Dans son arrêt du 30 avril 2020, les noms des candidats plaignants apparaissent une fois sur deux seulement lors de la présentation des plaintes. L’arrêt cite généralement les noms des partis plaignants ou de leurs mandataires. Il ne donne pas les noms des candidats déclarés élus par la CENI mais dont l’élection était contestée par les plaignants.

Enfin, pour justifier leur décision, les juges se sont référés aux numéros des plaintes, ce qui rend encore plus ardu la compréhension de celle-ci par des juristes et à plus forte raison par des non-juristes.

Il en est résulté qu’à la lecture de l’arrêt, la seule chose entendue et comprise par les téléspectateurs a été la liste des députés élus.

Or, lorsque la compréhension de l’arrêt de la Cour constitutionnelle se limite à la connaissance des noms des députés élus, on imagine aisément la frustration, l’exaspération, voire l’indignation des candidats non élus et de leurs électeurs qui ne disposent d’aucune information sur les raisons précises pour lesquelles leurs plaintes ont été rejetées, ou celles de leurs adversaires ont été accueillies.

En outre, il résulte d’un principe classique lié à la bonne administration de la justice, que les magistrats doivent indiquer de manière suffisamment claire les justifications de leurs décisions.

Cette obligation de motivation des jugements est considérée depuis le début du 20ème siècle comme une garantie pour protéger le justiciable contre l’arbitraire et lui fournir la preuve que sa demande et ses arguments ont été sérieusement examinés.

Sur les 72 pages de son arrêt, la Cour constitutionnelle a consacré 28 pages à la présentation des plaintes appelées requêtes, 22 pages pour motiver sa décision, c’est-à-dire pour préciser les raisons juridiques ou de fait justifiant sa décision, et les 22 pages restantes pour présenter les résultats définitifs.

Ce choix l’a conduite à adopter une justification sommaire, succincte qui ne permet pas aux juristes et a fortiori aux non-juristes de savoir le motif exact pour lequel elle a rejeté certaines plaintes et accueilli d’autres.

En effet, elle a donné une réponse globale à plusieurs plaintes.

Ainsi, dans la plainte n° 1, un candidat de l’Union pour la République et la Démocratie (URD) demandait l’annulation des résultats de cinq (5) bureaux de vote parce que l’accès à ces bureaux avait été interdit à ses assesseurs et délégués.

La Cour constitutionnelle a examiné cette plainte avec 11 autres en précisant que « les requêtes n° 1, 7, 13, 14, 15, 16, 20, 31, 37, 52, 54 et 56 invoquent l’altération de la sincérité du scrutin par de multiples irrégularités (bourrage d’urnes, délocalisation de bureaux de vote, achat de conscience, falsification des résultats, annulation de bulletins valides, influence sur le vote des électeurs, composition irrégulière de bureaux de vote), la dégradation de la situation sécuritaire et sanitaire pour justifier l’annulation totale ou partielle, le recomptage et la reformation des voix obtenues par les candidats » (arrêt, p. 31).

Cette présentation des critiques des 12 plaignants n’inclut pas celle invoquée dans la plainte n° 1, à savoir que les assesseurs et délégués du plaignant n’avaient pas pu accéder à cinq (5) bureaux de vote.

De même, la Cour constitutionnelle précise qu’il résulte des plaintes n° 38 et 53 que les plaignants avaient expliqué « que la faible représentation de l’administration dans la circonscription électorale de Ségou, consécutive à la menace djihadiste, n’a pas permis de sécuriser le matériel et les agents électoraux ; qu’ainsi, des hommes armés ont brulé le matériel électoral dans les communes de Doura, Bellem, Farako, Sama Foulala, N’Gomadougou et Souba ; que par conséquent, les résultats issus de ces localités sont fictifs et doivent être annulés » (arrêt p. 42).

Si l’on s’en tient aux énonciations de l’arrêt, cette présentation de la plainte n° 38 est inexacte.

