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«Moussa», l’arme de Paris au Sahel

Soutenu par la France au nom de la lutte antiterroriste, le jeune seigneur de guerre touareg est accusé de graves exactions contre les Peuls.
«Moussa», l’arme de Paris au Sahel

L’hélicoptère de l’armée française a volé très bas pendant une trentaine de minutes au-dessus du désert malien. Parti de Ménaka, il se dirige vers Gao, où est stationné le gros des forces. A mi-chemin, le lourd NH90 se pose brièvement. Sans couper le moteur, ses occupants vident les cartons d’eau et de vivres destinés à un groupe de commandos français qui les réceptionnent. Les militaires ne sont pas seuls dans la plaine rocailleuse, ils patrouillent avec un groupe armé local : le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), dont on aperçoit quelques pick-up rangés aux côtés des véhicules couleur sable de l’opération Barkhane. Cette alliance inédite repose sur un homme de 32 ans. Son nom est sur toutes les lèvres dans la région de Ménaka : Moussa ag Acharatoumane, le dirigeant du MSA. Le jeune Touareg n’est ni le fils d’une autorité traditionnelle ni un combattant réputé pour ses faits d’armes, ce qui en soi est une originalité dans le monde des leaders touaregs. Ce qui explique aussi en partie comment «Moussa», ainsi qu’on l’appelle au Mali, a réussi à gagner la confiance de l’armée française, comme aucun autre chef de groupe armé avant lui. «C’est le Macron des Touaregs», s’amuse un gradé français au Mali.

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Moussa est né et a grandi à Kidal, d’un père Daoussak (une fraction touareg de la région de Ménaka) et d’une mère Kel Ansar (une tribu maraboutique respectée). Mais c’est à Bamako, à 1 500 kilomètres de chez lui, où il a été envoyé au lycée et pour ses études de sociologie, que Moussa va commencer à réunir des étudiants touaregs, constituer des associations de jeunes, militer dans des ONG de défense de l’Azawad (nom touareg donné au nord du Mali). «Grâce à cela, à partir de 2007, j’ai commencé à voyager, à Bruxelles, Paris, New York, Genève, raconte-t-il à Libération via des messages audio Whatsapp. Avec Bilal ag Achérif, qui revenait de Libye, on a eu l’idée d’un mouvement pacifique et politique, pour apporter une touche différente à la lutte que nos parents ont toujours menée.»

«Jeune idéaliste»
Depuis l’indépendance du pays, en 1960, des rébellions touaregs ont éclaté à intervalles réguliers dans le nord du Mali. Leur répression a souvent été brutale. Au moment où Moussa et Bilal lancent leur Mouvement national de l’Azawad (MNA), en 2010, la guérilla est en sommeil. Mossa est un intellectuel, beau parleur et débrouillard. Il dessine lui-même, sur Photoshop, le drapeau de l’Azawad (qu’on retrouve sur les véhicules et les murs de Kidal), et sillonne sa région d’origine pour tisser un réseau de soutiens parmi la population et les notables. «C’est un personnage séducteur, décrit quelqu’un qui l’a connu à Paris à cette époque. Il s’exprime bien et dégage quelque chose de calme, de serein.» «Il connaît tout le monde. Sa force, c’est son réseau, son capital social, ajoute un universitaire. Il mène régulièrement des actions humanitaires, comme des distributions de livres scolaires. Dès le début, il a cette visée du développement pour l’Azawad.»

Mais dans le nord du Mali, la crédibilité d’un mouvement passe aussi, et nécessairement, par les armes. En octobre 2011, le MNA s’associe avec des rebelles des générations précédentes, dont beaucoup ont quitté la Libye après la chute de Kadhafi, pour créer le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Trois mois plus tard, l’organisation attaque la garnison de Ménaka et déclare la guerre à l’Etat malien. C’est le début de l’insurrection qui mènera à l’occupation du nord du pays, bientôt récupérée par les forces jihadistes, qui évincent le MNLA.

