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Lutte anti Covid-19 au Mali : Sur les traces du « Fonds Covid » volé

Au moment où la pandémie du Covid-19 gagnait du terrain et s’incrustait jour après jour avec désormais 14115 cas positifs et 502 décès à la date du 10 mai 2021, un autre virus plus mortel faisait ses effets : celui de la gestion calamiteuse des ressources publiques allouées à la riposte anti Covid-19 et l’absence totale de transparence, qui ont sans doute profité à certains hauts responsables, semblent pire que le Coronavirus lui-même. Flash-back sur une gestion tendancieuse et scandaleuse qui a fait évaporer plusieurs dizaines de milliards de F CFA.

Pendant que les dégâts en termes de victimes et de morts dû au Covid-19 vont crescendo au Mali, la mauvaise gestion et l’absence totale de transparence y sont pour beaucoup.

Ici, la question de la terrible pandémie focalise toutes les attentions et continue d’être une préoccupation d’ordre national. L’ensemble du système de santé n’est désormais orienté que sur cette problématique.

La situation de la pandémie à la date du 10 mai est relativement moins alarmante. Les chiffres officiels ont baissé et oscille autour de la moyenne de 20 à 30 cas de contaminations par jour. Mais bon nombre de malades évitent les hôpitaux de Bamako et préfèrent l’automédication par peur de tomber dans le piège « Covid 19 ».

Il y a quelque 2 mois les hôpitaux de Bamako ne disposaient quasiment plus de lits pour les autres types de malades. A l’hôpital dit « Hôpital du Mali », l’un des plus grands hôpitaux du pays basé à Bamako, plusieurs patients d’autres pathologies comme entre autres le diabète et l’hypertension se voient repoussés au nom de l’urgence Covid-19.

Le bâtiment à deux niveaux, juché au nord-est de l’hôpital du Mali, ne suffit plus pour accueillir les patients atteints du Covid-19. Dans le couloir funeste qui mène à ce bâtiment isolé de l’hôpital les parents ou proches de patients sont à peine visibles. Les ingrédients sont réunis pour laisser planer un sentiment d’abandon par les siens. Moussa Sylla, un jeune artiste musicien témoigne, après un séjour de 14 jours dans ce centre craint par la population bamakoise : « Après que j’ai appris que j’étais positif au Covid-19, j’ai été admis dans cet hôpital en mi-octobre 2020. Je recevais essentiellement deux comprimés de chloroquine par jour et deux repas dont la qualité laissait à désirer. J’ai alors demandé à ma famille de m’apporter à manger tous les jours. Vous n’imaginez pas combien cela m’a coûté. Nous savions que la nourriture est prise en charge dans le traitement, mais on nous livrait ce que sont sensés manger des animaux ».   

Si certains patients repoussés puisque souffrants d’autres pathologies que le Covid-19 se sont résolus à opter pour la périlleuse méthode de l’auto-médication, d’autres par contre, c’est le cas d’une jeune femme diabétique, Ivonne Sylla, venue d’une localité de Sikasso (plus de 200 km de Bamako) pour être hospitalisée. Elle se voit obligée de retourner à Sikasso, laisser son sort aux mains de la structure locale de santé et espérer un hypothétique soulagement.

A 15 km de là, sur les hauteurs de la ville de Bamako, le Quadragénaire Alou Traoré, un malade du Covid-19 qui estime être un survivant miraculé, dénonce des chambres délabrés et salles de l’hôpital du « Point-G » dans lesquels les malades du Centre Covid-19 ont été amassés en groupes de deux personnes au moins par chambre. « Je n’avais plus d’intimité depuis mon arrivée dans ce centre où difficilement on pouvait avoir le moral et entretenir un quelconque espoir de survie », regrette Alou Traoré.

Son co-chambrier qui l’avait rejoint pour défaut de place, une semaine après son arrivée, témoigne : « nous recevions essentiellement de la chloroquine, une fois par jour, mais certains d’entre nous quoique hospitalisés ne les prenaient pas en raison des effets secondaires dont des troubles digestives graves qui s’en suivent ».

Les 8 locaux qui suivent en avançant vers le coté Est de ce site du Point G sont très mal équipées. Pour pallier à l’absence de ventilation dans ces chambrettes, par ces temps de forte chaleur où la température frôle les 45°, la plupart des malades se font expédier leurs ventilateurs de leur domicile.