En effet, le candidat plaignant avait demandé l’annulation des opérations de vote dans certains bureaux et localités dans la circonscription de Ségou parce « qu’il y a eu des fraudes massives, des délocalisations de bureaux, des pressions sur les électeurs de nature à influencer les votes par des dons de sommes d’argent ainsi que des procès-verbaux non signés et des bureaux de vote irrégulièrement composés » (arrêt p. 15).

En outre cette justification du rejet des plaintes ne permet ni aux électeurs des différents plaignants, ni au public de savoir que chaque plainte avait été sérieusement et équitablement examinée.

L’insuffisance des explications de la Cour constitutionnelle n’a pas commencé sous la présidence de Mme Manassa Danioko. Elle a toujours existé et semble liée à l’obligation de rendre son arrêt dans des délais trop courts.

Une motivation quelquefois critiquable

De plus, la Cour constitutionnelle relève que des plaignants lui avaient communiqué comme preuves de leurs plaintes respectives des constats d’huissier ou des procès-verbaux dressés par les maires ou leurs secrétaires généraux.

Elle a rejeté les plaintes fondées sur les constats d’huissiers de justice en déclarant que selon sa jurisprudence, c’est-à-dire sa position traditionnelle, le seul constat d’huissier relayant le témoignage d’agents électoraux et d’autres personnes, en l’absence de tout autre moyen de preuve ne saurait réussir, à moins qu’elles ne portent sur des faits vérifiables par elle-même.

Elle a ensuite invoqué l’article 2 de la loi n° 2016-053 du 20 décembre 2016 relative au statut des Huissiers-Commissaires de justice qui précise que le constat d’huissier est un « acte purement matériel, exclusif de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » (arrêt p. 31).

Cette argumentation qui correspond effectivement à une position traditionnelle de la Cour constitutionnelle est étonnante dans la mesure où la définition du constat d’huissier correspond à une distinction entre les attributions respectives de l’huissier de justice et du juge. Il incombe au premier de procéder à de simples constatations de fait sans avoir à apprécier les conséquences juridiques qui relèvent du seul pouvoir du juge.

En outre, les constats d’huissier de justice sont couramment retenus comme éléments de preuve en France aussi bien par le juge civil que par le juge électoral. Il suffit de se référer aux décisions du Conseil d’Etat, l’équivalent de la section administrative de la Cour suprême du Mali, qui est juge du contentieux des élections des élections municipales, cantonales, régionales et de l’élection des représentants français au Parlement européen.

Ils sont aussi retenus comme éléments de preuve par la Cour constitutionnelle nigérienne (Voir l’arrêt n° 23/CC/ ME du 21 mars 2021, page 11).

La Cour constitutionnelle a procédé à l’annulation de plusieurs suffrages [Communes I, IV et VI] de Bamako, commune de Kati, Sikasso, Koro (communes rurales de Dinangourou et de Yoro )] pour irrégularités des bureaux de vote à la suite des remplacements des présidents de ces bureaux initialement nommés par les représentants de l’Etat par des personnes qui ne figuraient pas sur la liste des assesseurs. Elle s’est notamment fondée sur l’article 83 de la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018 portant loi électorale qui fixe les modalités de remplacement des membres des bureaux de vote.

Elle a considéré que le nombre élevé des bureaux concernés par le changement illégal de présidents, 56 en commune VI du district de Bamako, avait compromis la sincérité et la régularité du scrutin.

S’agissant de la commune de Kati, la Cour constitutionnelle a retenu que les remplacements illégaux avaient concerné 62 bureaux sur 76 que compte la commune et avaient été effectués par une décision sans signature mais revêtue du cachet du secrétaire général de la mairie de la commune du Mandé.

Ces annulations qui ont provoqué la crise électorale sont davantage justifiées par l’application stricte de la loi électorale que par une erreur d’appréciation de la Cour constitutionnelle ou par la volonté de ses membres de favoriser les candidats déclarés élus.

Cependant, une autre solution était possible.

