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L’avenir politique au Mali : Le second souffle

Le gouvernement ne dissipera les préventions sur sa taille et sur sa composition que par son action. La conquête de la crédibilité commence

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« Le job le plus difficile de la République », avait dit Edouard Balladur en parlant du poste de Premier ministre. L’ancien chef du gouvernement français s’autorisait pourtant une prise de distance aristocratique avec sa fonction et rentrait régulièrement chez lui avant 20 heures pour (expliquait-il) suivre le journal télévisé du soir. Ce ne sera certainement pas ce privilège que songera à se donner le nouveau PM malien. En effet, dans la pratique politique de la VèmeRépublique française dont s’inspire, choix institutionnels obligent, de nombreux Etats africains francophones, un changement à la tête du gouvernement résonne comme une alerte. C’est parfois un signe de crise, souvent un révélateur de graves difficultés, toujours un aveu de profonde insatisfaction. Tout nouvel arrivant à la Primature sait donc par avance que bénéficier d’un relatif état de grâce relèverait du pur miracle et qu’il sera dans les premiers mois de son exercice constamment talonné par l’impatience de l’opinion publique. Sur ce point, il est dommage que n’existe aucune mesure de l’opinion publique qui aurait permis de savoir si Moussa Mara entame sa mission avec une côte de confiance égale à celle des mieux lotis de ses prédécesseurs depuis 1992.

Younoussi Touré avait eu la chance de bénéficier pour ses débuts du fort préjugé favorable dont pouvaient à l’époque se prévaloir les cadres supérieurs de banque, préjugé sur lequel s’étaient appuyés Nicéphore Soglo au Bénin et Mahamane Ousmane au Niger pour accéder à la fonction suprême. Me Abdoulaye Sékou Sow était arrivé auréolé de sa réputation d’intellectuel intransigeant et de son passé de cadre ostracisé par le régime Moussa Traoré. Mandé Sidibé présentait le profil idoine, celui d’un technocrate chevronné, pour boucler avec un certain éclat les deux dernières années du mandat d’Alpha Oumar Konaré en menant à bien le projet de développement que constituait la CAN 2002.

Modibo Keïta, Ahmed Mohamed Ag Hamani, Ousmane Issoufi Maïga, Modibo Sidibé et Diango Cissoko personnifiaient chacun à sa manière la garantie de sécurité qu’offrent les grands commis rompus aux exigences de l’Etat et capables, à défaut d’emballer la machine publique, de faire tenir la route à celle-ci. Cheick Modibo Diarra incarnait après la désillusion engendrée par les élites politiques traditionnelles l’homme neuf qui par ses qualités d’intellectuel prestigieux mènerait le Mali sur d’autres chemins que ceux précédemment tracés. Mme Cissé Mariam Kaïdama Sidibé, première femme chef de gouvernement, contrebalançait par un parcours professionnel irréprochable l’inquiétude de voir une retraitée revenir aux affaires.

 

S’EMPOIGNER IMMÉDIATEMENT AVEC LE PRÉSENT. Par une curiosité de l’Histoire, l’actuel Premier ministre ne peut être en fait comparé qu’à l’homme qui lui a confié sa haute responsabilité. La similitude n’est certes pas absolue, ni évidente. Pourtant les points communs ne manquent pas, qui se trouvent aussi bien dans le côté atypique du parcours, mais aussi dans les circonstances de l’émergence, dans la singularité du contexte de début de mandat et dans la nature extrême des urgences à traiter.

En 1994, Ibrahim B. Keita s’est construit sa réputation dans l’action. En effet, au moment où il prenait en charge la Primature, il ne figurait pas parmi les personnalités les plus connues du grand public. Son poste de conseiller diplomatique du chef de l’Etat et sa charge d’ambassadeur de notre pays en Côte d’Ivoire pas plus que sa première responsabilité gouvernementale, celle de ministre des Affaires Etrangères, ne l’avaient pas exposé aux lumières de l’avant-scène nationale. Le successeur de Me Abdoulaye Sékou Sow ne figurait pas non plus parmi les « éléphants » du Comité exécutif de l’Adema-PASJ que rencontrait régulièrement le président Konaré au tout début de son quinquennat.

