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La Russie et la Turquie, bouc émissaires de l’échec africain de Macron

Une chronique de Leslie Varenne, journaliste d’investigation, est directrice de l’IVERIS (Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques).

 

Récemment la presse française a révélé le climat délétère qui prévaut au sein de la cellule diplomatique de l’Elysée : accusations de harcèlement, diplomates au bord de la crise de nerf et l’atmosphère au Quai d’Orsay ne semble guère meilleure. Mais, à lire l’interview du Président français à l’hebdomadaire Jeune Afrique publiée le 20 novembre 2020, les descriptions qui en ont été faites paraissent encore très en dessous de la réalité. Comment expliquer, en effet, que des conseillers aient pu laisser passer un tel entretien qui nuit à ce point à l’image de la France et entretient le ressentiment à son égard ?

Du « burn out » à l’état de mort cérébrale

Consternation, sidération, colère, abattement, c’est ce mélange d’émotions que provoquent les propos du Président français. Toutefois, la première impression qui se dégage de ce texte et la plus fâcheuse, sans doute, est la légèreté, pour ne pas dire la vacuité eu égard aux enjeux et à la gravité inédite que vit une partie du continent. C’est la première fois depuis les indépendances qu’autant de pays d’Afrique de l’Ouest traversent, au cours de la même période, des crises multidimensionnelles d’une ampleur inégalée. Aux crises sécuritaires en cours dans les pays sahéliens, se sont ajoutées les crises politiques de deux pays du Golfe de Guinée. La France qui est engagée militairement dans le Sahel et qui n’ignore donc pas les risques de contagion aux pays voisins, aurait dû, a minima, suivre les élections présidentielles qui se sont déroulées en Guinée Conakry et en Côte d’Ivoire, en octobre dernier, avec une intelligence prospective, une infinie prudence et des trésors de diplomatie.

Dans cet entretien, le Président français démontre avec une franchise désarmante qu’il n’en a rien été.

Alors qu’Alassane Ouattara et Alpha Condé ont tous deux précipité leur pays dans l’inconnu en suivant un processus strictement identique : troisième mandat anticonstitutionnel, résultats non-crédibles, arrestations d’opposants, violences avec morts et blessés, Emmanuel Macron dissocie les deux cas. L’un aurait été sincère et l’autre pas ! « Le président Condé a une carrière d’opposant qui justifiait qu’il organise lui-même une bonne alternance. » ; tandis que le président Ouattara « ne voulait pas se représenter pour un troisième mandat. – il a considéré qu’il était de son devoir d’y aller et qu’il ne pouvait pas reporter l’élection. » Le Président français fait fi des situations politiques et géopolitiques respectives de ces deux pays et rabaisse le débat à une histoire de personne, voire de personnalité. L’une aurait violé la Constitution et l’autre pas. C’est la raison pour laquelle la France de 2020 n’a pas « encore » félicité l’une et a ardemment adoubé l’autre…

Cette interview a le mérite de confirmer ce que l’observateur avisé savait déjà. Puisque les deux pays pratiquaient la même politique, pour ne pas « déstabiliser » l’ami Ouattara, Emmanuel Macron n’a pas dénoncé le processus électoral en Guinée Conakry et est resté muet sur les violences dans ces deux Etats. Ce faisant, il s’est ôté toute possibilité de parler au nom de la sacro-sainte autorité morale de la France en matière de démocratie et de droits de l’homme jusqu’à la fin de son quinquennat.

Dans ce même texte qui donne décidément du grain à moudre au lecteur et à l’analyste politique à chaque phrase, Emmanuel Macron prend soin à deux reprises de préciser n’être « pas dans la posture du donneur de leçons », mais il conseille, recommande, préconise : « L’Afrique a intérêt à se construire les règles, les voies et moyens pour des rendez-vous démocratiques réguliers et transparents. » Sauf que, ces règles existent, l’Union africaine a une Charte, les organisations sous-régionales ont des constitutions et des protocoles additionnels et enfin chaque Etat du Continent dispose de sa propre loi fondamentale. Il suffit de respecter les textes existants, une Constitution s’applique et ne s’interprète pas en fonction d’une supposée sincérité, de l’âge du capitaine et de la vitesse du vent.

L’âge du capitaine…

Dans cet entretien, Emmanuel Macron revient également sur le « renouvellement générationnel » qui serait « un point clé du renouvellement démocratique. » Est-ce une question d’âge ou de longévité au pouvoir demande Jeune Afrique, réponse du Président : « Il y a des habitudes qu’il faut changer. C’est pour ça qu’il faut des « role models » l’Ethiopien Abiy Ahmed en est un, le Ghanéen, Nana Akufo Addo aussi. C’est important de montrer qu’on peut avoir moins de 65 ans et qu’on peut devenir président. » Sauf que Nana Akufo Addo a 76 ans et se représente pour un deuxième mandat ! Qu’importe, pour Emmanuel Macron le renouvellement générationnel autoriserait « l’alternance » qui permettrait « la respiration » « l’inclusion dans la vie politique et de lutter contre la corruption qui est le pendant d’une conservation trop longue du pouvoir ». La jeunesse serait-elle une vertu qui prémunirait contre les dérives autocratiques, liberticides et népotiques ?

