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Mahmoud Dicko : « Je fais cette mission pour mon pays, c’est tout »

Président du Haut Conseil islamique du Mali, Mahmoud Dicko a été récemment désigné par le gouvernement pour mener une mission de bons offices dans la région de Kidal, où l’administration et l’armée malienne ne sont pas encore revenues. Mission à la fois difficile et symbolique pour ce leader religieux, qui avait entrepris en 2012 de négocier avec les djihadistes, notamment Iyad Ag Ghaly, la libération de plusieurs soldats maliens. Journal du Mali vous propose une interview inédite de cet homme influent qui revient sur les attentes par rapport à cette mission et à la situation politique actuelle du pays.

imam mahmoud dicko hci

Vous avez été désigné par le gouvernement pour être à la tête de la mission de bons offices à Kidal. Pourquoi vous ?

Je précise que la demande ne vient pas de moi. Maintenant, pourquoi moi ? Je ne saurais répondre à cette question. Il faudrait la poser au gouvernement. Au-delà de ça, je suis un citoyen, comme tout le monde, bien que je sois le Président du Haut Conseil islamique (HCI), institution qui sert d’interface entre le gouvernement et la communauté musulmane. Si on estime que je peux apporter mon aide à la recherche de la paix au Mali, cela ne peut être qu’un honneur pour moi. Je le fais donc avec plaisir, car c’est un devoir citoyen et religieux. Je tiens à préciser la chose suivante: cette mission, je ne l’ai pas acceptée pour sauver la tête de quelqu’un ou un régime. Je la fais pour mon pays, c’est tout. Je ferai donc tout ce qui est à mon pouvoir pour réussir.

Justement, en quoi consiste cette mission ?

Elle consiste à ramener sur la table des négociations les différents groupes armés en conflit dans la région de Kidal, afin d’obtenir, de façon définitive, un cessez-le-feu. Le but est de permettre à l’administration malienne de retourner à Kidal. Notre mission est aussi de faire en sorte que la population participe et adhère aux échanges pour faciliter la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, notamment à travers la mise en place du MOC et des autres mécanismes.

Comment parvenir à rassembler les gens alors qu’il existe des tensions entre les communautés dans cette région ?

Je n’ai pas encore été à Kidal, c’est vrai. Mais je suis actuellement, ici, à Bamako, avec les responsables des groupes armés. Nous sommes toujours en pourparlers. Il y a des moments où les échanges semblent aboutir. Souvent, aussi, on revient en arrière. C’est cela une négociation. Nous continuons donc notre tâche en restant optimistes.

Vous êtes sept pour cette mission, mais toutes les régions ne sont pas représentées, notamment Ménaka et Kidal. Pourquoi?

Toutes les régions sont concernées et peuvent être représentées au sein de la mission. Pour l’instant, nous sommes à Bamako afin de trouver un terrain d’entente avec les groupes concernés. Après, nous irons dans chaque localité de la région afin de sensibiliser et d’échanger avec les populations sur l’importance d’aller à la paix.

Des initiatives de ce genre ont déjà été entreprises à Kidal. Toutes ont jusqu’ici échoué. Pouvez-vous assurer au peuple que cette fois-ci peut être la bonne ?

Je ne peux rien assurer. Je dis tout simplement que je suis optimiste. On m’a confié une mission et je compte bien la remplir. Je ne peux pas dire que, parce qu’elle est compliquée, je n’arriverais pas. Sinon, à quoi cela servirait-il ? Je suis un croyant. Je me confie à Dieu et j’attendrai la fin de la mission pour tirer des conclusions, pas avant. Pour l’instant, nous n’avons pas rencontré d’opposition. C’est un bon signe.

Êtes-vous la solution de la dernière chance pour la région de Kidal ?

Je ne peux pas affirmer cela. Les choses ont fait qu’aujourd’hui c’est moi qui ai été choisi pour mener cette mission. Demain, ça peut être quelqu’un d’autre. Il y a plein de personnes dans ce pays qui peuvent jouer ce rôle. Le Mali ne se limite pas à Dicko. Je ne suis donc pas la dernière solution, mais je m’efforcerai d’apporter une solution définitive à cette situation.

Les frais de fonctionnement de la mission sont pris en charge par le budget national. Avez-vous donc une obligation de résultats ?