Deux autres traits communs lient à presque exactement vingt ans de distance Moussa Mara et le président de la République. Primo, ils arrivent aux affaires à la suite de la désaffection inattendue et annoncée de manière absolument inusuelle de leurs prédécesseurs. Secundo, l’un comme l’autre ne peuvent s’accorder le moindre délai d’imprégnation, ni ne doivent s’attendre à la moindre indulgence de leurs citoyens assaillis de problèmes au quotidien. Ils n’ont d’autre choix que de s’empoigner immédiatement avec un présent plus riche d’incertitudes que de promesses. Pour mémoire, rappelons qu’en 1994, Ibrahim Boubacar Keïta avait à faire tout à la fois avec les conséquences de la dévaluation de 50% du franc CFA, la reprise des accrochages armés au Nord du Mali, l’abandon en rase campagne du parti majoritaire aussi bien par ses alliés que par ses éphémères compagnons de route et l’intensification de la tension dans le domaine de l’école. Sans oublier le pilonnage médiatique à l’international qu’essuyait notre pays sur la question touarègue.

Ceci constaté, il n’y aurait aucun sens à pousser plus loin le parallèle qui peut être tracé entre deux personnalités apparemment dissemblables, mais qu’unissent certainement leur volonté, chacun à son époque, de faire bouger vite les choses. Dans le challenge qu’il endosse, Moussa Mara devra tout d’abord lever une prévention très lourde qui pèse sur l’équipe qu’il dirige. Plus précisément sur la taille du gouvernement qui reste la récrimination la plus entendue au sein de la population. La légère réduction pondérale opérée n’amoindrit en rien la virulence de certaines critiques et le nouveau PM se trouve dans l’obligation de réussir un difficile exercice : celui de parvenir à prouver que le problème n’était pas dans le nombre de ministres, mais dans l’animation de l’équipe, dans la création de synergies indispensables pour faire avancer certains dossiers … et dans le choix des hommes. En athlétisme, le second souffle marque le regain de tonus chez un athlète qui avait accusé une baisse de régime. C’est ce phénomène que va s’efforcer de déclencher Moussa Mara au sein d’un ensemble qui a moyennement varié et dont les ténors n’ont pas changé. Sept mois représentent un délai trop court pour jauger définitivement la valeur d’une équipe. Mais ils suffisent pour déceler des points faibles auxquels il faut remédier en urgence.

 

FRAPPÉE D’UN DOUBLE SCEAU. A cet égard, le départ de Cheick Oumar Diarrah, son remplacement par Zahabi Ould Sidi Mohamed et le dévolution de tout un ministère à la seule réconciliation nationale traduisent bien la reconnaissance implicite du bien-fondé des récriminations des citoyens ordinaires sur la lenteur à s’extraire du guêpier de Kidal et à obtenir de vraies avancées dans les négociations avec les groupes armés. L’ancien titulaire de l’ex département de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord, avait, après des débuts encourageants, donné l’impression de n’avoir pas entièrement mesuré la complexité de la tâche qui lui était confiée, complexité qui l’obligeait aussi bien à une veille permanente qu’à une réactivité raisonnée. L’ancien ministre avait donné des exemples flagrants de son défaut de maîtrise lorsqu’il avança une date complètement erronée pour la mise en place de la Commission justice, vérité et réconciliation ; ou lorsque sur les événements de Djebock, il avait émis une analyse qui cumulait le triple handicap d’être tardive, de s’avérer en complet décalage avec les réalités de la zone et de se trouver en complète contradiction avec les explications fournies par son homologue chargé de la Sécurité.

La nomination de Zahabi Ould Sidi Mohamed à la tête d’un département crucial est frappée du double sceau de la pertinence indiscutable et de la délicatesse d’application. L’ancien ministre des Affaires étrangères n’a pas besoin de s’instruire sur les faces non dites des buts poursuivis par les mouvements armés, sur la marge réelle de négociation dont lui-même bénéficiera et sur les accompagnements qu’il lui faudra susciter. Les avantages dont bénéficie le nouveau ministre ne garantissent pas forcément une avancée rapide des négociations. Mais ils permettront certainement de faire enfin entrer les interlocuteurs des Mouvements armés dans un processus irréversible de concessions. La délicatesse de la mission résidera dans le fait que le ministre aura constamment à faire la preuve aux diverses communautés de l’équilibre et de l’impartialité de sa démarche. Cette obligation est malheureusement inhérente à la profondeur des mésententes et des malentendus accumulés en 2012- 2013 et qu’il faudra patiemment désamorcer.

