C’est reparti : ce lundi, Emmanuel Macron retourne, une fois de plus, en Afrique. Pour une tournée de trois jours, qui le conduira d’abord aux confins du Sahara et de l’océan Atlantique : à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, où se tient en ce moment le 31e sommet de l’Union africaine (UA). Puis, dans la foulée, au Nigeria, l’indocile géant anglophone de l’Afrique de l’Ouest. «Nous avons fait le calcul : c’est son dixième déplacement en Afrique, Maghreb compris, en un an. Dix déplacements sur le continent en si peu de temps, c’est un record pour un président français», constate Friederike Röder, de l’ONG ONE, engagée dans la lutte contre la pauvreté en Afrique. Et qui se félicite de ce «signal fort», tout en soulignant les limites : «Affirmer une présence sur le continent, c’est bien pour une première année présidentielle, mais désormais il faut passer à l’action.»

Comme beaucoup d’ONG de solidarité internationale, la responsable de ONE s’inquiète de l’importance prise par les questions sécuritaires et migratoires, notamment dans la région du Sahel. Alors même que certaines promesses pour doper l’aide au développement tardent à se concrétiser. Lancée le 13 juillet 2017, l’Alliance pour le Sahel était ainsi censée jeter les bases d’un nouveau partenariat en faveur du développement entre la France et les pays de cette région tourmentée. Un an plus tard, le bilan est plutôt flou.

«On nous a annoncé une liste de 500 projets labellisés Alliance Sahel. On n’en connaît toujours pas le détail exact. On s’attendait à une grande ambition mais, pour l’instant, on voit surtout le parrainage de projets, déjà existants pour la plupart. Ce n’est pas à la hauteur des défis actuels», déplore Friederike Röder, qui rappelle que «cinq millions de filles sont déscolarisées dans la région du Sahel. L’Afrique a également besoin de 22,5 millions d’emplois par an». Notamment pour absorber une explosion démographique inédite : «Aujourd’hui, la population africaine est trois fois plus importante que celle de l’Europe. En 2050, il y aura six fois plus d’Africains que d’Européens. C’est donc aussi notre intérêt d’accompagner le développement et de sortir du court terme», ajoute encore Friederike Röder.

«Les tuyaux sont branchés»

A la veille du départ de Macron, un grand nombre d’associations ont multiplié les interpellations et les communiqués de presse pour exhorter le président français à se montrer plus volontaire, offensif, sur les enjeux de la pauvreté, de l’éducation, mais aussi de la bonne gouvernance et des droits de l’homme. «Bon, en réalité, on ne se fait pas trop d’illusions : Emmanuel Macron va peut-être faire un beau discours mais, en pratique, depuis un an, aucun financement supplémentaire n’a été dégagé pour appuyer le développement»,confie en aparté le responsable d’une grande ONG, qui redoute une focalisation exclusive sur les défis militaires. Surtout lors de la première étape de ce dernier «Africa Tour» de la saison.

D’ailleurs, les responsables français ne s’en cachent pas. Ce lundi à Nouakchott, «il y aura une dimension sécuritaire très forte»,rappelle-t-on à l’Elysée. Sur place, Macron va d’abord tenter de rebooster le G5 Sahel. Créée en 2014 mais relancée par Macron, avec une vigueur appuyée il y a pile un an à Bamako, au Mali, cette force conjointe en gestation est censée fédérer les armées de cinq pays sahéliens (le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad), pour faire face aux défis sécuritaires régionaux. Mais elle a encore du mal à s’imposer. La semaine dernière, côté français, on évoquait pudiquement la nécessité d’«accompagner une montée en puissance du G5 Sahel», assurant que, «malgré un processus complexe pour mettre en place les financements, les achats ou les équipements, les tuyaux sont branchés».

Deux jours plus tard, les «tuyaux» ont en réalité pris un sacré coup de chaud. Vendredi, le QG de la force G5 Sahel, installé à Sévaré, au centre du Mali, a été pour la première fois la cible d’une attaque kamikaze à la voiture bélier, faisant trois morts et de nombreux blessés. Le message ne saurait être plus clair : alors que depuis cinq ans les forces françaises combattent les jihadistes dans le nord du Mali sans normaliser la situation, non seulement le centre du pays est également devenu une zone grise, mais les jihadistes sont capables de viser le QG de ces nouvelles forces africaines censées, un jour encore très hypothétique, prendre la relève de l’armée française sur place.

Reste qu’au menu des discussions à Nouakchott s’imposera surtout un autre écueil pour le G5 Sahel. Malgré de multiples raouts pour mobiliser la communauté internationale, l’argent nécessaire n’est toujours pas au rendez-vous. Le fonds fiduciaire «devant gérer les contributions du G5 Sahel reste une coquille vide», révélait en début de semaine dernière la Lettre du continent, une publication confidentielle sur l’actualité africaine. Car sur les 414 millions d’euros promis, «seulement 500 000 euros versés par le Rwanda ont été réceptionnés». Les 50 millions annoncés par l’Europe ? «L’enveloppe dort toujours dans les caisses de l’agence Expertise France, chargée de les gérer.» Les 30 millions promis par les Emirats arabes unis ? Aucune info sur la date de versement, toujours selon la Lettre du continent. Quant aux 100 millions jetés sur la table par l’Arabie Saoudite, ils doivent en réalité «exclusivement financer l’achat d’équipements militaires français», et de toute façon, pas avant fin 2018.

