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Ismaila Samba Traoré, écrivain et directeur de La Sahélienne éditions : « On ne s’improvise pas écrivain, il faut un long travail d’application, de maîtrise du genre littéraire, de l’écriture de manière générale … »

À l’occasion de la journée internationale du livre et du droit d’auteur célébrée le 23 avril de chaque année, nous sommes entrés en contact avec un grand écrivain malien, également fondateur et directeur de La Sahélienne Edition, Ismaila Samba Traoré. Notre rencontre portait sur  leur étude sur le secteur du livre au Mali publié en 2018. Lisez l’interview !

 

Le Pays : Qui est Ismaila Samba Traoré ?

Ismaila Samba Traoré : je suis diplômé d’études universitaires en Anthropologie, Sociologie de la littérature, communication et lexicologie aux universités de Bordeaux 2 et 3 et à l’Institut Marie Happs de Bruxelles. J’ai travaillé comme journaliste-producteur à la Radio Mali, puis comme chercheur à l’Institut des Sciences Humaines du Mali. J’ai occupé des fonctions de directeur de la culture, de professeur à l’université de Bamako, de chef de cabinet et de chargé de mission dans les cabinets ministériels chargés  de l’éducation de base, puis de la culture et du tourisme. Je suis président de PEN-Mali depuis 2011. Je suis également membre du Peace commity de Pen international depuis 2016. Notez aussi que je suis le président de l’Association des Écrivains et Amis du livre depuis 2017. J’ai publié en français et en Bamanankan des romans et chroniques, des essais, des monographies, des recueils de poésies, des livres pour enfants. Trois de mes écrits sont au programme des écoles au Mali parmi lesquels « Jigin’tan ou Les Ruchers de la Capitale ».

Comme distinction, en 1993, je suis élu innovateur par l’Association Internationale ASHOKA. En 2000,  je reçois une prime d’ASHOKA pour le grade d’Entrepreneur social. En 1993, je créée La Sahélienne Édition, leader en édition en langues nationales et en littérature générale au Mali.

En 2018, en collaboration avec l’organisation malienne des éditeurs de livre (OMEL) vous avez mené une étude sur le secteur du livre au Mali. Une étude qui reste d’ailleurs une référence dans toute l’Afrique de l’Ouest. Dites-nous ce qui vous a amené à cette enquête ?

Je suis un écrivain et consultant qui a réagi à l’appel d’offres international pour faire une étude sur le secteur du livre au Mali. J’ai postulé à cet appel et mon dossier a été sélectionné. Pour la réalisation de ladite étude, j’ai travaillé avec l’organisation malienne des éditeurs de livre qui était le bénéficiaire de cette étude et en relation également avec la coopération canadienne qui a financé le livre.

À l’intérieur de ce manuel, vous avez retenu parmi les objectifs de ladite étude, « Évaluer la place du livre dans l’activité économique du pays ». En tant que directeur de la Sahélienne Edition et contributeur à ce projet, pourriez-vous nous dire quelle est cette place ?

De manière générale, il est admis au niveau de nos pays que l’impact du secteur du livre ainsi que de l’éducation sur le développement n’est pas moindre. Le métier du livre à un impact réel sur l’économie nationale. Il ne faudrait pas oublier que ce sont des produits marchants que nous créons. L’éditeur fait des livres qui sont vendus. L’imprimeur fait des prestations. Tous ceux-ci payent des impôts au même titre que le libraire. La filière du livre est animée ainsi par différents acteurs dont le travail impacte considérablement sur le développement. À côté de cet aspect, il convient de souligner que tous les impacts du livre sur l’économie nationale ne sont pas chiffrables. Tel est le cas pour le rôle de l’écrivain, du livre dans la formation de l’individu, dans le formatage du citoyen. Cette étude a permis de faire des comparatives de manière chiffrée sur l’impact de la filière livre sur l’économie nationale au Mali, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso. Ce métier est un entrepreneuriat comme un autre, mais qui va au-delà du chiffre et qui est porteur de construction citoyenne, un facteur considéré comme sans lequel le système éducatif ne tiendrait pas.