Qu’il y ait un budget ou pas, le plus important est que j’ai une responsabilité en tant que président du HCI et le devoir d’apporter des résultats. La confiance et l’estime placées en moi pour cette mission sont plus importantes que le budget auquel vous faites allusion. Si c’est cela que vous appelez avoir une obligation de résultats, oui je l’ai. Ceux qui aujourd’hui souffrent de cette crise sont nos frères, nos sœurs, nos enfants… Avec tout ça, vous pensez que je ne vais pas m’investir afin de trouver une solution ? Avant que le budget ne soit là, nous avons posé des actes pour la cohésion et la paix sociale. Nous continuerons à le faire.

Quel délai vous donnez-vous pour exécuter cette mission ?

Je ne me donne aucun délai. J’essaie de faire ce que je dois faire le plus vite possible. Dieu décidera du reste. Maintenant, l’Accord pour la paix et la réconciliation est là, ainsi que le mécanisme pour sa mise en œuvre. Notre rôle est un rôle de facilitation, c’est tout. Cela prendra le temps qu’il faut.

Vous aviez déjà émis le souhait de négocier avec Iyad Ag Ghaly. Cette option est-elle toujours d’actualité ?

La feuille de route qui m’a été donnée dans le cadre de cette mission ne mentionne ni Iyad Ag Ghaly ni Amadou Kouffa. Elle concerne plutôt des régions : Kidal, le Delta central et la Boucle du Niger. Nous n’avons jamais parlé d’Iyad Ag Ghaly, ni verbalement, ni dans la feuille de route.

En même temps, c’est quelqu’un d’incontournable si on veut aller à la paix. Est-ce que cela ne remet pas sur le tapis la négociation avec lui si on veut que les choses se passent sereinement ?

Je ne saurais répondre à cette question. Ce que je sais, c’est que j’ai une mission qui est bien définie et que je compte agir conformément à la feuille de route qui m’a été remise.

Vous avez souvent prôné le dialogue avec les djihadistes, pourquoi? Peut-on discuter avec des gens qui tuent régulièrement des Maliens ?

Si on ne négocie pas avec eux, qu’allons-nous faire, Si l’on avait les moyens qu’il faut pour éradiquer ce problème, on l’aurait fait depuis longtemps. Mais on ne peut pas rester sans rien faire. Ces djihadistes sont des Maliens comme nous-mêmes. Ce sont juste des brebis égarées. Il faut donc essayer de les faire revenir à la raison.

Avez-vous déjà été en contact avec Iyad Ag Ghaly de quelque manière que ce soit ?

Je vous ai dit avant votre arrivée qu’il y a des questions auxquelles je ne répondrai pas. Je suis dans une mission de bons offices. Pour plusieurs raisons, je suis obligé d’avoir un devoir de réserve sur certains sujets. Votre question m’oblige à en user.

Selon vous, les djihadistes sont-ils de véritables musulmans ?

Je n’ai aucun droit de dire que telle personne est un bon musulman ou pas. Je ne suis personne pour me permettre cela. Maintenant, je peux condamner certaines pratiques en tant que musulman.

Pour certains, les djihadistes sont soutenus par les pays occidentaux, notamment la France. Quel est votre avis ?

Je n’ai aucune preuve pour affirmer que c’est la France ou un autre pays occidental qui est à la base de cette crise. Si je le faisais, ce serait complètement insensé de ma part. Je peux ne pas être d’accord avec leurs façons de faire ou analyser les choses, mais ça s’arrête là.

Un mot sur la révision constitutionnelle. Vous semblez ne pas vous intéresser à ce sujet ?

Dans un tel débat, que voulez-vous que je dise ? En tant que citoyen, j’attends le moment où on sera appelé à aller aux urnes. Là, je voterai en fonction de ma conviction. Nous sommes dans un pays démocratique. L’opposition est là et joue son rôle d’opposant, la majorité continue d’appliquer ce qu’elle pense être bon pour le pays. Maintenant, entre les deux, moi je n’ai pas à me prononcer. Je ne m’intéresse pas à ce débat. Il faut qu’on fasse attention, sinon on risque de nous entraîner dans un faux débat. Tant qu’on ne touche pas à nos valeurs sociétales et à notre religion, je n’ai pas à prendre position.

Que pensez-vous de la création d’un Sénat ?

Je n’en pense rien. Je vous l’ai dit, je ne rentrerai pas dans ce débat. Il faut poser ces questions aux hommes politiques.

Vous avez au moins une position claire. Êtes-vous pour ou contre le texte de la révision constitutionnelle ?

