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Macron en Afrique : vraie ou fausse rupture avec la Françafrique ?

L’opposant tchadien Saleh Kebzabo, ainsi que les trois spécialistes du l’Afrique Thomas Borrel, Albert Bourgi et Antoine Glaser jugent le discours de Macron.

En s’envolant vers l’Afrique compliquée, Emmanuel Macron avait-il des idées simples ? Il est allé proclamer à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, une nouvelle rupture avec la Françafrique, cette politique néocoloniale où se mêlent interventions militaires pour sauver certains régimes, affairisme et oubli des principes démocratiques.

Le président français n’est pas le premier à vouloir enterrer la Françafrique. Ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, l’ont fait avant lui, changeant quelques pratiques tout en retombant souvent dans les mêmes ornières. En quoi le discours de Macron est-il différent ? Trois spécialistes de l’Afrique et un opposant africain expriment leurs réserves.

“Macron se moule dans la Françafrique”

Par Saleh Kebzabo, chef de file de l’opposition tchadienne au président Idriss Déby

“Je ne vois pas où est la rupture. Je m’attendais à un discours novateur, fondateur, réformateur. Car Macron est un président jeune qui n’a pas connu la colonisation, la Françafrique. Mais nous n’avons eu que des slogans comme : ‘La France n’a plus de politique africaine.’ Il n’y a pas de contenu différent dans ce discours. C’est un discours de meeting qui ne va pas au fond des choses. Il a fait de grandes annonces mais il n’a pas dit avec quels moyens il allait agir.

Or la France est le leader de l’Europe en Afrique mais c’est une puissance moyenne qui n’a pas les moyens de ses ambitions sur ce continent. Elle court après les Américains pour avoir des moyens financiers. Beaucoup vont déchanter. Macron se moule dans la Françafrique, ou ce qu’il en reste.

Depuis qu’il a été élu, pour nous, pour l’opposition au Tchad et même ailleurs en Afrique, rien n’a changé. Nous subissons les mêmes privations, les mêmes violations de nos droits. Et la France se tait toujours. C’est même peut-être pire depuis que Macron est au pouvoir.  Déby [le président tchadien, à l’élection très contestée] est même mieux traité. Nous attendons de voir ce que va faire Macron. Nous le jugerons aux actes.”

“Il n’a posé que des mots”

Par Thomas Borrel, porte-parole de l’ONG Survie, “Ensemble contre la Françafrique”

“Durant son discours fleuve, Emmanuel Macron a volontairement éludé certains aspects essentiels de la politique franco-africaine comme le franc CFA ou la coopération militaire avec des dictatures, promu le rôle du secteur privé français et défendu une posture de prétendue neutralité vis-à-vis des dirigeants illégitimes qui s’accrochent au pouvoir.

En assénant à plusieurs reprises ne pas être venu pour donner des leçons, il a cherché à exonérer les autorités françaises actuelles et passées de leur responsabilité dans la situation politique et économique de plusieurs pays d’Afrique francophone. Au final, cela s’apparente à un énième discours de “nouvelle” relation franco-africaine, comme si des formules incantatoires pouvaient gommer la part de responsabilité française dans tout ce que combat justement cette jeunesse africaine qu’il est venu célébrer.

Il avait l’opportunité de poser des actes concrets, il n’a posé que des mots, qui ne soigneront pas les maux de la Françafrique. Lui qui a pris un ton professoral pour expliquer qu’il n’était pas là pour donner des leçons, tout en passant son temps à en donner, il devrait pouvoir comprendre cela.”

“Il a fait dans la démagogie et le paternalisme”

Par le professeur Albert Bourgi, proche de l’Internationale socialiste, dont font notamment partie les présidents Issoufou du Niger, Ibrahim Boubacar Keïta (dit IBK) du Mali, et Alpha Condé de Guinée.

“Ce qui m’a choqué, comme beaucoup de mes amis surtout africains, c’est la façon dont il a traité le président du Burkina, démocratiquement élu, en disant qu’il était parti réparer la climatisation. Par cette désinvolture, il a voulu montrer qu’il ne s’intéresse pas aux dirigeants. Il a fait dans la démagogie et le paternalisme, indiquant les pistes à suivre, tout en disant qu’il n’en faisait pas, qu’il était jeune et différent des autres dirigeants français.

“Il est parti réparer la clim !” : Macron a-t-il “humilié” le président burkinabé ?

Il a dit : ‘Je vous ai compris’, comme De Gaulle. Il a innové sur la forme en s’adressant aux étudiants mais il n’y a rien de nouveau sur le fond.  Aujourd’hui ce n’est pas la France qui s’éloigne de l’Afrique, c’est l’Afrique qui prend des distances avec la France, c’est l’Afrique qui a maintenant d’autres interlocuteurs, avec plus de moyens, comme la Chine. C’est l’Afrique également qui est tenté de couper le cordon ombilical avec Paris.

Sur beaucoup de sujets de fond, Macron n’a rien dit. Rien sur le régime répressif d’Eyadema au Togo. Il n’a pas parlé non plus du franc CFA, qui est condamné à suivre les directives du Trésor français qui, seul, dicte quasiment la marche à suivre.”

“Il se voit le Barack Obama de l’Afrique”

Par Antoine Glaser, journaliste et écrivain, spécialiste de la Françafrique

“Ce qui est amusant, c’est que Macron avait dit qu’il aborderait l’Afrique avec une grande humilité. Or il a fait preuve de beaucoup de condescendance voire d’arrogance dans ce discours. Il ne peut s’empêcher de faire du Macron. Certes il y a une rupture par rapport à Sarkozy et Hollande car il a joué à l’enfant qui venait de naître. Il ne s’est pas seulement adressé aux étudiants, ni aux jaunes mais aux sociétés civiles. C’est nouveau. Il se voit le Barack Obama de l’Afrique.

Il n’a pas été trop paternaliste, il n’a pas parlé de “nos amis les Africains”. Il a prêché le libéralisme, leur a dit : “Démerdez-vous les mecs !” Macron a pris la mesure d’une Afrique mondialisée, de la perte d’influence française, de la fin du système politique, militaire, économique, financier intégré qu’était la Françafrique. Il est dans la réalpolitique.

Mais à la Françafrique étatique a succédé une Afrique-France privatisée. La relation continue avec toujours les mêmes grands groupes, Bouygues, Bolloré, Casteele qui jouent sur les réseaux françafriques pour avoir des contrats. Ce sont eux les héritiers de la Françafrique.”

Propos recueillis par Jean-Baptiste Naudet

Source: nouvelobs

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