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Moussa Mara, ancien premier ministre: «Le Mali ouvert, tolérant, multiconfessionnel et modéré n’est pas négociable»

Au Mali, faut-il négocier avec les jihadistes, comme l’a proposé le Président Ibrahim Boubacar Keïta ? L’ancien Premier ministre malien Moussa Mara a un avis tranché sur la question et demande une réponse ferme.

RFI: Est-ce qu’un dialogue avec les jihadistes peut ramener la paix au Mali ?
Moussa Mara: Moi, je suis très réservé. Il est vrai que le dialogue est demandé par une grande majorité de la population malienne, mais le jihadisme par définition, c’est une voie sans issue. On entre dans le jihadisme pour terminer en martyr. Je ne vois pas le jihadiste négocier. De deux, si les jihadistes négocient, ils négocient sur la base de prétentions qui sont incompatibles avec un État laïc et une société laïque, comme nous le vivons au Mali.
Les jihadistes de chez nous, qui sont évoqués dans les discussions, ne sont pas vraiment autonomes puisqu’ils font partie d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Je suis réservé sur cette démarche. Cela étant dit, le peuple a demandé à la suite du Dialogue national inclusif (DNI), le gouvernement a ouvert la possibilité. Attendons de voir ce qui sortira de cela.
RFI: Vous ne voyez pas les jihadistes négocier, mais c’est pourtant ce qui s’est passé en Algérie il y a 20 ans et en Afghanistan ces derniers jours ?
Moussa Mara: Pour moi, il y a une différence. En Algérie, il y a vingt ans, il faut reconnaître que les terroristes étaient quand même en position de grande faiblesse. L’armée était parvenue à prendre le dessus et une initiative politique a été lancée par le président Bouteflika pour amener ceux qui voudraient l’être à abandonner la cause et à bénéficier d’un certain nombre d’éléments. Donc, il s’agit plutôt de les amener à abandonner la cause et à rejoindre la République.
Dans cette hypothèse envisagée au Mali, je pense que ce sont de véritables négociations, peut-être avec des compromis faits de part et d’autre. Et sur la question des talibans là aussi, je pense qu’il y a une différence: les talibans en Afghanistan ont plutôt des motivations politiques. Et les talibans ont déjà géré l’État afghan. Ce n’est pas le cas des groupes terroristes maliens. Et je ne suis pas sûr que leur agenda soit compatible avec le Mali tel que nous le connaissons, le Mali de l’histoire des civilisations, le Mali ouvert et une société malienne qui est tolérante et modérée.
RFI: Est-ce que le fait de négocier avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa ne pourrait pas isoler le plus radical de tous les chefs jihadistes, c’est-à-dire Abou Walid Al-Sahraoui ?
Moussa Mara: Moi, ce que je pense, c’est qu’ouvrir les discussions avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa pourrait aboutir au fait que Iyad et Koufa eux-mêmes soient plutôt marginalisés au sein de la composante jihadiste et que l’essentiel de leurs combattants les abandonne au profit de Walid.
RFI: Est-ce que ce n’est pas aussi grâce à ce message d’ouverture au dialogue qu’Ibrahim Boubacar Kéita a facilité le retour du premier contingent de l’armée malienne à Kidal au début de ce mois ?
Moussa Mara: Ha ! On sous-entend donc peut-être que Kidal est plutôt entre les mains des terroristes que des groupes armés, ce qui officiellement ne semble pas être le cas. Le retour de l’armée reconstituée à Kidal est une bonne première étape et devrait être accompagné par un mouvement encore plus important de l’armée et des administrations afin que l’État prenne véritablement le contrôle de Kidal.
RFI: Il y a six (06) ans, quand vous étiez Premier ministre, l’armée malienne avait déjà tenté un retour à Kidal. Cela s’était terminé par un bain de sang. Est-ce que vous aviez manqué de sens politique à l’époque ?
