Alors que les plus hautes autorités œuvrent pour des refondations profondes répondant aux aspirations légitimes de la population, des scènes dignes d’un film se passent au sein de la magistrature. Comme corollaire : le peuple assiste, depuis quelques moments, à des clashs et passes d’armes entre des magistrats sur les réseaux sociaux. Jusqu’où se termine cet éventuel bras de fer entre professionnels maliens sous le regard impuissant du ministre Mamoudou Kassogué et de l’inspection des services judiciaires ?
Tout est parti d’une invitation adressée à Dramane Diarra, magistrat en service à la Direction nationale des Affaires judiciaires et du Sceau. Ce dernier avait été convoqué par l’inspecteur en chef des services judiciaires pour une enquête le concernant. Cela, sur instruction du ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Mamoudou Kassogué. S’y ajoute la convocation du magistrat syndicaliste Cheick Mohamed Chérif Koné. Les deux récusant la compétence du service n’ont pas voulu répondre auxdites convocations. La situation visiblement complexe s’est soldée par des clashs entre les magistrats. « J’accuse bonne réception de votre correspondance N°031/MJDH-ISJ en date du 31 mars 2023, reçue dans mon bureau, par voie hiérarchique, ce jour vendredi 31 mars 2023, m’invitant à me présenter à l’inspection des services judiciaires, le lundi 3 avril 2023 à 10H, dans le cadre d’une enquête administrative ouverte à la demande Monsieur le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux », explique Dramane Diarra. Dans sa correspondance publiée le 31 mars dernier, l’interpellé a rappelé les missions assignées à l’inspection, précisant que le service judiciaire « n’est pas l’inspection des Magistrats ou des agents des services de la justice ». L’homme de droit confiera que l’inspection n’a aucune compétence à lui convoquer pour des faits détachables de ses fonctions à la Direction nationale des Affaires judiciaires et du Sceau. Puis d’informer que la demande du ministre de la Justice, faite à l’inspection des services judiciaires et tendant à une enquête ou toute autre mission concernant un agent dans ces circonstances « est illégale ». Parce que « n’entrant pas dans le cadre des attributions de l’inspection ». Par conséquent, dit-il à l’inspecteur en chef, « je suis au regret de ne pouvoir répondre à votre invitation ». Aussi convié à l’inspection le 6 avril dernier, Cheick Mohamed Chérif Koné semblait avoir une idée concernant sa situation. Le magistrat mentionnait avoir deviné que son interpellation est en lien avec son rôle de Coordinateur général au sein d’un regroupement politique (plateforme des Organisations de l’Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali). Dans un document qu’il a rendu public, Cheick mentionne que cette plateforme sauve le Mali d’une transition « rampante ». Laquelle est « gangrenée par le manque de préparation d’un ministre de la Justice qui, estime M. Koné, a choisi l’illégalité ».Aussi, dira-t-il, le ministre a opté pour la « division » et « l’instrumentalisation » de la justice, voire pour « les violations des libertés et des droits fondamentaux » en vue de « conserver son poste au sein du gouvernement ». A l’inspecteur en chef des services judiciaires, le magistrat fait entendre, dans la foulée, que l’ordonnance visée ne lui (inspecteur) donne aucun pouvoir de l’interpeller au sujet de l’exercice légal de sa liberté d’association garantie par la constitution. « Je souhaiterais être informé des motifs précis de mon invitation ainsi que les pouvoirs exorbitants dont vous disposeriez pour vous substituer au Conseil supérieur de la Magistrature ». « Je refuse ces traitements discriminatoires que vous entretenez entre les syndicats des magistrats, en fonction de leur allégeance ou du désaccord avec la politique en cours des autorités de la transition ». Celles-ci n’ont autre but que d’instrumentaliser la justice ou d’en faire un organe de la transition, fustige Cheick Mohamed Chérif Koné. Le président de l’Association des Procureurs et poursuivants du Mali (APPM) a ainsi réservé une réponse défavorable à l’invitation de l’inspecteur en chef des services judiciaires. « Je ne suis pas prêt à servir encore de canal d’enrichissement illicite ou de corruption d’agents publics de l’Etat, en l’occurrence le personnel de votre service, sous le couvert de mission fictive pour encaisser des frais indus dont les montants hallucinent », a-t-il transmis à l’inspecteur. Au-delà de son refus, le magistrat Dramane a fait une sortie médiatique au cours de laquelle il n’a pas hésité à interpeller non seulement l’actuel ministre de la Justice, mais aussi le procureur de la République près le tribunal de grande instance de la commune IV de Bamako. Même si le ministre Kassogué continue de se taire sur le sujet, le procureur Idrissa Hamidou Touré a quand même répliqué à travers un point de presse.
Les autorités invitées à s’assumer
En la matière, le Barreau du Mali énonce constater avec regret et sans amertume « la déliquescence » de la justice. Une situation caractérisée par de très graves dysfonctionnements tant dans les pratiques judiciaires que dans le fonctionnement des cours et tribunaux. La corporation des Avocats déplore des manquements graves à la discipline, à la déontologie, voire à l’orthodoxie des professionnels juridiques et judiciaires. À cela s’ajoutent des confusions de tout genre, de la concurrence déloyale passant par l’interventionnisme sapant les fonctions de la justice. Ces dysfonctionnements ont atteint leur point culminant se traduisant, selon le Barreau, par la récente sortie des magistrats sur les réseaux sociaux, de même que certains acteurs de la justice. Par leurs sorties, argue le Barreau malien, les intéressés s’adonnent à des joutes médiatiques et des mises en cause des principes fondamentaux de la République. Ce constat accablant n’honore nullement les acteurs de la justice que nous sommes, ressort-on dans cette déclaration publiée le 10 avril 2023. Ainsi, le Barreau invite les plus hautes autorités à faire respecter l’ordre et la discipline au sein de la famille judiciaire. Au ministre de la Justice, il demande à ce qu’il saisisse de cette occasion pour l’organisation des états généraux de la justice malienne. De son côté, l’association des jeunes magistrats du Mali confirme que l’état du magistrat lui impose le respect de certaines valeurs d’éthique et de déontologie, notamment le devoir de réserve. Ce principe suppose que le magistrat à l’obligation de s’abstenir à prendre des positions publiques, anticiper dans les procédures judiciaires ou à participer aux activités des partis politiques. Faisant allusion à certaines dispositions législatives, l’AJEUMA rappelle que « toute activité ou délibération politique est interdite aux Magistrats ». Aussi, relaye-t-elle, le magistrat ne saurait s’abriter derrière la personne morale d’une association, d’un syndicat ou de son statut de Procureur de la République pour se défaire de son devoir de promouvoir et de développer en toute circonstance les normes élevées de conduite. Fermement opposée à ce qui se passe, l’association promet de s’engager à jouer pleinement son rôle pour le respect des textes. Elle considère que les comportements en cours sont « excessifs et déviants ». Les clashs entre les spécialistes de droit font l’objet de débat au sein de la société. En tant qu’organe habilité sur la question, la décision du Conseil supérieur de la Magistrature est attendue. Sera-t-il apte à prendre des mesures idoines pour le maintien d’ordre au sein de la corporation ?
Mamadou Diarra
Source : LE PAYS