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Mouvement anti-IBK : ce qu’on en dit hors de Bamako

REPORTAGE. Impressionnante dans la capitale, l’offensive contre le président malien n’est pas perçue de la même façon dans les différentes régions.

Vendredi 19 juin, à Bamako, le second round d’un bras de fer opposant la contestation M5-RFP au président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita (IBK), se concrétisait par une nouvelle marche, place de l’indépendance où quelques dizaines de milliers de Maliens étaient venus exprimer leur colère, sans filtre, avec le sentiment de ne pas avoir été entendus. Une première manifestation, le 5 juin dernier, avait permis aux contestataires d’obtenir la fin de la crise scolaire dans le pays, mais pas la démission du chef de l’État pourtant réclamée à cor et à cri. IBK s’était même vu refuser « la main tendue » qu’il proposait aux manifestants, censée, si elle était saisie, permettre le dialogue pour parvenir à une sortie de crise. Mais pour cette deuxième mobilisation massive dans la capitale à l’appel de la contestation M5-RFP, le bruit, la fureur et les invectives n’auront pas non plus suffi à pousser à la démission le chef de l’État, responsable pour beaucoup du climat délétère et de la situation sécuritaire et socio-économique critique que traverse le pays depuis 2013, année où 77,6 % des voix lui avaient ouvert les portes du palais présidentiel de Koulouba. Tandis que dans la capitale les manifestants battaient le pavé, l’intérieur du pays est resté étrangement silencieux, à l’exception des villes de Kayes, Sikasso, dans le sud et de Tombouctou au Nord.

Sikasso sur la même longueur d’onde que Bamako

À Sikasso, seconde ville la plus importante du pays par sa population, réservoir de voix incontournable pour qui veut devenir président, un millier de manifestants protestaient non seulement contre la gestion chaotique du pays par IBK, mais aussi contre la Cour constitutionnelle qui avait lors des récentes élections législatives invalidé les résultats des députés victorieux de l’alliance Adema, remplacés par leurs adversaires initialement perdants de l’alliance RPM, le parti présidentiel, enflammant par là même une population se sentant spoliée, descendue dans les rues pour réclamer la restitution de leur victoire. « La Cour constitutionnelle est en train de tout foutre en l’air au Mali, c’est la raison de tous ces soulèvements. Si Sikasso se soulève, c’est pour une cause bien déterminée et ce qui s’est passé avec les élections est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. IBK doit dégager, sinon il doit dissoudre la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale, son départ dépend de la non-régularisation de cette situation », lance Djimé Soumounou, directeur de la radio locale Sika FM.

Kayes aussi

À plus de 900 km de Sikasso, à Kayes, où environ un millier de manifestants ont fait écho à la capitale vendredi dernier avec le slogan « IBK dégage », Amara Sidiki Dagnoko, enseignant et correspondant de quotidien l’Indicateur du renouveau, prolonge ce constat : « Les gens ne se retrouvent plus dans les institutions, ça ressort dans beaucoup de discussion, aujourd’hui, il y a une rupture sociale entre les institutions, la République et les gouvernés, c’est très marqué et ça engendre aujourd’hui ce ras-le-bol et ces manifestations », explique-t-il.

Mopti s’interroge

Dans la région de Mopti, centre du pays, à Sangha, haut lieu de la culture dogon, plongé depuis quelques années dans un conflit sanglant qui oppose des groupes armés peuls à des milices dogons, même si on suit les événements à Bamako, on n’est pas vraiment sur les mêmes revendications : « Vendredi, personne n’est sortie pour ça. Ici quand on marche, c’est pour des coupures de courant. Le pays est très mal géré, nous en sommes conscients, mais est-ce que le départ d’IBK est la solution ? Qu’est-ce que le Mali va devenir ? Moi, je suis légaliste, je préfère qu’on respecte les institutions, même si, pour moi, c’est la Cour constitutionnelle qui est en cause. C’est bien qu’on menace le président, c’est bien que les gens montrent qu’ils sont conscients, mais pour nous, la démission n’est pas la solution », explique Ali Inogo Dolo, maire de la commune.

Tombouctou indifférente ?

Dans le nord du pays, à Tombouctou, Mohamed Bouya, bijoutier de profession, président local de la CMAS, semble plutôt satisfait de la mobilisation locale contre le président IBK, qu’il estime à « 400 personnes », malgré l’épidémie de Covid-19, venues manifester contre l’insécurité dans toute la région, contre la corruption et le pouvoir autoritaire et clanique d’IBK. Une estimation mise à défaut par Khalid, habitant de la cité des 333 saints qui a immortalisé en photo cette « micro-manif » ou une trentaine de personnes, « passants compris » se sont rassemblés devant le monument du mémorial de la paix. « Les gens ici s’en fichent de ce qui se passe à Bamako avec IBK. Ici, on n’a pas le choix, on est laissé à nous-mêmes. Alors peu importe la personne qui sera au pouvoir si IBK démissionne, car elle fera la même chose que les autres. Moi, je ne condamne pas et je ne suis pas pour, car je ne sais pas qui pourra jouer notre carte », lâche-t-il désabusé.