On pourrait évidemment s’interroger sur l’opportunité d’associer des pays comme l’Arabie Saoudite à la lutte contre l’intégrisme islamiste au Sahel. Mais, au delà, les «tuyaux» du G5 Sahel semblent dans l’immédiat bien fragiles. «Le pire, c’est que les dirigeants français ou occidentaux ne réalisent pas combien les mesures sécuritaires mises en place contre le terrorisme ou les migrants sont contreproductives. Elles conduisent à fermer les yeux sur les abus commis par des régimes “amis” qui ont de plus en plus tendance à avoir la main lourde sur les droits de l’homme et la société civile. Quant aux forces militaires nationales, leurs exactions n’encouragent pas les populations locales à leur faire confiance», note un acteur humanitaire qui préfère rester anonyme pour éviter les «répercussions sur place».

La semaine dernière, un rapport d’enquête de la force de l’ONU au Mali, la Minusma, accusait un contingent de militaires maliens incorporés au sein de G5 Sahel, d’avoir exécuté une dizaine de civils au centre du pays. Des sanctions ont été promises par les autorités du pays «quand toutes les enquêtes seront achevées». En attendant, la peur et l’impunité continuent de peser sur la vie quotidienne de populations souvent prises en étau entre les groupes terroristes et leur propre armée.

Réels paradoxes

La Mauritanie offre d’ailleurs un bon exemple de la complexité et de l’ambivalence du jeu de poker qui s’impose dans l’immensité de cette région désertique. Voilà un pays qui, en avril 2017, a rendu «obligatoire» la peine de mort pour blasphème contre l’islam. «Et toute femme jugée coupable d’adultère peut être condamnée à la lapidation, même si en principe cette peine est suspendue par un moratoire», rappelle Fatimata Mbaye, avocate au barreau de Nouakchott. Reste que la Mauritanie est également considérée comme un pays en pointe dans la lutte contre le péril jihadiste. Certes, elle a été épargnée par les attentats depuis 2011. «Mais c’est au prix de multiples concessions avec les mouvements les plus radicaux. C’est un deal avec les islamistes», constate Fatimata Mbaye, qui espère que l’un de ses clients, Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir, un blogueur contestataire toujours emprisonné malgré la fin de sa peine, «sera enfin libéré. Et même exfiltré en France après la visite de Macron».Même libéré, il resterait menacé par les radicaux islamistes, qui agissent dans l’ombre en Mauritanie. Lequel pays abrite également le secrétariat général du G5 Sahel. Les paradoxes sont réels.

La France est-elle encore en position de dicter une conduite à ses partenaires africains ? La concurrence est désormais féroce sur un continent qui suscite bien des craintes mais aiguise aussi les appétits. Au moment même où Macron discutera de la fameuse «montée en puissance» du G5 Sahel à Nouakchott, Pékin organise son premier sommet de défense et de sécurité en Afrique, énorme raout destiné à montrer l’intérêt, et «la montée en puissance» là encore, de la Chine sur le continent. Car les Chinois, mais aussi les Russes, sont de plus en plus présents en Afrique. De Djibouti, où a été installée cette année la première base militaire chinoise, jusqu’à la République centrafricaine, où les soldats russes squattent durablement l’ancien palais de l’empereur Bokassa et conseillent le président du pays, les plaques tectoniques sont en train de bouger pour le partage des zones d’influence.

«Grandes déclarations»

«La France ne peut même plus prétendre au rôle d’un bienfaiteur généreux, ironise Michael Siegel, de l’ONG Oxfam. La moitié de l’aide bilatérale française est constituée de prêts, et non de dons. Elle ne va pas aux pays considérés en état d’urgence : l’aide française accordée aux pays du Sahel ne représente que 4,4 % de l’aide au développement. En réalité, la France préfère “aider” via des prêts des grands pays émergents. On peut faire de grandes déclarations mais, en réalité, aucun pays du Sahel ne figure parmi les dix pays prioritaires de l’aide française.»

Nul doute qu’à partir de mardi, la «séquence Nigeria», centrée sur la culture, les jeunes entrepreneurs et le football, sera perçue comme plus positive et détendue. Un retour aux origines pour Macron qui, jeune énarque, avait découvert l’Afrique lors d’un stage à l’ambassade de France d’Abuja en 2002. L’ambassadeur qui l’avait alors accueilli, Jean-Marc Simon, fera d’ailleurs partie du voyage. Aujourd’hui à la retraite, il dirige Eurafrique, une entreprise privée qui conseille les investisseurs en Afrique.