Dans l’élan de relance qu’il essaie de se donner, le gouvernement joue également la carte de l’efficacité immédiate dans trois autres départements. En rétablissant l’appellation classique « Intérieur et sécurité », il restaure l’articulation administration territoriale-sécurité qui est une constante dans bien des équipes gouvernementales et qui avait été démontée en 2002. La décentralisation, elle, a été placée au cœur d’un Département confié à Ousmane Sy qui travaille inlassablement sur ce concept depuis près d’un quart de siècle. Le nouveau ministre est sans doute la personnalité la mieux indiquée pour faire franchir avec pragmatisme un palier nouveau à un processus certes incontournable dans ses finalités, mais qui dans sa mise en œuvre a vu trop souvent par le passé le volontarisme tenir lieu de méthode. La Communication retourne à un professionnel qui aura aussi le devoir d’impulser l’économie numérique restée balbutiante et artisanale dans notre pays, malgré l’éclosion des talents et des micro-entreprises. Housseini Amion Guindo ne devrait pas non plus avoir à chercher ses marques dans un ministère des Sports où tout titulaire qui ne serait pas peu ou prou familier du milieu du football s’expose à un apprentissage parfois désagréable.

 

LE JEU DE LA LOYAUTÉ. Globalement le gouvernement conserve les quotas établis dans l’ancienne équipe où cohabitaient les contingents RPM, alliés politiques et société civile. La seconde composante qui regrettait que ne soient pas prises en compte ses performances à la présidentielle et aux législatives a été à moitié entendue. Elle délègue dans l’Exécutif deux leaders de parti, mais les critères de sélection de ces personnalités bien connues sont totalement différents. Housseini Amion Guindo peut se prévaloir aussi bien des bonnes performances électorales de la CODEM (arrivée cinquième dans les deux consultations pré citées) que de sa familiarité avec le domaine qui lui est échu. L’arrivée de Me Tall est par contre un pari fait sur l’expérience politique et sur l’entregent professionnel. Ces atouts ne seront certainement pas de trop pour démêler l’écheveau d’un domaine dont les protagonistes peinent à conclure entre eux des compromis de confiance.

Dernier constat, celui de la disparition des ministres délégués. Le gouvernement Oumar Tatam Ly avait renouvelé la tentative faite par l’équipe Ag Hamani de 2002 à 2004. Au bout du compte, le constat est le même. Dans le contexte malien, un ministre délégué se trouve confronté à un dilemme cornélien. Soit, il essaie de s’approprier de la plénitude de son domaine, il est alors recadré sans ménagement par son supérieur et aura le choix entre la soumission ou la guérilla. Soit, il pousse très loin le jeu de la loyauté et à ce moment il se condamne à l’effacement ainsi qu’au reproche du manque d’initiative. Des deux côtés, le mal est infini, comme le dit la célèbre formule. Et le retour à une équipe composée uniquement de ministres « de plein exercice », inévitable.

Parmi les six axes principaux de son action, Moussa Mara a cité « la mise en place d’institutions fortes et crédibles ». Au nombre desquelles se trouve en bonne place le gouvernement, aurait-il pu ajouter. La crise exceptionnelle dont nous nous extrayons à peine a, en effet, cruellement mis en lumière la dégradation de légitimité subie par la plupart des grands acteurs publics. A force de fonctionner dans le confort de sa bulle, le microcosme politique et institutionnel ne s’était pas rendu compte que son univers s’était décalé par rapport au monde réel, que sa parole indifférait et que ses comportements exaspéraient. L’heure est donc aujourd’hui à la reconquête de l’estime et de l’audience populaires sans lesquelles tout ce qui sera entrepris le sera sans l’adhésion des citoyens.

La gangue de l’indifférence, du scepticisme et parfois de l’hostilité doit donc être brisée par l’Exécutif. Ce chantier ne comporte aucun objectif quantifiable, mais dans la conjoncture présente, les avancées qu’il faut y obtenir conditionnent grandement la réussite des ministres sur des questions aussi sensibles que l’amélioration du vivre au quotidien, la sécurité et la normalisation au Nord du Mali. C’est en étant crédible que le gouvernement se verra accorder le temps d’aboutir.

G. DRABO

SOURCE: L’Essor

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