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MALI : LE CHÔMAGE, UN MÉTIER D’AVENIR?

Le Mali à l’instar des autres pays d’Afrique Subsaharienne, dispose d’une population très jeune. Plus de 2/3 des maliens ont moins de 24 ans, et 49,8p.c en ont moins de 15 ans. Avec une croissance démographique de 3.6p.c, cela représente 6,1 enfants par femme en moyenne, et 7 enfants par femme selon certaines régions dont Sikasso et Ségou.  Ce pays continuera à davantage fournir une population jeune pendant plusieurs décennies encore. Ces statistiques constituent de toute évidence une énorme pression en terme de demandes sociales, qu’elles soient de l’ordre de la sécurité, de l’éducation, de l’eau, d’électricité, de la santé, mais aussi et surtout, de l’emploi. La production en économie nécessite deux ressources classiques : le capital et le travail. De ce fait, la main d’œuvre contribue à l’accroissement de la productivité d’une économie, et donc de sa croissance. Il convient de le préciser, l’Homme en soi n’est pas une ressource. C’est le savoir-faire ou la main d’œuvre dont il est question ici qui est le capital humain, et constitue une ressource. Cette théorie du capital humain traduit l’ensemble des aptitudes, compétences, talents, qualifications et expériences accumulés par l’individu permettant de déterminer en partie sa productivité dans un processus de production.

 

Les grands défis du marché de travail au Mali :

Le chômage est l’indicateur de mesure de la population active ne trouvant pas de travail. Cette population active est constituée par toutes les personnes en âge de travailler (conventionnellement 15 ans et plus, au sens du bureau international du travail BIT), qui désire travailler, qui a un emploi ou n’en a pas. La bonne santé de toute économie est appréciée à l’aune de sa capacité à occuper ses ressources. De ce fait, l’humain ou encore la main d’œuvre comme nous le verrons un peu plus loin, se découvre être l’une des ressources les plus indispensables aux activités économiques. Pourtant, le taux de sous en emploi aujourd’hui au Mali est de 30p.c.

Le sous-emploi par définition, est une situation où le temps de travail ou la productivité de l’emploi d’une personne sont en inadéquation par rapport à un emploi possible que la personne concernée est disposée à occuper et capable d’exécuter les tâches inhérentes audit emploi. C’est donc une grande défaillance du marché de travail, puisque la main d’œuvre disponible dépasse de loin les offres d’emplois disponibles. Comment occuper les Hommes vivants dans la société est une préoccupation majeure des politiques économiques de toutes les démocraties modernes.  Au Mali, il y a un ministre de l’économie et des finances et un ministre de travail dans la structuration du gouvernement, mais dans les faits et l’exécution des taches, l’un se révèle uniquement un ministre de budget, et l’autre un ministre de régulation des litiges syndicats. Nous constatons évidemment que des stratégies et politiques économiques sont quasi-absentes dans les actions du premier, et une absence criarde d’une vision précise et claire de politique de stimulation de l’emploi dans les actions du second.  Les structures étatiques de promotion de l’emploi (ANPE, APEJ/PROCEJ), bien que nécessaires au-delà de leur partialité dans le traitement des dossiers des demandeurs d’emploi, sont de loin, tout sauf une réponse suffisante à ce taux énorme de sous-emploi.

En plus d’existence très limitée, souvent absence de mesures politiques d’offre d’emploi, une deuxième cause explicative de ce taux de chômage de masse, est justement la non qualification des demandeurs d’emploi. Aujourd’hui, la qualité du système éducatif malien est à un niveau exécrable. L’école malienne comme c’était le cas d’il y a un demi-siècle, ne constitue plus une garantie pour s’assurer un avenir professionnel. Les étudiants comme les parents d’étudiants, cessent d’avoir foi au système éducatif tel conçu de nos jours. Dans les écoles et universités, la formation est en inadéquation avec les besoins et aspirations des offreurs d’emploi, dû d’une part, à l’absence d’un réel cadre de collaboration entre les structures de formation et les chefs d’entreprises comme c’est le cas dans plusieurs pays aujourd’hui. D’autre part, cette inadéquation s’explique par la faiblesse de l’Etat à mettre en place un dispositif permettant au système éducatif d’être plus créatif, incitant ainsi les jeunes vers le domaine de entrepreneuriat.