Grosse désillusion

Force est de signaler que la mobilisation empreinte de bonne volonté sonnée par le gouvernement du Mali contre la pandémie ne semble finalement qu’une lutte de façade.

Aujourd’hui, c’est le personnel soignant qui se retire petit à petit pour échapper à des conditions lamentables et déplorables d’exercice de leur métier.

Un médecin démissionnaire, qui a requis l’anonymat, déplore : « On parle de beaucoup d’argent allouée à la lutte contre la pandémie. Nous personnel soignant ne voyons pas la couleur de cet argent. Nous sommes payés en monnaie de singe quand bien même c’est nous qui payons le lourd tribut de cette pandémie car nous y sommes exposés permanemment ».

Au regard des informations disponibles, le personnel soignant se rebiffe et tente de fuir les conditions drastiques de travail qui leur ont été imposées.

Modibo Doumbia, Président de l’ordre des médecins de Bamako, dégaine des données qui donnent de la sueur froide. Sur plus de 200 médecins ayant contractés le virus, une quinzaine en ont trouvé la mort. Il pointe du doigt les appuis en termes de kits de protection du personnel de santé qui ne sont jamais arrivés au personnel soignant. A cela s’ajoutent les primes jugées dérisoires.

Les primes du personnel soignant varient entre 100000 et 200000 F CFA (181 à 363 USD). Mais pas partout. Le chef de la Cellule anti-Covid de Tombouctou, obligé de démissionner, touchait à peine 50000 F CFA (91 USD) malgré le risque énorme qu’il encourait auprès des patients de cette localité éloignée de Bamako.

Pour élargir l’assiette des soutiens et appuis, aider le personnel soignant à une meilleure assistance des malades et permettre une prise en charge des patients, l’Etat malien avait pourtant créé un compte spécial auprès d’une banque locale pour abriter les fonds.

« L’ouverture d’un compte spécial alimenté par des contributions de bonnes volontés pour faire face à la pandémie était l’une des meilleures décisions pour renforcer la riposte anti Covid-19. Hélas, la transparence dans l’utilisation des fonds collectés n’a pas suivi », s’indigne Moussa Fané, responsable d’une Plateforme de la Société civile du Mali.

En effet, la violation du manuel de procédure qui règlemente et fixe le cap de l’utilisation des ressources collectées et allouées à la lutte contre la pandémie du COVID-19 ne s’est pas fait attendre.

L’arnaque

Au Mali, la mise en œuvre du Plan de riposte contre le Covid-19 avait été évaluée à 500 milliards de F CFA, essentiellement consacré à l’amélioration du plateau technique des centres de santé, la fourniture gratuite des vivres aux plus démunis et de 20 millions de masques aux populations, l’allègement des factures d’eau et d’électricité.

Ainsi, suite à la confirmation fin mars 2020 des premiers cas positifs de Covid-19, le gouvernement a initié certaines grandes mesures. 6,3 Milliards de F CFA devrait avoir été alors mobilisés. « Nous n’avons pas vu la couleur de cet argent », assure un responsable socio sanitaire qui a dû démissionner en raison, dit-il, des mauvaises conditions de travail du personnel soignant.

Ouvert dans la foulée des premiers cas de contaminations au Covid-19 enregistrées fin mars 2020 au Mali, pour recevoir les contributions des particuliers, des personnalités, des structures, organisations et institutions, le Fond spécial Covid-19 logé sous le numéro ML102 01001 057590803001-39 de la Banque Malienne de Solidarité (BMS) a été crédité en avril 2020 de 5, $ 8 millions ( 461 938 258 F CFA).

Le Gouvernement du régime déchu de l’ancien Président Ibrahim Boubacar Keïta, dirigé en son temps par l’ancien Premier Ministre Boubou Cissé, n’avait plus jamais fait le point des contributions à fortiori édifier sur l’utilisation faite des fonds destinés à la lutte contre le Covid au Mali.

Ouvrant ainsi la voie à la polémique et à des accusations de manque de transparence et soupçons de détournement.

Depuis son éviction suite à la chute du régime du Président Keïta mi-2020, l’ancien Premier ministre Boubou Cissé a troqué sa toge de banquier et de technocrate contre la quête du pouvoir. Celui qui fait sans doute partie des favoris à la prochaine élection présidentielle en 2022 à cause certainement de l’argent qu’il a pu amasser s’est livré à cœur joie à une campagne déguisée et prématurée dans les perspectives de l’élection présidentielle de 2022. La question de la provenance du financement de cette campagne taraude les esprits des citoyens dans les confins du Mali.