La vitesse du vent… 

Dès l’entame de cet entretien fleuve, le Président français se targue pourtant d’avoir refondé la relation entre la France et le Continent africain. N’a-t-il pas levé des tabous « qu’ils soient mémoriels, économiques, culturels, entrepreneuriaux » ? Le premier de ces tabous concerne la restitution du patrimoine africain. Mais, en raison du caractère inaliénable des œuvres et toutes les complexités juridiques s’y afférent, à ce jour une seule œuvre a été rendue au Sénégal : le sabre d’El Hadj Oumar Tall.  Sauf que, ce qui appartenait à César n’a pas été rendu à César. Selon, le chercheur Francis Simonis, cet objet est européen et n’a jamais appartenu à son prétendu propriétaire !

En raison du caractère inaliénable des œuvres et toutes les complexités juridiques s’y afférent, à ce jour une seule œuvre a été rendue au Sénégal : le sabre d’El Hadj Oumar Tall

L’autre tabou cité et non des moindres, est celui du Franc CFA. Tout le monde garde en mémoire cette cérémonie solennelle au cours de laquelle Alassane Ouattara et son homologue français annonçaient en direct d’Abidjan, en décembre 2019, l’acte de décès du CFA et la naissance d’une nouvelle monnaie : l’ECO. Celle-ci devait entrer en vigueur en 2020. Sauf que, l’annonce était avant tout un exercice de communication. Les critères de convergence d’ordre économique et financier entre les pays de la zone UMEOA n’avaient même pas été arrêtés. Le Nigéria a donc demandé un délai. La naissance de l’ECO a été reportée à une date ultérieure, sinon aux calendes grecques… le CFA est toujours là…

Vent de colère

Tout l’entretien est du même tonneau. Le Président français dans une sorte d’inventaire à la Prévert traite tous les sujets, y compris les plus délicats, à l’emporte-pièce et distribue bons et mauvais points. Tout se passe comme s’il prenait bien soin de se mettre tout le monde à dos. Après avoir déclenché l’ire des Ivoiriens, qui ont brûlé des drapeaux français après cette publication, il a mécontenté les soutiens d’Alpha Condé. En Algérie, la petite phrase : « je ferai tout mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition. » a indigné les deux camps. L’opposition ici et là voit dans ce soutien une ingérence de la France postcoloniale ; en Algérie de façon spécifique, le pouvoir digère mal le terme de transition, puisque le Président a été élu pour cinq ans ! Au Niger, le certificat de bonne conduite donné au président Mahamadou Issoufou, qui, certes ne se présente pas pour un troisième mandat, mais soutient sans faillir son dauphin, irrite en cette période préélectorale extrêmement tendue. Les Maliens sont également choqués par les propos du Président français qui porte un jugement fort discourtois sur la structure de transition et, en termes plutôt crus, lui dicte la conduite à tenir quant aux négociations avec les djihadistes.

 

Comment s’étonner alors que les déclarations d’amour de la France envers le Continent passent mal. Emmanuel Macron assène « Nos destins sont liés » « Hélas » répondent en chœur les internautes !

On n’est jamais mieux servi que par soi-même

Le Président français ne s’est pas contenté d’indigner une partie de l’Afrique de l’Ouest et du Nord, il a également relancé les hostilités envers la Turquie, qui connaissaient un léger répit, et s’en est pris une nouvelle fois à la Russie. A propos du ressentiment anti-français très prégnant sur le Continent, Emmanuel Macron a déclaré : « Il ne faut pas être naïf sur ce sujet : beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones sont stipendiés par la Russie ou la Turquie. » En psychanalyse, cela s’appelle une « projection« , croire que l’autre fait ce que l’on réalise soi-même. Car, enfin, la Russie et la Turquie auraient tort de payer des activistes alors qu’il suffit que le Président français et son ministre des Affaires étrangères s’expriment pour déclencher une levée de boucliers dans les pays d’Afrique auxquels ils s’adressent. Qui plus que ces dirigeants nuisent aux intérêts français sur le Continent ?

Au même titre que celui de Nicolas Sarkozy à Dakar, cet entretien fera date. S’il a provoqué un tollé dans tous les pays cités, il aura également des conséquences à moyen et long terme. Que peut faire la diplomatie française pour éteindre l’incendie qu’elle a elle-même allumé ?

Source : IVERIS Avec  MondAfrique

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