Aussi, l’une des caractéristiques marquantes de ce marché de travail est le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti). C’est le salaire minimum légal constituant un élément déterminant dans le processus de négociation des politiques relatives au travail des fonctionnaires avec les partenaires sociaux d’un pays. En Afrique francophone, loin derrière certains pays comme le Gabon (150000 FCFA), ou le Maroc (137 000 FCFA), le SMIG malien est de l’ordre de 40000 FCFA aujourd’hui. Cette mesure varie d’un pays à un autre en fonction de la vision stratégique d’offre d’emploi que se fixe un gouvernement. Le salaire, par nature, est une source de motivation pour le travailleur. Sauf en cas d’extrême précarité, en cette situation de cherté de la vie, le SIMIG de 40000 FCFA (dans la mesure où de nombreuses salariés sont embauchés à 40000 FCFA voir moins) ne permet pas de recouvrir les dépenses élémentaires d’une famille, et donc ne stimule pas la productivité du travailleur, ce qui influence négativement la productivité globale de l’économie. Pire, ce niveau bat de 40000 FCFA comme salaire peut même décourager de nombreux demandeurs d’emploi à aller à la quête d’un emploi.

Enfin, le niveau du chômage est également fonction du niveau d’investissement, qui est dépendant à son tour du degré de stabilité politico-sécuritaire. En effet, l’investissement a horreur de l’instabilité, de l’incertitude. Depuis l’éclatement de la rébellion du 2012 au Nord du Mali, l’insécurité subit une expansion hors norme. En plus de la partie septentrionale dominée par le terrorisme, dont se sont érigés en maitre incontestés certains brigands et malfrats, des localités du centre au-delà des attaques terroristes, sont en proie à des conflits fratricides ethniques. Cette situation impacte négativement le regard que portent les investisseurs sur l’évolution de la conjoncture économique d’un pays. En voulant minimiser les risques de pertes en capital investit, ils limitent tout simplement leur investissement. Une baisse d’investissement engendre illico presto la baisse de recrutement, et donc augmente le nombre de demandeurs d’emploi.

Conséquences du sous-emploi :

Le chômage demeure évidemment un phénomène macroéconomique qui impacte de façon à la fois directe et grave l’individu. Pour tout humain, une perte ou un manque d’emploi induit illico une réduction de niveau de vie, diminution du revenu et donc baisse du pouvoir d’achat, ce qui, à la longue, pousse à l’endettement. Une fois dans une incapacité de payer ses dettes, les biens du concerné seront saisis, il se découvrira ainsi expulsé de la location.  De surcroit, l’endroit de travail étant un espace de socialisation du salarié, la perte d’un emploi ou un manque d’emploi s’accompagne par la rupture des relations professionnelles qui aident à combler le besoin d’appartenance et de reconnaissance chez l’humain. Marginalisé, il découvre son statut de chômeur ainsi dévalorisé, ce qui impacte foncièrement l’image et l’estime que l’humain a de lui-même, et s’en suivra un effondrement de sa personnalité. Place à l’installation, du vide existentiel, d’absence de repère temporel pour structurer son quotidien.