En effet, en France, les juges du contentieux électoral (Conseil d’Etat – l’équivalent de la section administrative de la Cour suprême – ou Conseil constitutionnel), ne retiennent pas la seule irrégularité de la constitution d’un bureau de vote comme motif d’invalidation d’un scrutin. Ils apprécient si les remplacements irréguliers faisant l’objet de contestation étaient le fait de manœuvres frauduleuses ou s’ils avaient pu avoir une influence sur la liberté de vote et la sincérité des résultats de l’élection.

Autrement dit, les juges français se déterminent en se fondant sur les conséquences effectives de la composition irrégulière des bureaux de vote (constatation de l’existence de fraudes dans le déroulement du scrutin ou dans les opérations de dépouillement, soustraction du scrutin au contrôle des représentants d’un des candidats en présence, constatation d’autres irrégularités lors des opérations de vote ou de dépouillement, etc.).

Les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme vont dans le même sens. Celle-ci a posé comme règle que « les décisions d’invalidation d’un scrutin doivent répondre à une réelle impossibilité d’établir les souhaits des électeurs ». Elle considère que « le rôle des juridictions n’est en aucun cas de modifier l’expression du peuple » ; « que chaque votant doit avoir la possibilité de voir son vote influer sur la composition du corps législatif sous peine de vider de leur substance le droit de voter, le processus électoral et, en fin de compte, l’ordre démocratique lui-même ».

La Cour constitutionnelle nigérienne a adopté une position identique en précisant que « le droit de vote est un droit fondamental du citoyen ; que lorsqu’il est valablement exercé, il doit être protégé ; que l’annulation des scrutins ne doit intervenir que dans les cas prévus par la loi et notamment en cas d’atteinte prouvée à la sincérité, la transparence et la régularité du scrutin » (Voir l’arrêt n° 23/CC/ ME du 21 mars 2021, page 6).

Elle en a par exemple déduit que « la présence de tous les membres du bureau de vote (président, secrétaire, 3 assesseurs), l’indication de leurs numéros d’électeur et l’apposition de leurs signatures sur les procès-verbaux de dépouillement, ne constituent pas, par elles seules, des formalités substantielles dont l’inobservation doit entraîner systématiquement l’annulation des résultats des bureaux de vote concernés lorsque d’autres éléments existent et permettent de se convaincre que le scrutin s’est régulièrement tenu et qu’aucune contestation sérieuse ne s’est élevée à son propos ;

Qu’il revient au juge électoral de vérifier, à la lumière des circonstances du déroulement du scrutin à l’échelle d’un bureau de vote ou d’une circonscription donnée et de se faire une conviction sur la sincérité, la transparence et la régularité du scrutin » (Voir l’arrêt n° 23/CC/ ME du 21 mars 2021, page 7).

Au Mali, le fait d’invalider des scrutins sans tenir compte de l’incidence d’une telle décision sur le processus électoral n’a pas commencé avec cette Cour constitutionnelle.

Il a été révélé par l’arrêt n° 02-136/CC-EP des 8 et 9 mai 2002 portant proclamation des résultats du 1er tour de l’élection du président de la République en 2002.

Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle a constaté que 95.359 bulletins de vote étaient nuls et a annulé 541.019 suffrages en évoquant « les compositions irrégulières, la distribution des cartes d’électeurs de manière frauduleuse, la non-sécurité des urnes, le vote par procuration illégal, le vote de personnes non inscrites, l’absence de signatures sur les procès-verbaux, l’influence sur le vote, l’existence de bureaux fictifs, le fonctionnement irrégulier de bureaux de vote itinérant … ».

Elle a en outre considéré que ces irrégularités n’entraînaient pas l’annulation du scrutin.

Le nombre de suffrages annulés représentait pourtant le quart du nombre de votants (2.201.154).

M le Président Ibrahim Boubacar Keïta, arrivé troisième après le Général Amadou Toumani Touré (ATT) et M. Soumaïla Cissé, s’était estimé victime de fraudes. Une solution « à la malienne » avait été trouvée pour maintenir la paix sociale. Il est devenu le président de l’Assemblée nationale pendant la durée du premier mandat du président ATT.

Telles sont les raisons pour lesquelles le naufrage judiciaire de la Cour constitutionnelle est essentiellement imputable à une mauvaise rédaction de certaines dispositions de la constitution du 27 février 1992, de la loi organique complétant la constitution et des lois électorales.

