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Le Che, héros malien ?

Si le numéro deux du régime cubain, « Che » Guevara, est venu en Afrique (après l’Algérie, il a visité le Mali et se rendra ensuite en Guinée et au Congo-Brazzaville), c’est pour une raison précise : à New York, lors du grand débat sur l’affaire du Congo, il a acquis la certitude que plusieurs États africains s’étaient engagés sans retour dans la voie d’une action directe contre le régime proaméricain de Léopoldville. […]

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« Che » Guevara estime que l’attitude de ces pays revêt une signification qui dépasse de beaucoup l’affaire congolaise. Cuba ne sera plus seule à penser qu’il faut aider autrement que par de bonnes paroles les luttes révolutionnaires. Il résume ainsi la doctrine cubaine : « Il ne s’agit pas d’exporter la révolution, mais de soutenir pratiquement les mouvements révolutionnaires qui ont effectivement l’appui des peuples. » Il est trop réaliste pour prétendre qu’on assiste au Congo à une véritable révolution, mais il faut constater que la volonté de certains peuples africains de mettre un terme à la corruption, à la domination étrangère, aux formes les plus aiguës du néocolonialisme, les conduit objectivement à entreprendre des actions révolutionnaires. C’est en ce sens qu’il existe, virtuellement, une certaine unité d’action entre Cuba et plusieurs États africains. […]

Ce qui frappe aujourd’hui dans ces propos, c’est qu’ils rendent le même son que ceux d’un Modibo Keita, d’un Sékou Touré, d’un Ben Bella et même d’un Nyerere. Guevara répondait ainsi à une question sur les comparaisons à faire entre l’OUA et l’Organisation des pays d’Amérique latine : « Plus jeune mais plus dynamique, moins expérimentée mais plus militante, l’OUA s’est mieux comportée. […] Au bout de deux ans, vous autres, Africains, avez trouvé vingt pays pour condamner l’agression de Stanleyville, alors que seul le Mexique s’est opposé à Washington. Cela suffit à montrer que l’Afrique renferme beaucoup plus de ferments révolutionnaires qu’on ne le croyait. C’est pourquoi on va sans doute chercher à la balkaniser le plus possible : c’est vis-à-vis de ce risque qu’elle doit garder toute sa vigilance ».

À Bamako, plus d’un demi-siècle après sa visite éclair, le révolutionnaire argentin demeure le symbole d’un idéal aujourd’hui disparu et d’une aspiration à un monde meilleur.

En pochoir à l’arrière des bus Sotrama ou en autocollant sur les motos Jakarta… À Bamako, la figure du Che est partout. Elle fait presque office de grigri. Moussa Diallo, jeune motocycliste, confirme : « On en a marre du système et de la corruption. Le « Che Gue », c’est un peu notre père spirituel et protecteur. » Le phénomène n’a pas échappé à l’écrivaine altermondialiste Aminata Traoré. « Le Che, explique-t-elle, c’est un repère dans cette période de troubles. »

Au Mali, le révolutionnaire argentin est si populaire que certains activistes n’ont pas hésité à se faire appeler « Che Guevara », comme Tahirou Bah, l’ex-militant du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), qui a revendiqué, en juin 2015, les attaques de Nara et de Fakola au nom du Mouvement populaire pour la libération du Mali (MPPLM).

Dans les faits, Ernesto Guevara n’a fait qu’une escale de quelques jours au Mali, en décembre 1964, juste avant de tenter, en avril de l’année suivante, une rébellion contre le régime Mobutu au Congo. Mais l’intérêt du Che pour l’Afrique remonte à son enfance. Bien qu’édulcoré dans les livres d’histoire, l’épisode tragique de la traite négrière a bien existé en Argentine. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, dans certaines provinces du pays, jusqu’à la moitié de la population pouvait être d’origine subsaharienne.

« Ernesto était aussi particulièrement sensible à l’histoire coloniale française, se souvient son frère cadet, Juan Martin Guevara, auteur de Mon frère le Che, paru cette année chez Calmann-Lévy. Notre mère était parfaitement francophone. Elle nous avait non seulement enseigné la langue, mais également transmis les valeurs humanistes qui allaient avec, parmi lesquelles un grand mépris pour l’esclavage et la domination française en Afrique. »

Mais cette tournée africaine du Che dans les années 1960 est surtout motivée par le désir de repartir combattre l’impérialisme, après avoir été pendant plusieurs années le ministre cubain de l’Industrie. « Il était très sensible aux expériences révolutionnaires en Afrique même s’il en parlait très peu », rappelle Janette Habel, une ancienne étudiante française à La Havane dans les années 1960 devenue politologue.

À l’époque, les relations entre le Mali et Cuba sont au beau fixe. Le groupe bamakois Las Maravillas de Mali, formé à La Havane, distille ses mélodies afro-cubaines sur les ondes de la radio nationale.

« Quand j’étais petit, un tonton m’a raconté la visite de « Che Gue » au Mali, s’exclame Mohamed. Les gens l’attendaient à bras ouverts. Il allait dans les quartiers pauvres pour rencontrer les plus vulnérables. Il a un peu ouvert notre conscience. » Le Che profite de cette visite éclair pour rencontrer discrètement quelques leaders révolutionnaires de la sous-région. Il prend lui-même les commandes d’un bimoteur Aero 145 pour aller à Mopti et rencontrer le ministre du Plan, Seydou Badian Kouyaté.