L’utilisation faite ensuite des 2 milliards de F CFA (3048976 USD) collecté à la date du 17 avril 2020 auprès des citoyens Maliens a souffert d’un compte rendu détaillé. http://primature.ml/situation-des-details-du-compte-fonds-special-covid-19-du-17-04-2020/.

Les 500 milliards F CFA (plus de 900 millions USD) prévu dans le plan de riposte était entre autres destinés à l’amélioration du plateau technique des centres de santé, à la fourniture gratuite de vivres aux plus démunis et de 20 millions de masques aux populations en allégeant les factures d’électricité.

Même si elles n’ont pas daigné répondre à nos questions sur le suivi de l’utilisation faite des fonds alloués au Mali dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Covid-19, les partenaires techniques et financiers : l’OMS, la Banque mondiale, l’Union européenne, le FMI ont tous apporté une assistance financière aux autorités du Mali.

Selon une source proche de l’ancien Premier ministre, Boubou Cissé, le FMI a même accordé un moratoire sur le service de la dette du Mali.

Outre les contributions des citoyens, le Fond mondial international a mis à la disposition du Mali $ 200 millions (116 616 940 000 F CFA).

La Banque mondiale semble plus prompte à parler de sa stratégie pour l’Afrique plutôt que de se plier à des questions pratiques sur l’utilisation faite de son argent par les pouvoirs publics maliens.

Impossible donc d’avoir en appel téléphonique un interlocuteur du bureau de sa représentation à Bamako pour évoquer la question du suivi du financement alloué à la riposte anti covid-19 au Mali. Nos questions adressées ensuite via mail n’ont jamais été répondues.

L’Association des Professionnels de Banques et Établissements financiers (APBEF) n’a plus jamais versé de l’argent dans le compte spécial du gouvernement, mais a plutôt investi directement dans du matériel médical au profit de l’hôpital du Point G. La direction exécutive de cette structure hospitalière qui héberge le plus grand nombre de malades du Covid-19 au Mali confirme au téléphone avoir reçu de l’APBEF, dans le cadre de la deuxième vague du Covid 19, du matériel médical d’une valeur marchande de 30 000 000 F CFA (55252 USD).

Boubacar Thiam, directeur exécutif de l’APBEF semble éprouver de sérieux regrets : « C’était la panique à l’époque quand les premiers cas de contamination au Covid ont été annoncés en mars 2020. Nous avions eu moins de temps pour réfléchir avant de procéder à notre geste. Si nous avions su qu’il n’y aurait pas de traçabilité nous aurions, dès le premier appui financier au Fonds spécial, investi dans du matériel médical destiné directement aux malades ».

En clair, dit-il, c’est difficile pour l’APBEF d’aller suivre l’utilisation qui a été faite de l’argent mis à la disposition du fonds covid 19.

Suite à l’enregistrement des premiers cas du Covid-19 en mars 2020, l’APBEF avoue avoir versé dans la cagnotte du Fonds Covid la bagatelle de 670 500 000 F CFA (1234885 USD).

Selon un rapport du Bureau de Coordination Humanitaire des Nations Unies (OCHA), l’État du Mali avait demandé 57 millions de dollars soit 34 milliards de Fcfa à ses Partenaires Techniques et Financiers (PTF) pour mener des activités en vue de lutter contre la propagation de la pandémie de coronavirus dans le pays.

La Cellule nationale de riposte contre la Covid-19 s’en défend. Son chef, Akory Ag Iknane, balance sans preuves que beaucoup d’argent sont injectés dans la prise en charge des malades et les besoins du personnel socio sanitaire.

Ce qui cache mal une incohérence abjecte. Les patients du coronavirus rencontrés à l’hôpital du Point G, un des plus grands centres d’accueil des malades du Covid-19, indiquent que la qualité des repas et des soins laisse à désirer. « Le repas que l’hôpital nous sert est immangeable. Nos proches sont obligés de nous apporter à manger », témoigne Alou Traoré, 36 ans, un rescapé du Covid.

