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Mali et Ghana : destins croisés face à la baisse des prix du lithium

Le Ghana s’ inquiète de l’impact de la baisse des prix du lithium sur son industrie naissante. Le pays rejoint la liste des producteurs et futurs producteurs de lithium qui s’attendent à voir leurs ambitions contrariées par un marché en berne.

Selon l’évaluation quotidienne de la firme Fastmarkets, le prix du spodumène de lithium est passé d’une fourchette de 2500 à 2700 dollars la tonne le 21 janvier 2022, à une fourchette de 720 à 770 dollars la tonne le 11 septembre dernier.

Benchmark Mineral Intelligence a évalué de son côté le prix du spodumène à 818 dollars la tonne, contre un record de 6401 dollars la tonne en décembre 2022, soit une baisse d’environ 90 % en moins de deux ans.

Les prix de l’hydroxyde et du carbonate de lithium de qualité batterie ont par ailleurs plongé ces deux dernières années, passant d’un pic à plus de 70 000 dollars la tonne en 2022 à environ 11 000 dollars la tonne en septembre 2024.

Les prix ont baissé notamment parce que la demande mondiale de lithium a augmenté moins rapidement que l’offre. À titre d’exemple, la production de lithium a plus que doublé au cours des trois dernières années pour atteindre 194 000 tonnes en 2023 selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en hausse de 81 % par rapport à 2021.

Dans le même temps, l’institution a évalué la demande mondiale à 165 000 tonnes, contre 101 000 tonnes en 2021, soit une croissance de « seulement » 63 % en deux ans.

Le ralentissement de la demande s’explique par des ventes moins élevées de véhicules électriques, qui ont conduit les producteurs de batteries électriques et les constructeurs automobiles à accumuler des stocks, notamment en Chine.

Selon le cabinet Rho Motion, les ventes mondiales de véhicules électriques et hybrides rechargeables ont progressé de 31 % en glissement annuel en 2023, contre une croissance de 60 % entre 2021 et 2022. Habituellement moteur de la croissance, la Chine n’a enregistré qu’une hausse de 15 % l’année dernière.

 

“L’accumulation substantielle des stocks dans la chaîne de valeur des batteries en aval a progressivement freiné l’activité d’achat en 2023. Dans le même temps, les nouveaux approvisionnements en provenance d’Australie, d’Argentine et de Chine ont continué d’augmenter tout au long de l’année, ce qui a accentué la pression sur les prix [du lithium]”, explique un rapport de l’AIE publié en mai 2024.

 

Selon une estimation de Wood Mackenzie, l’excédent sur le marché devrait se maintenir à moyen terme, atteignant 435 000 tonnes d’équivalent de carbonate de lithium (LCE) en 2026.

Il faut dire que de nouvelles sources de lithium arrivent progressivement sur le marché, notamment à partir de l’Afrique. Selon Benchmark Mineral Intelligence, le continent devrait représenter cette année 10 % de la production mondiale de lithium, contre 4 % en 2023, principalement grâce au Zimbabwe et au Mali.

Les risques pour le Ghana

Face à la situation actuelle et aux perspectives peu favorables à moyen terme, les compagnies actives sur le lithium ont pris diverses mesures ces derniers mois, allant du report de projets à des réductions de la production.

Début septembre, le géant chinois des batteries électriques CATL a décidé de suspendre la production d’une mine de lithium en Chine, dont la rentabilité est menacée par les prix faibles.

Le Ghana ne prévoit pas l’entrée en production de sa première mine de lithium avant 2026 au mieux. Pour autant, la baisse des prix du lithium s’accompagne aussi d’inquiétudes pour la viabilité économique de son principal projet, la future mine Ewoyaa.

L’australien Atlantic Lithium, qui pilote le projet, a estimé les revenus à 6,6 milliards de dollars sur la durée de vie de la mine. Cette prévision est néanmoins basée sur un prix à long terme du concentré de spodumène à 1410 $ la tonne, loin donc des prix actuels du produit.

“La production d’une tonne de concentré de lithium coûtera à Atlantic Lithium environ 650 dollars, et comme le prix dépasse à peine 700 dollars, nous sommes inquiets”, a déclaré M Ayisi, dans une interview relayée par Reuters en septembre.

L’inquiétude d’Accra est notamment justifiée par son implication importante dans le projet. Outre sa participation gratuite réglementaire dans Ewoyaa, le gouvernement a annoncé un investissement de 32,9 millions $ pour participer au succès du projet, dont 5 millions $ au moins qui ont déjà été utilisés pour entrer directement au capital d’Atlantic Lithium.