Moussa Mara: Ce que l’armée a tenté de faire quand j’étais Premier ministre, c’était de récupérer le gouvernorat qui était le symbole de l’administration malienne à Kidal et qui a été illégalement occupé, et violemment occupé par les groupes armés. L’armée a tout à fait agi de manière normale dans le cadre d’une République normale et organisée. Maintenant, les conséquences de ce geste sont des conséquences malheureusement à déplorer parce qu’il y a eu beaucoup de pertes en vie humaine.
RFI: Mais est-ce que vous n’y êtes pas allé à l’époque trop fort et trop vite ?
Moussa Mara: J’y suis allé à la demande du gouvernement. Nous avons pris cette décision en Conseil des ministres. Et je ne suis pas allé sur les grands chevaux, parce que j’y suis allé en tant que chef d’administration pour contribuer à ce que l’administration puisse servir les citoyens de Kidal, leur apporter les services. Aujourd’hui, la présence de l’administration à Kidal est absolument indispensable pour les Kidalois d’abord, et ensuite pour le retour de la paix dans notre pays.
RFI: Si dialogue il y a, la question de fond, c’est la sauvegarde ou non de la laïcité de l’État malien. Est-ce qu’un compromis est possible avec les jihadistes ?
Moussa Mara: Moi, je pense que ce qui ne doit en aucune manière être négociable, c’est justement le Mali ouvert, tolérant, multiconfessionnel, modéré. Est-ce que ce Mali-là est compatible avec ce que veulent Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa ? J’attends de voir encore. Maintenant s’ils s’inscrivent dans ce Mali et que des discussions peuvent se faire en ce moment au niveau local sur l’organisation politique, sociale, sur les règles d’application religieuse au niveau local, ce sont des discussions qui peuvent être envisagées.
RFI: Peut-on imaginer, comme au Nigeria, que dans certaines régions du Mali soit appliquée la charia et que dans d’autres régions, cela ne soit pas le cas ?
Moussa Mara: Pour moi, ce sont des discussions qu’il faudrait faire effectivement parce que, dans les faits, quand on regarde certains départements de notre pays, certaines communes de notre pays, il y a une quasi-application de la charia et depuis des dizaines d’années.
RFI: Vous pensez à quelles régions ?
Moussa Mara: Il y a des endroits au niveau de la région de Mopti, il y a même la région de Kidal. Il y a les cadis qui ont été là historiquement. Dans la région de Tombouctou, les cadis ont été là de manière historique. Quand il s’agit d’application de la loi religieuse dans des localités, où la société l’accepte comme telle et comme norme, cela ne change pas la nature des régimes, cela ne change pas l’organisation d’un État. Ce sont des choses qui peuvent être regardées.
RFI: À la tête du parti YÈLÈMA («Changement»), vous êtes candidat aux législatives du 29 mars et 19 avril 2020 sur la Commune IV de Bamako. Vous êtes dans la majorité ou dans l’opposition ?
Moussa Mara: Nous, notre positionnement, depuis deux (02) ans, c’est un positionnement de rupture et de changement avec le système qui, depuis maintenant quelques décennies, gère notre pays. Nous, nous pensons que la majorité actuelle et l’opposition actuelle forment une même matrice.
Quand vous regardez les alliances pour ces législatives, il y a beaucoup d’endroits, où le parti majoritaire RPM (Rassemblement pour le Mali) et le parti de l’opposition URD (Union pour la République et la démocratie) sont alliés aux législatives, ce qui est quand même quelque chose d’étonnant.
RFI: Le parti d’IBK et le parti de Soumaïla Cissé ?
Moussa Mara: Oui. Le parti d’IBK et le parti de Soumaïla Cissé sont alliés aux élections législatives dans une dizaine de circonscriptions, ce qui est quand même quelque chose d’étonnant. C’est pourquoi nous, nous estimons qu’aujourd’hui le Mali a besoin d’une nouvelle voie. Et le parti YÈLÈMA veut vraiment faire préfigurer cette nouvelle voie. D’où notre positionnement assez original: ni majorité ni opposition.

Source: RFI

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