Moussa est désigné comme représentant du mouvement à l’étranger. En France, il participe à des conférences universitaires, est invité sur les plateaux de télévision, et commence à être reçu par des militaires. «Il a très vite tapé dans l’œil du ministère de la Défense, explique un connaisseur du Mali à Paris. On lui déroulait le tapis rouge pour chacune de ses visites. Il existe un vieux fantasme, dans la culture militaire française, sur le Touareg, noble combattant du désert.» En 2013, le MNLA va participer à la reconquête du nord du Mali au moment de l’opération Serval déclenchée par François Hollande.

Deux ans plus tard, sous pression de la communauté internationale, les émissaires du MNLA – dont Moussa et Bilal – finissent par signer un accord de paix dans lequel ils s’engagent au «respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat du Mali» en échange d’une reconnaissance de la spécificité culturelle de l’Azawad, une décentralisation accrue et un développement de leur région. «Le jeune idéaliste qui avait foi en son projet pour l’Azawad, qui prônait le dépassement du communautarisme, a été confronté à la dure réalité des choses : les logiques claniques, les compromissions des uns et des autres, les trafics, décrit un acteur des négociations. Il a été dégoûté de ces petits arrangements et a réalisé que non seulement l’Azawad ne se ferait pas cette fois-ci, mais qu’en plus il risquait d’être le dindon de la farce.» Au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, qui regroupe les ex-rebelles signataires de l’accord de paix), pourtant présidée par son camarade Bilal Ag Achérif, la communauté de Moussa, les Daoussak, pèse peu face aux familles nobles ifoghas qui dominent les débats. «Nous avons toujours été les parents pauvres des différentes rébellions», regrette-t-il.

Les affrontements intertouaregs qui éclatent à Kidal à l’été 2016 finissent de le détourner de ses anciens amis : «La guerre qui a éclaté entre les Ifoghas et les Imghad [davantage favorables au pouvoir malien, ndlr] l’a écœuré. Moussa ne voulait pas être le supplétif des Ifoghas, alors que dans sa région, les Imghad sont ses voisins.» L’intéressé confirme. «Ma communauté n’avait rien à voir avec cette querelle, j’ai voulu prendre mes distances avec tout ça.» En septembre 2016, il franchit le pas, quitte le MNLA, et annonce la création de son propre groupe armé, le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), composé en majorité de combattants daoussak et installé à Ménaka. A 30 ans, il est devenu à son tour un seigneur de guerre.

Le MSA va très vite se rapprocher du Gatia (Groupe autodéfense touareg imghad et alliés, pro-Bamako), dirigé par le général El Hadj ag Gamou, pour prendre le contrôle de la région. Cet attelage provoque la fureur de ses anciens alliés rebelles. Mais Moussa dispose d’un second atout dans la partie de cartes qui se joue au Sahel : la France. Lors de son arrivée à l’Elysée, Emmanuel Macron a demandé que soit mise en place une «stratégie alternative» pour cette guerre à laquelle personne ne voit d’issue rapide. Selon un haut gradé français, l’un des axes de cette nouvelle approche consiste à «travailler avec des groupes armés».

«Des civils tués»
La région de Ménaka, proche de la frontière nigérienne, est une zone de repli pour un groupe jihadiste nouvellement créé dans le viseur de Paris : l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), qui a déjà revendiqué plusieurs attaques contre des casernes nigériennes et, surtout, en novembre 2017, la mort de quatre membres des forces spéciales américaines. L’armée française a besoin d’un allié local sur qui compter. Aux yeux de l’état-major, Moussa est le candidat idéal. «Il est le seul à se battre vraiment contre les terroristes», estime-t-on à Bamako, où Moussa a été reçu à plusieurs reprises par le président malien, Ibrahim Boubacar Keita. Alors que les ex-rebelles de la CMA ont parfois été accusés de complaisance avec les groupes jihadistes du Nord dirigés par le Touareg Iyad ag-Ghali, le MSA et le Gatia cherchent à débusquer l’EIGS et relaient leurs affrontements sur les réseaux sociaux. «Barkhane a eu des alliés difficiles par le passé. Ils ont vu en Moussa quelqu’un de sincère», reconnaît Mohamed Attaïb Sidibe, président du Ganda Izo, une importante milice peule du Nord.