Gao, mécontente mais silencieuse

À Gao, importante ville carrefour du Nord, on n’a pas manifesté. Cette seconde marche des protestataires dans la capitale a été plutôt le sujet du jour dans les grins. « Les gens ont appelé Bamako pour avoir des nouvelles de la manifestation. Sinon, ils ont d’autres préoccupations, comme chercher à manger et essayer de survivre. Le mécontentement est palpable ici, mais les habitants préfèrent laisser Bamako gérer cette histoire-là, la majorité soutient totalement mais en silence, car les gens en ont ras le bol, c’est un soutien sur un pied, car si on soutient ce qui se passe là-bas, ça ne plaira pas aux groupes armés, donc on se tait », explique Hama, résident de Gao joint au téléphone.

Kidal entre deux eaux

300 km plus au nord, la ville de Kidal et sa région n’ont pas aussi pris part à cette « journée historique » où l’on s’assurait du départ du chef de l’État. Dans cette ville bastion du Nord, les leaders de la CMA et les députés sont membres du parti présidentiel et donc logiquement soutiennent le président en place. « Les leaders de la CMA ont peur qu’il y ait un changement de président et de gouvernement, ça pourrait impacter l’accord de paix, qui pourrait être rejeté, révisé, voire mis au placard », souligne Ibrahim, commerçant à Kidal.

« Il y a une grande majorité silencieuse ici, les pro-Mali, ils sont nombreux et sont contre IBK, car il n’arrive pas à faire bouger les choses et qu’il a trop déçu. Cette majorité de gens soutient l’initiative de Dicko, mais comme souvent ici, de manière silencieuse », ironise le commerçant qui ajoute : « Si les Kidalois manifestaient, ce serait d’abord pour l’eau, l’électricité, pour le retour de l’État. Si les gens étaient un peu libres de s’exprimer dans la rue, ils sortiraient protester aussi contre les méthodes de CSMAK (Coordination sécuritaire des mouvements de l’Azawad à Kidal), car les gens en ont marre, il y a trop de taxes, trop de racket. »

Souleymane, résident de Kidal, songe au vide que laisserait le départ du président IBK. « Il ne faut pas oublier qu’il y a des partenaires internationaux qui ont besoin de partenaires pour pouvoir faire marcher certains programmes, notamment la lutte antiterroriste. La Minusma aussi se repose sur le gouvernement, et qu’il soit bon, moyen ou faible, c’est de toute façon un interlocuteur », juge-t-il.

Et si IBK seul n’était pas le problème

Pour nombre de Maliens à travers le pays, hormis IBK, c’est le système qui a été mis en place depuis 1991 le problème et toute la génération politique issue de cette période. Pour certains d’entre eux, changer un homme politique de 1991 avec un autre homme politique de 1991 ne changera rien. Pour d’autres, on peut remplacer IBK et mettre à sa place une personne dynamique et compétente.

« La plupart des Maliens, qu’ils soient du nord, du centre ou du sud, reconnaissent qu’il y a une mauvaise gouvernance, c’est un constat partagé par tout le monde. Mais les Maliens sont aussi partagés sur ceux qui entourent l’imam Mahmoud Dicko dans cette initiative. Si on prend Chogel Kokalla Maiga et Mountaga Tall, ils ont été ministres. Chogel a été porte-parole d’un des gouvernements IBK. Donc, même si le constat qu’ils font est clair, ils sont aussi comptables d’une certaine manière et ils ne sont pas forcément crédibles pour certains Maliens pour ce qu’ils revendiquent aujourd’hui. Comme ils ont quitté le gouvernement, c’est une façon de revenir sur scène pour réclamer leur participation peut-être à un nouveau Mali, et ça leur permettrait de revenir aux affaires », analyse Bréma Ely Dicko, sociologue et anthropologue malien, chef du département de Sociologie et d’anthropologie de l’Université des sciences humaines de Bamako. « Il y a aussi tous ceux qui ont peur que Mahmoud Dicko contribue finalement à mettre en place un régime plutôt favorable à Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa. Si jamais IBK partait, est-ce que ce n’est pas la charia que l’on va nous imposer ? Pour beaucoup, c’est le saut dans l’inconnu, car on ne sait pas ce qui va arriver après », poursuit-il.

Pour le chercheur, sauver le soldat IBK demanderait de sacrifier une institution, la Cour constitutionnelle, et accepter que le président de l’Assemblée qui est proche de son fils Karim et les députés mal élus perdent leurs postes : « Si IBK, d’ici vendredi prochain, ne trouve pas une solution concernant la Cour constitutionnelle et sa présidente et s’il ne se prononce pas sur la situation des députés, le mouvement va se radicaliser. Les acteurs du M5-RFP radicaliseront le mouvement, ils n’auront pas le choix avec la pression de la population. Ce serait au détriment du pouvoir et il faudra s’attendre, dans ce cas-là, à des violences », conclut le chercheur.

Par Olivier Dubois, à Bamako

Le Point.fr

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