Sitôt dit, sitôt fait !, était-on tenté de dire. Après avoir promis de se consacrer entièrement à la mosquée, au lendemain de la chute d’IBK, l’imam Mahmoud Dicko, tombeur principal de l’ex-président, s’exprimait de moins en moins en dehors de la Mosquée. Il semblait même amorcer son retrait de la scène publique, à en juger par un récent plaidoyer pour une communion du monde religieux, toutes confessions confondues, autour du Mali et de son destin.
C’était aussi dans cette optique que le promoteur du Centre islamique pour la paix et le vivre-ensemble, s’adressant à ses ouailles à la mosquée de Badalabougou, il y a quelques semaines, s’illustrait par un sermon chargé de sagesse, de vérités et de consistance utilitaire. Une démarche également assimilable à un véritable exercice de rédemption, tant elle retrace les erreurs de parcours de son auteur. Mahmoud Dicko y soutenait, en substance, que le Mali souffre aujourd’hui d’une grave carence de repères et éprouve un grand besoin d’être guidé par une boussole humaine. Pas d’éminence respectable, pas de notoriété ni d’autorité traditionnelle qui fasse l’unanimité dans le pays en cas de clivage ou de malentendus, déplorait en substance le célèbre imam en tirant en même temps la sonnette d’alarme sur le risque de destruction du tissu national inhérent à cette situation. Et de marteler dans la même veine que l’instauration d’une paix ainsi que l’édification d’une nation ne sauraient reposer sur le socle virtuel que sont les réseaux sociaux, les mêmes canaux qui naguère faisaient le bonheur du président d’honneur de la CMAS et qu’il exploitait à grand renfort de propagande et de battage contre le régime déchu.
De même s’est-il illustré par l’habileté de passer sous silence la grande responsabilité qui est la sienne dans cette perte du capital d’équilibre sociétal du pays à laquelle il fait allusion. Car les prises de parti peu désintéressées et à peine voilées, les préférences affichées entre acteurs de la vie publique, la prépondérance des intérêts et du confort personnel au détriment de la mission sacerdotale, la convoitise excessive de position sociale, etc., ne sont pas étrangères à la volatilisation progressive du crédit dont jouissait jadis ces références que le célèbre imam tente désespérément de ressusciter et qu’il invoque d’un vœu d’autant difficile à exaucer que la perte de confiance s’est enracinée dans l’habileté des autorités confessionnelles à inverser des torts et des raisons, à conforter ou déstabiliser des pouvoirs au gré des faveurs que ceux-ci leur procurent.
L’envol de cette tendance subversive a été amorcé en 2002 avec l’irruption d’une frange du monde musulman dans le jeu électoral au profit du candidat IBK et au mépris de l’équidistance exigible du statut d’autorité coutumière. Une collusion qui fera chou blanc en son temps, mais en laissant les arrière-goûts assez amères pour survivre aux échecs de deux présidentielles successives, jusqu’à l’épisode du Code des personnes et de la famille, que les leaders musulmans réussirent à travestir dans l’opinion à coups de contre-vérités, d’affabulations et de désinformations sur son contenu réel. Le renoncement à la promulgation de ce texte de loi, sous la pression de Mahmoud Dicko et coreligionnaires, marquera le premier triomphe d’envergure de l’activisme confessionnel sur le pouvoir politique avant d’ouvrir la voie à une ingérence politique ouverte du culte musulman, au prix notamment d’une transformation de ses espaces en fabriques de suffrages et ateliers de mobilisation de fidèles pour le compte de candidats à la magistrature suprême. L’imam Dicko en a d’ailleurs exprimé des regrets et demandé des excuses publiques d’avoir contribué à l’avènement d’un pouvoir ayant conduit le pays à la dérive et scellé pour longtemps le sort de ses concitoyens. Il aurait dû aussi demander les mêmes excuses pour la banalisation des supplices qu’infligent à ses concitoyens les colonnes islamistes soigneusement épargnées dans ses incriminations à défaut de les défendre contre les forces étrangères.
Il n’est point surprenant, en définitive, que des postures aussi mitigées affectent la crédibilité et la notoriété d’un monde musulman de plus en plus perçu sous le prisme de banals prestataires de services politiques et que les égards dus à ses représentants se mesurent à l’aune des profits que tirent les acteurs publics de leur ralliement ou des nuisances qu’ils peuvent infliger à leurs projets politiques. C’est l’image que renvoient, selon toute évidence, les principaux leaders musulmans en ne renonçant ni à la tentation de monnayer leur influence ni à celle de se maintenir dans la position qui leur en offre l’opportunité. Si fait que les animateurs ordinaires de la vie publique admettent difficilement de recevoir une quelconque leçon de personnages qui ne se distinguent point par une tenue ou des vertus plus enviables. En disent long les échauffourées ayant émaillé la réélection de Mahmoud Dicko, en 2014, pour un second mandat à la tête du Haut Conseil Islamique ainsi que la rébellion que lui a inspirée la perte de ce privilège suivie de celle des avantages matériels liés à la gestion d’une certaine cellule chargée de la crise du Centre auprès de la Primature. Or le privilège sacerdotal auquel aspire le célèbre leader religieux au bord de la disgrâce se mérite par les singularités qui le démarque du commun de ses concitoyens, au risque d’être réduit à prêcher dans le désert comme il l’a fait lors de sa dernière sortie publique.
A KEÏTA
Source: Le Témoin