Alors que ses collaborateurs médecins broient du noir dans les hôpitaux du pays, le Coordinateur national de la Covid-19, Akory Ag Iknane botte en touche comme pour éviter en profondeur la question relative à la gestion des fonds alloués à la riposte anti Covid-19 : « Notre rôle est essentiellement technique. Nous ne gérons pas l’argent ».

Finalement, l’argent dédié à la lutte contre le Covid au Mali semble prendre une autre direction que de véritablement aider les malades et le personnel soignant.

Les fonds semblent arroser un circuit bien huilé, mais pas les malades encore moins le personnel soignant. Et le Gouvernement du Mali qui reçoit à lui seul la totalité du fonds collecté, hormis quelques messages préventifs qu’il diffuse sur la pandémie, ne semble se préoccuper que par l’organisation du prochaines élections présidentielles que le Mali connaitra en 2022.

Panique au sommet, soupçons de détournement

Initialement prévu fin décembre 2020, le Conseil de défense sur l’évaluation de la situation du Covid-19, n’avait certainement pas été annulé seulement parce que le pays connaissait une frénésie de cas descellés à la Présidence de la République et à certains niveaux, mais surtout parce que le peuple malien demande incessamment des explications sur l’utilisation des fonds publics alloués à la lutte contre la pandémie.

Où serait donc passé le fonds Covid-19 ? Les demandes sont de plus en plus persistantes.

Le coordinateur Akory, qui ne semble pas mesurer la gravité du manque de transparence, continue de réclamer de l’argent dans les médias locaux : « La Mali a besoin d’assistance et de soutien financier pour faire face au Covid 19 ».

Au Ministère des Finances, rien ne filtre quant à l’utilisation de ce fonds. Ni le ministre, encore moins ses conseillers, personne n’en pipe mot malgré nos multiples demandes d’interview.

Face aux tergiversations et autres effets d’annonces et actions inopérantes provoquées par le Gouvernement du Mali, certaines ONG n’en pouvaient plus de continuer à assister à la souffrance des patients et du personnel soignant. L’ONG internationale Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) dans un rapport fustige les mesures sociales inopérantes portées à grand renfort de publicité par le Gouvernement du Mali.

L’ONG a organisé une session de recueil des observations sur le niveau d’amélioration intervenue dans les conditions de travail du personnel sanitaire au niveau des sites d’investigation. Face à l’inaction de l’Etat, PCQVP s’est penché sur le niveau d’accès des communautés abritant les sites miniers aux mesures sociales annoncées par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la prorogation de la pandémie de Covid-19.

Abdoul Wahab Diakité, Président de PCQVP, souligne la volonté invraisemblable de transparence, et exige la bonne gouvernance des ressources allouées au Covid-19.

Ainsi, dans une étude baptisée : « Diagnostic du niveau de soutien reçu par les centres de santé de Bamako et des collectivités abritant les sites miniers du Mali », la coalition PCQVP accable les autorités ayant gérées les fonds Covid.

Interrogé, le Président du Conseil national de la Société civile (CNSC), Allaye Bocoum, fait des révélations restées jusque là confidentielles : « Le fonds Covid-19 a été totalement gelé et l’actuel Premier Ministre comme s’il sentait le coup arriver a choisi de s’abriter ».

Nommé en octobre 2020,l’actuel Premier Ministre, Moctar Ouane, a en effet initié un audit qui sera mené par le Bureau du Vérificateur général sur toutes les structures impliquées dans la gestion du fonds Covid. L’opinion publique du Mali attend avec impatience les résultats de ces enquêtes sur l’utilisation faite de l’argent public.

Dans ce contexte trouble de suspicion tous azimut, la complicité de certaines structures d’utilité publique est pointée du doigt. Hormis quelques affiches et des manifestations grand-public, le CNIECS n’a rien fait de concret quand bien même elle a été doté d’un budget de 3 milliards F CFA (plus de 5 millions USD) issu de l’argent public destiné à la lutte contre le Covid-19.

Le mouvement d’humeur du personnel soignant et celui des patients restent encore une réalité triste, tant dans les hôpitaux maliens et autres structures d’accueil des malades du Covid-19. Toute chose qui interpelle et suscite bien des interrogations sur la transparence dans la gestion des fonds alloués à la lutte contre l’une des pandémies les plus meurtrières que l’humanité ait jamais connu.

Enquête réalisée par Alco Dembélé

Source: L’Investigateur

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