Tout cela engendrera une détresse psychologique, et permet donc d’une part, l’installation chez le concerné d’un doute inédit vis-à-vis de son présent, et d’autre part, du désespoir à l’égard de son futur. Il sera incapable de suivre le rythme de l’évolution et donc incapable de construire une quelconque notion du temps. Ses occupations journalières seront substituées par des instants d’oisivetés, d’inactivités, des routines asphyxiantes. L’Homme en grande partie étant à l’image de ses attitudes, le chômeur commencera à s’adapter de façon très déconvenue à sa nouvelle situation avec des attitudes très peu recommandées. Cette situation bien malheureuse lui enlèvera son autonomie de penser. Plutôt que de continuer à porter sa météo en lui, il sera uniquement façonné par les circonstances qui l’affectent. Plus question de voir au-delà des choses qui le touchent, et la délinquance se plait dans des circonstances pareilles.

En effet, la possibilité d’une corrélation positive croissante entre le chômage et la délinquance, est aujourd’hui amplement démontrée. De par la détresse que l’inactivité impose à l’humain en sapant la vigueur de l’âme, le désire de se sentir occupé par tous les moyens devient une autorité. A l’évidence, toutes les portes socialement conventionnelles lui étant fermées, le chômeur, du fait de la fragilité de son état psychique, fera recours à des actions contraires aux normes socialement établies, ce qui contribuera à redonner plus de vitalité à l’insécurité criante dont souffre le Mali aujourd’hui.

Par ailleurs, il convient de noter d’un point de vue économique, que le chômage est un gaspillage des ressources. En effet, la population inoccupée pourrait potentiellement contribuer à accroitre le gâteau à partager (la richesse nationale) en augmentent la productivité globale de l’économie, mais qui, à l’évidence, demeure inactive. Les volontés politiques peuvent inéluctablement impacter le niveau du chômage, et ce, à travers les réels programmes de formation, les systèmes d’assurance chômage, les législations sur les salaires minimums et celles relatives à la négociation collective des salaires mais aussi des conditions des travailleurs.

La solution passe par la construction d’un secteur privé compétitif et créateur d’emploi :

Aujourd’hui, les entreprises maliennes aux niveaux national et international ne sont pas à la hauteur de la compétitivité attendue, comme en témoin leurs improductivités. Une entreprise qui produit moins, investit peu, et in fine embauche peu. C’est parce qu’elles emploient moins qu’aujourd’hui 25% des sortants de l’enseignement supérieur malien sont programmés au chômage. Il convient donc, pour le salut d’une économie solide, de stimuler le secteur privé. La promotion de ce secteur privé, faire de lui un moteur valide de croissance économique est une solution sérieuse dans l’optique d’asseoir les bases d’un développement économique durable.

Il faudra commencer pour ce faire de réduire le poids du fonctionnement de l’Etat, faire des rationalisations dans les dépenses publiques, dégager ces surplus budgétaires pour renforcer la capacité de financement du système financier de l’économie afin qu’il réalise des investissements juteux. Ensuite, penser un dispositif de collaboration entre les structures de formations (universités, écoles professionnelles…) et les entreprises, afin de faire la question de l’emploi une responsabilité partagée. Aussi, mieux adapter l’ossature de la législation au contexte de la promotion du secteur privé, avec des touches nouvelles au niveau de l’impôt sur les sociétés (IS). Aussi, élaborer une fiscalité plus incitative de l’épargne dans le dessein de faciliter la mobilisation de ressources financières longues, dont celle des Maliens de l’étranger, qui pourront davantage contribuer au financement de l’économie. Cette forme de réorganisation des politiques de l’emploi doit permettre d’atteindre le niveau de flexibilité inhérente aux activités des entreprises, et être accompagné d’un système de sécurité (allocation-chômage, formation professionnelle, etc.), bien conçu à la hauteur du désire des travailleurs. Cela contribuera à restaurer la confiance non seulement du niveau des investisseurs-entrepreneur, mais aussi des travailleurs, qui se sentiront protégés.

Education, une réponse valable et un facteur de développement économique :

Le développement économique est relatif à l’ensemble des mutations positives (croissance économique, la démographie, la technique, le système social et sanitaire …). Il est donc fonction de la croissance économique, laquelle dépend en partie de l’investissement. L’investissement, outre le capital physique (machines, infrastructures…), concerne également le capital humain, et le lien de causalité entre le développement industriel, la croissance économique et l’investissement se découvre démontré dans le processus schumpetérien de la « destruction créatrice ».