Un excès de formalisme de la Cour

La Cour constitutionnelle a aussi sa part de responsabilité dans son propre naufrage.

En effet, juridiction de premier et de dernier recours, on peut lui reprocher de n’avoir pas appliqué certaines règles de bonne administration de la justice de nature à garantir son rôle particulier de « socle de la démocratie » comme elle se présente sur son site Internet.

En effet, il existe deux règles posées par la Cour européenne des droits de l’homme, l’équivalent de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, en matière de recours judiciaire.

Cette juridiction rappelle régulièrement d’une part, que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours ne doit pas empêcher le justiciable d’utiliser une voie de recours disponible et, d’autre part, que les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure.

Or, il n’apparaît pas que la Cour constitutionnelle, qui n’est pas tenue de respecter les décisions de la Cour européenne, se soit conformée dans ses décisions relatives aux procès électoraux à ces règles à caractère universel.

En effet, elle applique de manière rigoureuse l’article 32 de la loi organique du 11 février 1997 qui fixe le délai de recours à 48 heures en déclarant irrecevable, c’est-à-dire en rejetant systématiquement des recours pour le seul motif qu’ils ont été déposés après l’expiration de ce délai.

Ainsi, par un arrêt n° 2018-03/CC du 08 août 2018 portant proclamation des résultats définitifs du premier tour de l’élection du Président de la République (Scrutin du 29 juillet 2018), la Cour constitutionnelle a déclaré 22 plaintes irrecevables, c’est-à-dire sans même les examiner, pour la seule raison qu’elles avaient été déposées après l’expiration du délai de 48 heures après la proclamation des résultats (en l’espèce, le 4 août alors que le délai expirait le 3 août à minuit).

Cette décision est conforme à une position constante de la Cour constitutionnelle (Voir dans le même sens : Cour constitutionnelle, arrêt du 6 février 1998) et n’est donc pas imputable à sa présidente.

De même, la Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable des plaintes au motif qu’elles ne respectaient pas le texte de l’article 34 de la loi organique du 11 février 1997 déterminant ses règles d’organisation et de fonctionnement qui précise qu’elle « est saisie par requête (c’est-à-dire par une demande) écrite, datée et signée, adressée à son Président ».

Dans son arrêt du 30 avril 2020, la Cour constitutionnelle, se fondant sur cette règle, a déclaré trois (3) plaintes non datées irrecevables alors même qu’elles avaient été effectuées par écrit, signées par les avocats qui les avaient rédigées et déposées dans le délai légal.

L’irrecevabilité retenue, c’est-à-dire le rejet de ces plaintes relève de l’excès de formalisme, autrement dit de la disproportion du système dans lequel la validité des plaintes a été soumise par l’article 34 de la loi organique précitée du 11 février 1997.

En outre, la justification juridique de rejets de recours effectués dans le délai légal au seul motif qu’ils ne sont pas datés est critiquable.

En effet, en vertu de l’article 38 de la loi organique du 11 février 1997 précitée, c’est seulement lorsque la requête ne contient pas les indications prescrites par l’article 28, sauf en ce qui concerne le délai, que la Cour constitutionnelle par arrêt motivé constate son irrecevabilité.

Certes, ce dernier article relatif à la procédure en matière de referendum précise que la Cour constitutionnelle est saisie … par une requête écrite, datée et signée, adressée à son Président.

Cependant il déclare que « sous peine d’irrecevabilité, la requête doit indiquer les nom, prénom, adresse du plaignant », lequel peut également désigner un mandataire.

Il est logique d’en déduire qu’une requête non datée déposée dans le délai légal n’est pas irrecevable au regard de cette disposition.

Enfin, compte tenu de l’enjeu du litige – assurer le bon fonctionnement du processus démocratique et renforcer la confiance générale du public dans la manière dont les autorités publiques organisent les élections – la Cour constitutionnelle aurait dû, soit demander aux avocats concernés de dater leurs requêtes, soit retenir la date de dépôt au greffe des plaintes comme date de celles-ci.