Ce dernier, à l’époque sympathisant communiste, se souvient d’avoir assisté à une discussion très ouverte avec des jeunes et des femmes ; le leader cubain avait impressionné l’auditoire par sa connaissance de l’histoire malienne. « Est-ce que je peux avoir un béret comme le vôtre ? » lui avait demandé un jeune homme, admiratif. « Je peux vous trouver un béret, mais il faut le conquérir », avait rétorqué le Che.

Après son départ, le président Modibo Keïta confiera à Seydou Badian Kouyaté : « Il en faudrait dix comme lui pour faire tomber l’Occident impérialiste. » Le premier président socialiste du Mali sera renversé par Moussa Traoré en novembre 1968, un an après l’assassinat du Che en Bolivie. Cinquante ans plus tard, des milliers de jeunes Maliens revendiquent l’idéal social de l’homme au béret.

Modibo Keïta, premier président de la République du Mali, aurait été centenaire le 4 juin 2015. Retour sur la vie de ce leader panafricain qui a marqué l’histoire de son pays et du continent.

Curieuse ironie de l’histoire. À l’heure où le Mali tente péniblement de sceller un accord de paix avec les groupes rebelles du Nord, le pays se prépare à fêter le centenaire de la naissance de l’homme qui lui a fait gagner son indépendance et son unité : Modibo Keïta.

Né le 4 juin 1915 à Bamako, alors capitale du Soudan français, le premier président de la République du Mali s’est toujours battu contre la colonisation. Ce Malinké musulman, enseignant de formation, bascule en politique au tournant de la Seconde guerre mondiale. En octobre 1946, il participe, aux côtés de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, à la création du Rassemblement démocratique africain (RDA), un parti fédératif panafricain qui lutte pour l’évolution des droits des populations d’Afrique francophone. Modibo Keïta est désigné secrétaire général de la section soudanaise, l’Union soudanaise-RDA (US-RDA). Dix ans plus tard, en 1956, après différents mandats locaux, il est élu député à l’Assemblée nationale française et en devient le premier vice-président africain.

Commence alors la lente marche vers l’indépendance du Mali. En janvier 1959 est créée la Fédération du Mali, qui regroupe le Sénégal et le Soudan français. Le Sénégalais Léopold Sédar Senghor en est désigné président et Modibo Keïta chef du gouvernement et président de l’Assemblée fédérale. Officiellement indépendante le 20 juin 1960, la Fédération, tiraillée par les tensions entre Sénégalais et Soudanais, tient à peine trois mois et éclate dans la nuit du 19 au 20 août 1960. Le Sénégal proclame unilatéralement son indépendance, l’état d’urgence est décrété, et les dirigeants soudanais, Modibo Keïta en tête, sont expulsés de Dakar.

Moins d’un mois plus tard, le 22 septembre 1960, lors d’un congrès extraordinaire de l’US-RDA à Bamako, le charismatique leader malien proclame à son tour l’indépendance de son pays et l’adoption d’un État socialiste. La République du Mali est née. Son premier président est Modibo Keïta. “Ce fut un moment très poignant, se rappelle Amadou Seydou Traoré, un de ses vieux compagnons de route. Pour un pays pauvre et enclavé, prendre une telle décision était un acte courageux, qui a donné lieu à des scènes d’enthousiasme extraordinaires.”

Fervent partisan du panafricanisme (il fut un des pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine, en 1963), militant tiers-mondiste, et défenseur des mouvements nationalistes, Modibo Keïta est aussi considéré comme une figure marquante de l’Histoire contemporaine du continent. Ce géant de près de deux mètres au physique imposant, dont le Général de Gaulle disait qu’il était le seul chef d’État devant lequel il n’était pas “obligé de baisser la tête pour lui parler”, s’est rapidement montré tranchant avec l’ancienne puissance coloniale française, créant notamment, dès 1962, le Franc malien.

Peu après son arrivée au pouvoir, Modibo Keïta est confronté à la première rébellion touarègue du Mali indépendant. En 1963, un incident entre des “hommes bleus” et des soldats maliens dégénère et débouche sur un conflit armé. Les Touaregs sont durement réprimés jusqu’en 1964. Défendant la gestion de cette crise par Bamako, Amadou Seydou Traoré affirme que Modibo Keïta a beaucoup œuvré pour le Nord du pays, “en y faisant construire des écoles, des dispensaires, ou encore des centres de ravitaillement, alors que les Français n’y avaient jamais fait”.

Au niveau national, la socialisation de l’économie entraine progressivement des difficultés d’approvisionnement et une inflation des prix. La grogne sociale monte. Modibo Keïta, réputé comme un homme à poigne, aux penchants parfois autoritaristes, n’hésite pas à faire emprisonner ses opposants et à mettre en place un Comité national de défense de la révolution (CNDR), chargé de faire régner l’ordre et de lutter contre les “ennemis” du régime. Le 19 novembre 1968, profitant du mécontentement populaire, le lieutenant Moussa Traoré renverse Modibo Keïta et prend le pouvoir. Modibo Keïta est arrêté et envoyé en prison à Kidal. Le 16 mai 1977, alors âgé de 61 ans, il meurt en détention à Bamako dans des circonstances non-élucidées. Le “père” de l’indépendance malienne est finalement réhabilité en 1992, après la chute de Moussa Traoré, par le président Alpha Oumar Konaré.

Publié par Bob Woodward/decryptnewsonline

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