En parlant de système éducatif, vous évoquez la nécessité d’une ‘’nouvelle politique’’ pour le manuel scolaire. Et si on vous demandait de définir cette politique, qu’auriez-vous à nous proposer ?

La politique du manuel scolaire a été définie dès 2004. Il apparait aujourd’hui que ce sont des axes et des propositions qui sont dépassés. Du point de vue des partenaires que sont les Canadiens, des acteurs eux-mêmes, des opérateurs que nous sommes, cette politique du manuel scolaire est dépassée.

Dans votre étude,  vous avez touché à plusieurs problèmes du secteur du livre. Celui qui nous a le plus interpelés en cette occasion de célébration de la journée internationale du livre et du droit d’auteur est ‘’l’absence de réseaux de distribution et de véritables librairies’’. Sur ce point, qu’est-ce que votre étude recommande aux autorités et aux éditeurs ?

En prenant un raccourci, on peut directement porter le regard sur le volet distribution et diffusion qui englobe des métiers comme libraire, documentaliste. Mais avant qu’on ne parle de la distribution, de la diffusion, il y a énormément de préoccupations qui sont aujourd’hui celles du livre et de l’écrit dans notre pays. On peut aborder alors les choses de manière historisante. Ainsi, on sera amené à se demander à quoi sommes-nous adossés comme tradition littéraire, comme tradition de bibliothèque, comme tradition savante. C’est de là qu’on verra que le Mali vient de loin dans la mesure où nous avons à faire à une tradition savante qui date du temps des grands empires. Nous avons des patrimoines. En les analysant, nous parlerons forcément des manuscrits de Tombouctou qui valent aujourd’hui pour le Mali l’engagement des partenaires financiers. La capacité d’attirance de ces manuscrits est telle que cela contribue même au développement. En plus de cela, il convient de parler des acteurs du livre notamment les écrivains et tous les autres acteurs. Comment on est arrivé à professionnaliser tous ceux-ci ? Comment la politique du livre a été engagée en relation avec la réforme du système éducatif en 1962. Comment le livre a accompagné l’école ? Comment le livre s’est positionné par rapport à la culture, à la formation de l’individu ? Quels sont les grands ouvrages qui ont marqué l’humanité tout entière ? L’histoire de la filière du livre au Mali est une histoire très riche. Il faudrait la considérer dans son ensemble. Cette filière a plus ou moins le même âge que le Mali indépendant. La première maison d’édition née de la librairie populaire du Mali date de la politique de Modibo Kéita qui a créé la librairie populaire du Mali qui vont donner naissance à l’édition populaire du Mali et qui ont pour vocation de servir sur l’ensemble du territoire des livres scolaires ou des livres tout cours ou souvent des matériels didactiques au même prix sur toute l’étendue du pays.

Un pays volontariste comme le Mali indépendant a cru bon de se doter d’une politique du livre en la matière. Ce n’est pas tous les pays qui ont d’entrée de jeu créé des structures ou des sociétés nationales vouées au livre et à l’écrit. Pour comprendre aujourd’hui les problèmes auxquels nous sommes confrontés, il faut appréhender l’histoire du livre en général. Il y a une bonne logique de développement au niveau de la filière livre au Mali sur le plan historique. À partir des années 1990, on va noter un ralentissement sinon un recul de cette politique.  On verra d’abord que les bibliothèques de lecture publique qui furent très actives, qui ont beaucoup apporté les livres dans toutes les circonscriptions et au moins dans tous les cercles. Cette politique va être progressivement abandonnée. Ce qui a eu pour effet la disparition des bibliothèques à l’échelle des cercles, des arrondissements, à l’échelle à la fois locale et nationale.  Toujours en analysant cette politique d’affaiblissement des premières politiques du livre et de l’écrit, on sera obligé aussi de parler du manque d’intérêt pour l’édition de manière générale. C’est à partir des années 1990 où les premières maisons d’édition privées ont commencé à naitre que nous allons voir de nouveaux acteurs entrés en jeux. Parlant de librairie, on est en 2019 et ce domaine reste un grand désert. La librairie n’a pas réussi dans ce pays à définir un entrepreneuriat structuré, solide, qui rapporte et qui se développe. C’est cela la triste réalité. Les librairies actives se trouvent au marché Dibida où se trouvent les librairies par terre. Ce problème de libraire est dû au fait que les politiques publiques n’ont pas bien appréhendé le secteur du livre et de l’édition comme des secteurs porteurs. Il existe quelques éditeurs, quelques libraires qui sont des acteurs, des militants qui croient dur comme fer et qui sont dans cet entrepreneuriat par la volonté de leur engagement, de leur conviction et de leur foi. Mais l’État lui-même pourrait faire beaucoup plus davantage.

