Visés depuis une semaine par un mandat d’arrêt international, trois anciens ministres maliens se rebiffent. Boubou Cissé, Mamadou Igor Diarra et Tiéman Hubert Coulibaly sont soupçonnés d’avoir détourné de l’argent public lors de l’achat, en 2015, par leur pays de véhicules blindés à une société sud-africaine, évalué à 60 millions de dollars. Ils clament tous trois leur innocence et se disent prêts à se présenter à la justice. En, était le Ministre de la Défense en 2015 et réfugié en Côte d’Ivoire Tiéman Hubert Coulibaly se défend.
Comment réagissez-vous au mandat d’arrêt qui vient d’être lancé contre vous ?
Sereinement, un peu surpris, mais sereinement. Il n’y a pas eu de détournement de mon temps. Après, je ne vois pas comment est-ce qu’on pourrait détourner ces sommes-là, d’autant que ce sont des paiements qui sont organisés entre banques, des transferts internationaux, tout cela est bien traçable.
Dans votre communiqué de ce 1er aout, vous dites que vous êtes prêt à répondre à la justice malienne dans le cadre d’une commission rogatoire, c’est-à-dire dans le cadre d’une audition dans un pays étranger. Peut-on imaginer par exemple qu’un magistrat malien se déplace à Abidjan pour vous auditionner ?
Moi, je suis disposé à répondre aux questions, à poursuivre les explorations avec la justice malienne dans le cadre d’une commission rogatoire. À Abidjan, ou ailleurs, je serai prêt.
Sur le plan politique, vous dites que ces poursuites judiciaires contre vos collègues Boubou Cissé et Mamadou Igor Diarra, et contre vous-même, visent clairement à anéantir toute voix politique dissonante. Mais le régime militaire malien ne vient-il pas pourtant de négocier avec la Cédéao un calendrier de transition qui permettra un retour des civils au pouvoir en mars 2024 ?
Moi, je retiens aujourd’hui que la transition malienne est face à un mur parce que ses intentions profondes sont de garder le pouvoir. Et j’ai de plus en plus la conviction qu’un objectif d’éradication, en tout cas d’une bonne partie de la classe politique, celle qui porte une vision différente, est dans leur projet. Parce que vous voyez bien tout ce qui se passe.
D’anciens cadres, d’anciens ministres sont détenus dans le cadre d’affaires qui deviennent inexplicables, je pense à Bouaré Fily Sissoko, ancienne ministre des Finances, pour cette histoire d’avion, qui croupit en prison. Je pense à Mahamadou Camara qui croupit aussi en prison. Je ne veux pas rappeler la mort, la triste disparition de Soumeylou Boubèye Maïga pendant qu’il était en détention, à qui on a refusé les soins auxquels il pouvait avoir droit pour lui donner la chance de survivre à cette maladie, et cela relève de la décence humaine de base. Donc je ne suis pas rassuré.
Mais s’il y a des élections dans deux ans et que les militaires ne s’y présentent pas, est-ce que vous n’espérez pas un retour des civils au pouvoir ?
C’est à voir. Les militaires n’ont pas le droit de se présenter, en tout cas les acteurs de la junte n’ont pas le droit, mais des variantes sont possibles. Moi, je ne crois pas aujourd’hui que ce programme soit sincère, je pense qu’il y a encore de la malice. Parce que procéder ainsi par la persécution des hommes politiques, les faire condamner sur les réseaux sociaux avant même de les avoir entendus, avant même d’avoir exploré les faits qui pourraient leur être reprochés, je pense que c’est une manœuvre.
L’annonce du mandat d’arrêt international contre vous est tombée le jour même où ont commencé au Togo les négociations sur le sort des 49 soldats ivoiriens arrêtés au Mali, il y a bientôt un mois. Et de bonne source, vous faites partie avec Karim Keita et Boubou Cissé des personnalités que votre pays réclame en échange de la libération de ces 49 soldats ivoiriens. Ne craignez-vous pas que la Côte d’Ivoire vous extrade vers votre pays ?
La Côte d’Ivoire est une terre d’accueil, – est un État membre de la Cédéao, – un pays frère du Mali. J’ai appris, c’est vrai, moi aussi de bonne source, que nous étions devenus des enjeux dans cette affaire-là, ce qui est pour le moins, vous en conviendrez, inhabituel. Alors des hommes politiques qui sont poursuivis sur la base d’éléments plus que discutables se retrouvent sur une table de négociations par rapport à des militaires d’un pays frère, ami, allié, arrêtés au- pour servir de monnaie d’échange. C’est inhabituel et à certains égards, cela peut même être effrayant. Moi, j’ai confiance, et je ne pense pas avoir posé d’acte en direction du Mali, ni en direction de qui que ce soit qui puisse me valoir de servir de monnaie d’échange dans un tel dossier.
Source : afriquematin