Je le dirai lorsque je serai appelé à aller voter, comme tout le monde.

Le Chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Kéïta, aurait promis des postes de sénateurs à plusieurs leaders religieux. En faites-vous partie ?

En tout cas pas, à moi. Il ne m’a jamais parlé de Sénat ni fait une proposition de ce genre. Jamais au grand jamais!

Accepteriez-vous un tel poste si on vous le proposait ?

On verra au moment opportun.

Un religieux peut-il ou devrait-il prendre la tête de ce pays un jour ?

On est dans une république démocratique. Le peuple malien a décidé que le Mali soit un pays laïc. J’ai le devoir d’accepter cela. Si cela doit changer demain, ce n’est pas à moi Dicko de le dire.

Souhaitez-vous être Président de la République du Mali ?

(Il rit) C’est quand même extraordinaire. Rarement je m’asseois avec des hommes de média sans qu’on ne me pose cette question. Moi-même je me demande souvent ce que j’ai posé comme acte pour qu’on pense que je peux avoir des ambitions de ce genre. Moi, je suis président du HCI, c’est tout. Je n’ai jamais demandé à être maire ou député. Je n’ai jamais eu d’ambition pour aucun poste électif en dehors du HCI. Alors qu’on arrête enfin. Je n’ai aucune ambition politique.

Le Président IBK peut-il encore compter sur le soutien des religieux comme ce fut le cas en 2013 ?

On n’est pas encore en 2018. Il faut donc attendre. Et puis ce n’est pas à moi de décider de cela.

Dans certaines régions, les écoles fondamentales ont fermé leurs portes tandis que le nombre d’écoles coraniques a explosé. Ne pensez-vous pas la réouverture de ces écoles marque aussi le retour de l’administration malienne et que la solution de cette crise se trouve aussi dans l’instruction des enfants ?

L’explosion du nombre des écoles coraniques ne date pas d’aujourd’hui. Tous les grands hommes dont on chante les louanges aujourd’hui sont passés par là. L’école coranique est liée à notre histoire culturelle et religieuse. C’est donc une valeur, une identité culturelle pour nous. Maintenant, les écoles coraniques ont été victimes d’un désintérêt de la part de nos autorités, qui ne les ont ni accompagnées ni améliorées. Nous sommes en train d’en payer les conséquences aujourd’hui. C’est pourquoi beaucoup de nos jeunes qui sont allés dans ces écoles se sont égarés dans leur volonté de s’affirmer. Concernant l’école fondamentale, il est important que les classes ouvrent à nouveau leurs portes dans les localités où elles ont été fermées pendant la crise. Car nous avons besoin de ces écoles pour instruire nos enfants et construire l’avenir. Aucune religion ne demande de détruire un temple du savoir, quel qu’il soit.

Quelle lecture globale faites-vous de la situation actuelle du Mali, tant au niveau sécuritaire, que politique, social et économique ?

Nous sommes en train d’essayer de régler les conséquences de faits passés en oubliant leurs causes. La crise que nous vivons aujourd’hui est la conséquence de faits passés. Au Mali, notre problème, c’est que les gens ne veulent jamais reconnaitre leurs erreurs ou faire leur mea-culpa. Il faut qu’on regarde, dans notre parcours démocratique, ce qui a été fait ou pas afin d’en tirer toutes les leçons. Dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité, de la religion et d’autres, nous pouvons trouver des réponses à nos problèmes actuels. Il faut juste regarder en arrière pour s’en rendre compte.

Un mot sur l’état de la démocratie au Mali…

Le Mali a connu beaucoup de ruptures. L’indépendance a été pour nous une rupture, parce qu’on nous a imposé le socialisme, qui était différent de nos réalités sociales, culturelles, linguistiques, religieuses et politiques. Nous n’avons pas eu le temps de véritablement implanter ce régime qu’un coup d’Etat est survenu. Ici aussi c’était une rupture, parce que c’étaient des militaires novices qui ne connaissaient pas grand chose à la politique. Des années après, au moment où eux aussi commençaient à avoir des expériences dans le domaine, nous sommes entrés de façon désordonnée dans un système démocratique. Je veux dire que nous ne sommes pas entrés dans la démocratie de façon graduelle, comme cela est recommandé. Et cela continue aujourd’hui. Le problème du Mali est entre les élites et la classe politique. La démocratie ne peut donc qu’en payer le prix.

 

Source: journaldumali

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