Nous savons que le secteur du livre au Mali reste confronté à de multiples problèmes, notamment la piraterie, le problème d’accompagnement des éditeurs par l’État, celui de lectorat, etc. Qu’est-ce qu’il faut pour pallier ces problèmes ?

À chaque problème correspond des stratégies ou des propositions. La piraterie des œuvres par exemple est une donnée commune à tous les pays surtout à l’ère du numérique, à l’ère des machines de multiplication, d’impression à petite ou à grande échelle, du Net, etc. ; ont permis aujourd’hui à une certaine forme de piraterie de s’installer. Le livre court ainsi un grand danger. Ce marché informel dont nous parlions va de pair avec ces systèmes de piraterie parce que vous retrouverez sur les étals de ces librairies par terre des photocopies d’ouvrages.

Enfin, quel appel lanceriez-vous à tous ces jeunes qui s’orientent de plus en plus vers l’écriture ?

Ils n’ont pas le choix parce que nous sommes un pays en crise ; nous sommes un pays effondré ; nous sommes un pays sans repère ; nous sommes un pays qui n’a plus de modèles. Il y a un effondrement de la mystique nationale du type d’acteur qui apparait généralement dans certains contextes comme étant des acteurs emblématiques, des visionnaires, des gens dont la trajectoire est vertueuse au nom desquels on se mobilise pour voter ou faire autre chose. Aujourd’hui vous voyez  l’effondrement du système de participation politique.  Lorsque des communales sont organisées, on a vu des circonscriptions où le taux de participation était loin en dessous de 10%. Le système de participation classique pour les présidentielles ou les législatives fonctionnent avec de l’argent. Vous dites que les jeunes se tournent vers l’écriture, ils n’ont pas le choix. Lorsque vous ne pouvez plus vous impliquer dans l’action d’une certaine façon forcement on se retrouve dans une certaine situation d’introspection favorable à l’interrogation, à la créativité, afin de développer ce que nous avons développé soi-même comme vision. L’expérience que j’ai ici au niveau du débat d’idée, du partage de vision sur la réflexion critique ou l’intérêt pour le livre et l’écrit que nous avons développés à travers des clubs de lecture, etc. ; m’ont donné à constater que la crise que nous vivons depuis 2008 a mis les citoyens dans une sorte de démotivation. Aujourd’hui, les Maliens ont développé une grande capacité d’expression. Mais c’est toujours le même problème, on ne s’improvise pas écrivain, il faut un long travail d’application, de maitrise du genre littéraire, de l’écriture de manière générale pour arriver à faire sortir un texte qui soit de très grande qualité. Malheureusement face à cette explosion de la créativité, nous n’avons pas toujours  une explosion de la qualité. Je constate comme écrivain, comme éditeur, comme historien de la littérature que nous sommes en face d’une sorte de boom de l’expression. Je souhaite le meilleur à ses jeunes et à tous les autres.

Propos recueillis par

Fousseni TOGOLA

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