Mais selon les membres de la communauté peule, très présente dans la région, Moussa et Gamou se servent de leur proximité avec Barkhane pour régler de vieux comptes. Des contentieux opposent depuis des décennies les Peuls et les Daoussak, qui vivent de l’élevage, autour de la question du partage des pâturages et des points d’eau. «Au nom de la lutte antiterroriste, le MSA et le Gatia traquent les Peuls, même les civils, les violentent, les pillent, les attachent, les tuent. Ils tirent sur des réservoirs d’eau. Tous les matins, je reçois des alertes, affirme Mohamed Attaïb Sidibe. On pousse les Peuls à rejoindre les terroristes !» Un observateur français abonde : «Quand il y a des bavures, la réaction des Peuls, c’est de se dire “si nos ennemis locaux sont alliés avec la France, on va aller chercher nous-mêmes un sponsor à la hauteur.”» Certains vont grossir les rangs de l’Etat islamique, par réflexe communautaire davantage que par conviction. D’autres fuient la zone : des déplacements massifs de populations peules ont été rapportés par les ONG. «Les allégations de violations du droit international humanitaire dans la région de Ménaka sont d’une particulière gravité, a souligné vendredi le directeur de la division des droits de l’homme de la Mission des Nations unies au Mali, Guillaume Ngefa. Elles font état d’exécutions sommaires d’au moins 95 personnes qui seraient accusées de terrorisme ou de banditisme. Nous surveillons de près la situation des opérations antiterroristes par la coalition MSA-Gatia.»

Depuis le mois de février, les offensives du MSA, du Gatia et de Barkhane se sont accélérées, de part et d’autre de la frontière Mali-Niger. Pour la première fois, Moussa aurait directement participé à la conduite des opérations. «On a mobilisé 300 combattants», dit-il. A douze reprises, ces dernières semaines, des combats ont été signalés. Au cours de l’un des raids les plus meurtriers, le 1er avril, 30 jihadistes ont été tués, a indiqué l’armée française. Les soldats de Barkhane participent, aux côtés des hommes de Moussa et Gamou, à la plupart de ces batailles, qualifiées d’«opérations d’opportunité» par le ministère des Armées. En réalité, cette coopération va plus loin. «Notre objectif était d’occuper la ville pour le MSA et les Forces armées maliennes», décrivait ouvertement un commandant français croisé en mission, en février. Mais à Gao, le colonel Arnaud Cervera minimise : «Le MSA n’est pas une seconde armée. Nous ne sommes pas dupes, ce ne sont pas des enfants de chœur, mais le MSA a rompu avec ses amis peu recommandables.»

«L’homme à abattre»
Pour les Français, cette alliance est à double tranchant, relève un familier des cercles diplomatiques. «Moussa est le choix des militaires, du commandant de Barkhane en particulier, mais au Quai-d’Orsay, certains émettent des réserves. S’immiscer dans des conflits communautaires est dangereux, estime-t-il. Les renseignements ne sont pas assez vérifiés. Des officiers reprennent mot pour mot les arguments de Moussa.» Un chercheur s’inquiète : «Moussa devient de plus en plus agressif, sans pitié. Des responsables du MSA l’ont quitté. Que fera-t-il quand Barkhane s’en ira ? Pour les Peuls, c’est l’homme à abattre. Un deal tactique de courte durée, dans la région, c’est impossible, cela va laisser des traces pour des générations.» Moussa ne s’en formalise pas : «Je ne suis pas seul. Barkhane est un plus, mais nous avons commencé le combat avant les Français, et on continuera après.» Il réfléchit à se lancer en politique. Mais pas avant le jour, lointain, où les armes se tairont dans l’Azawad.

 

Source: liberation

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