Au-delà d’une baisse des revenus, le Ghana craint aussi un retard rédhibitoire dans le développement du projet. Atlantic Lithium a déjà dû reporter le début des travaux de construction de la mine de juillet 2024 au premier trimestre 2025, car le Parlement ghanéen n’a pas encore ratifié le bail minier octroyé en 2023 par le gouvernement.

Pendant ce temps, d’autres pays, notamment en Afrique, poursuivent les plans visant à exploiter leurs réserves de lithium.

“Il est essentiel que nous obtenions la ratification rapidement, car la patience de nos investisseurs s’amenuise, surtout lorsqu’il existe des juridictions mieux dotées dans ce que l’on appelle le triangle du lithium et que le Mali se trouve juste à côté”, prévient Ahmed-Salim Adam, directeur général d’Atlantic Lithium au Ghana.

Le Mali avance… pour l’instant

Au Mali, deux mines de lithium devraient entrer en production cette année. Le projet Goulamina est piloté par le chinois Ganfeng Lithium, depuis le départ de l’australien Leo Lithium plus tôt cette année. Le second projet, Bougouni, est un partenariat sino-britannique entre Hainan Mining et Kodal Minerals.

Selon les estimations de Leo Lithium, Goulamina peut livrer annuellement plus de 500 000 tonnes de concentré de spodumène au cours de la première phase d’exploitation, et jusqu’à 1 million de tonnes par la suite.

Quant à Bougouni, il est prévu une production annuelle de 125 000 tonnes de concentré de spodumène entre 2024 et 2028, puis 230 000 tonnes par an jusqu’en 2036.

Se présentant comme le “premier producteur de lithium en Afrique de l’Ouest coté à la bourse de Londres” dans une présentation publiée en mai dernier, Kodal Minerals a réaffirmé son intention de mettre en service Bougouni d’ici la fin de l’année.

Les premières cargaisons d’équipements pour l’usine de traitement de Bougouni sont arrivées au port d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, en août 2024, puis ont depuis été acheminées à la mine au Mali.

“La construction de la ligne de flottation pour la phase I du projet de spodumène de Goulamina est en cours de finalisation, et la ligne de concassage a été achevée et activée pour commencer à concasser le minerai pour la réserve, et devrait produire le premier lot de produits de spodumène au cours de cette année”, a également noté Ganfeng dans un rapport d’août 2024.

Perspectives à long terme pour le lithium

Même si les plans opérationnels du Mali se poursuivent actuellement, le pays ne peut ignorer l’impact de la baisse des prix sur les revenus initialement attendus de l’exploitation de son lithium. À titre d’exemple, Kodal a basé ses prévisions de revenus sur un prix à long terme de 2080 dollars la tonne pour le concentré produit à Bougouni.

Or, le concentré s’échange ces dernières semaines à moins de 1000 dollars la tonne et un changement rapide de la situation sur le marché n’est pas attendu à par les observateurs du marché.

Selon l’AIE, il est difficile d’envisager une hausse significative des prix à court terme, notamment à cause de l’arrivée de nouvelles sources d’approvisionnement sur le marché durant les prochains mois.

“Cela pourrait prendre des mois avant de voir une évolution des prix. Il faut que davantage d’entreprises réduisent leur production” abonde un négociant européen cité par Fastmarkets.

Une fois cette zone de turbulence traversée, il faut souligner que les producteurs africains ont des raisons d’être optimistes quant aux perspectives à long terme sur le marché du lithium.

Selon l’AIE, la demande mondiale de lithium pour les énergies dites propres devrait s’établir à 616 000 tonnes d’ici 2030, dans le cadre du scénario “Net zero emission”, contre 92 000 tonnes en 2023. Dans le même temps, l’offre mondiale de lithium est attendue à 450 000 tonnes en 2030 d’après la même source, créant un déficit de plus de 150 000 tonnes.

Dès 2025, Benchmark Mineral Intelligence prévoit déjà les premières pénuries sur le marché. Une hausse des prix à moyen et long terme sera indispensable pour combler ce déficit.

“Nous pensons que le prix du lithium a peut-être atteint son niveau le plus bas et que des prix plus élevés pourraient être nécessaires pour encourager la production future nécessaire”, indique le gestionnaire d’investissement Sprott dans une note publiée le 31 juillet.

Selon le cabinet McKinsey, la taille de la chaine de valeur des batteries lithium-ion (exploitation minière, raffinage, etc.) devrait être multipliée par cinq et atteindre environ 400 milliards de dollars d’ici 2030.

Un marché en pleine croissance donc, qui devrait garantir au Ghana, au Mali ou encore au Zimbabwe, premier producteur africain, une augmentation substantielle des revenus miniers dans quelques années.

Source : trtafrika

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