La Cour Constitutionnelle a posé en règle que sa jurisprudence (Cour constitutionnelle, arrêt n° 2016-01/CC-EL du 19 janvier 2016) indique que les moyens tirés de l’insécurité et des bourrages d’urnes sans autres supports probants ne sauraient prospérés c’est-à-dire réussir (arrêt, p. 42).

Cependant, dans un pays où l’Etat ne contrôle pas les deux tiers de son territoire au point qu’il bénéficie depuis 2013 de l’aide de diverses forces armées étrangères (Française, Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali dite Minusma, G5 Sahel composé de troupes venant de Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad), la Cour constitutionnelle aurait dû faire preuve d’équité en diligentant une instruction (enquête) comme elle en avait le droit et en avait usé au bénéfice de quelques plaignants (arrêt, p. 39).

Conclusion

Il résulte de l’ensemble de ces éléments, que contrairement à ce que pense l’opinion publique malienne, si l’arrêt de la Cour constitutionnelle peut être critiqué, les magistrats ne méritent pas en revanche l’opprobre (l’humiliation publique) et les gémonies (le mépris) auxquels leur a voué une grande partie de la population dès lors qu’il ne résulte pas de leur décision qu’ils avaient l’intention de couvrir des élections frauduleuses mais plutôt de sanctionner des violations de la loi électorale et notamment le remplacement des présidents de bureaux initialement désignés par le représentant de l’Etat par des personnes qui ne figuraient pas sur la liste des assesseurs dans les bureaux des circonscriptions concernées.

De même, il n’apparaît pas que la CENI a démérité car la majorité des résultats qu’elle a proclamés n’ont fait l’objet d’aucune contestation devant la Cour constitutionnelle.

La réponse à la question de savoir s’il faut conserver les structures actuelles ou les remplacer par un organe unique n’a, en soi, aucune incidence sur la qualité des résultats électoraux qui dépend de plusieurs facteurs comme la fiabilité du fichier électoral, la disproportion des moyens utilisés par les candidats pour effectuer leurs campagnes électorales, l’absence de neutralité de l’Etat ou ses représentants, l’absence de transparence dans l’établissement des listes électorales, dans la distribution des cartes électorales, dans le décompte des votes (absence de publication des résultats électoraux des bureaux de vote, etc.).

Pour ne donner qu’un exemple, il s’est développé une forme de clientélisme politique consistant pour certains candidats ou partis politiques à procéder à des « œuvres de bienfaisance » au profit d’un village, d’un quartier ou de certaines catégories de personnes soit avant l’ouverture de la campagne électorale, soit pendant la campagne électorale.

Il est possible que la création d’un seul organe puisse avoir un impact positif sur le coût de l’organisation des élections. Cependant, cela dépendra des choix de gestion adoptée par ses dirigeants.

Il reste que l’institution d’un nouvel organe dans un délai aussi bref que celui dont dispose les autorités de transition peut être source de difficultés qui, si elles étaient importantes, seraient susceptibles d’entraîner l’annulation des opérations de vote comme cela s’est produit lors des élections législatives du 13 avril 1997 (Cour constitutionnelle, arrêt CC-EL n° 97-046 du 25 avril 1997).

Il revient aux autorités de transition de savoir si elles acceptent de courir ce risque qui révélerait leur échec dans l’une de leurs principales missions.

Il existe un second risque d’échec dans l’organisation des élections, celui résultant du calendrier électoral qui organise les élections législatives et présidentielles dans les délais qui ont favorisé le naufrage judiciaire de la Cour constitutionnelle.

Ce risque est d’autant plus sérieux que le gouvernement projette d’organiser des élections couplées autrement d’organiser deux élections (législatives et présidentielles) le même jour, ce qui implique l’obligation pour l’organe électoral et la Cour constitutionnelle de gérer ces deux élections dans des délais qui ne permettent même pas d’organiser normalement l’une d’elles.

Bouya Diallo

Avocat au Barreau de Paris

Source: 22 Septembre
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