En effet, l’économie fleurie avec le changement, et la tendance de nos jours est à l’innovation. Beaucoup d’entreprises font faillites pour la simple raison qu’elles sont technologiquement et humainement obsolètes. Dans le milieu de la concurrence, les entreprises fabriquant des nouveaux produits, qui « performent » leurs technologies de production, embauchent des personnes compétentes pour manipuler ces technologies sophistiquées ont plus de chance de détruire le concurrent. Les autres entreprises concurrentes, en étant pas aptes de résister, quittent le marché parce que les consommateurs se détournent de leurs produits. C’est ainsi que les nouveaux produits tuent les anciens.

Les technologies modernes, en se substituant aux technologies traditionnelles, influencent les habitudes de consommation et causent une mutation de nos sociétés traditionnelles en sociétés modernes. C’est l’idée centrale de la notion de la « destruction créatrice » de l’économiste et sociologue autrichien Joseph Aloys Schumpeter :  « L’impulsion fondamentale qui enclenche la machine capitaliste et la garde en mouvement vient des nouveaux consommateurs, des nouvelles marchandises, des nouvelles méthodes de production et de transport, des nouveaux marchés et des nouvelles formes d’organisation industrielle que crée l’entreprise capitaliste » (Capitalisme, Socialisme et Démocratie publié en 1942).

L’aboutissement de cette mutation de la société s’accompagne par la formation du capital humain compétent techniquement pour soutenir le développement économique. Dans une économie industrialisée, l’entreprise est la principale force motrice. Nonobstant, force est de constater aujourd’hui un hiatus entre les demandes de travail des entreprises d’une part, et l’offre de travail opposée à cette dernière par des ménages d’autre part. Il est de ce fait d’une nécessité absolue, non seulement de former les ressources humaines compétentes, mais aussi et surtout d’aligner cette formation sur les besoins en termes de demande de travail des entreprises. Robert Lucas, prix Nobel d’économie 1995 a conçu une représentation de croissance endogène. C’est une théorie économique qui explique la croissance économique par les facteurs endogènes, dont le capital humain techniquement compétent, et le développement des innovations technologiques. L’idée de base prend son fondement sur le capital humain, pouvant être accumulé par l’intermédiaire de certaines activités dont les plus impérieuses sont l’éducation, la formation, la santé et l’innovation. Il y’aura développement, lorsqu’un nouvel ordre économique, avec de nouveaux modes de fonctionnement du processus de production, de nouvelles personnes compétentes et des nouvelles réorganisations structurelles parviendront à s’installer.

Toutes ces réalités démontrent que la jeunesse malienne a besoin d’exemples, de modèles et d’orientations, de principes, de valeurs et d’idéaux pour se saisir, régénérer et mieux intégrer la société malienne. Elle serait un atout pour le devenir de cette société si elle aura accès à des formations de qualité fondée sur une logique structurelle. Et de facto, ces jeunes pourront se trouver du travail et mieux insérer la vie professionnelle de manière positive. A défaut de cette formation de qualité et d’une vision stratégique sérieuse de politique d’emploi, le chômage constituera pour les jeunes un métier d’avenir, et ils continueront à vivoter de petits métiers précaires sans pouvoir créer une famille et vivre décemment. Dès lors, deux options leur seront offertes : être en proie au désespoir, et à l’émigration sauvage avec ses dangers énormes, ou croire aux promesses des fanatiques islamistes-extrémistes et s’engager dans le terreau du terrorisme.

Le chemin demeure long certes, mais il convient pour continuer d’agir de nourrir davantage espoir. Restons engagés !

 

DEMBELE Khalid,

Économiste Chercheur, CRAPES ML.

 

Source: Koulouba.com

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