À Mostaganem, « haut lieu des savants soufis », dans le nord-ouest de l’Algérie, l’Union nationale des zawiyas a convoqué les confréries du monde entier à un congrès international. Une rencontre dont l’ambition était de jeter les bases d’une coopération coordonnée des mouvements soufis, pour faire front à l’expansion de l’islam radical et à ses dérives jihadistes. Aperçu de cette conception de l’islam que l’intellectuel tunisien Abdelwahab Meddeb qualifiait d’« antidote au fanatisme ».
L’événement
Organisé du 18 au 20 mai à Mostaganem, ce 1er Congrès mondial du soufisme a réuni 120 oulémas et chercheurs de 40 pays musulmans et des délégations des communautés musulmanes de 10 pays africains. Six axes de discussion ont été retenus autour du thème général de « la référence mohamédienne dans le traitement des questions et des défis de l’heure ».
Le soufisme ou tasawuf
« Si l ‘islam est un corps, le soufisme en est le cœur », écrit Khaled Bentounès, cheikh de la Alawiya, la confrérie soufie fondée en 1909 par le cheikh Ahmed al-Alawi à Mostaganem. Défini comme la voie mystique musulmane, le soufisme tire son nom du mot « souf », la tunique de laine dont se revêtaient ses premiers adeptes, et vise à l’éveil de la conscience à la révélation de Dieu. Ceci par de nombreuses pratiques individuelles et collectives, allant de l’ascèse à la danse. Il apparaît dès le premier siècle de l’hégire (qui marque l’année zéro du calendrier musulman et l’exil du prophète Mohammed de La Mecque à Médine, en 622) avec des figures comme celle de Rabia el-Adawiya (née en 713 apr. J.-C.), la « Mère du Bien » pour les soufis.
Les tariqa (ou voies)
À partir du XIIe siècle, le soufisme s’est structuré autour de quelques grandes confréries : la Naqshbandiyya, les Melamis, la Bektashiyya, la Qâdiriyya, la Shâdhiliyya et la Tijâniyya, qui ont donné naissance à de nombreuses « voies », les tariqa, placées sous le patronage des cheikhs. En Afrique, la Qâdiriyya, fondée à Bagdad au XIIe siècle, a essaimé du Maroc à l’Inde ; la Shâdhiliyya, apparue à Tunis au XIIIe siècle, est présente en Afrique, en Asie et en Europe ; et la Tijâniyya, fondée au XVIIIe siècle dans l’ouest algérien, s’est propagée au sud du Sahara, jusqu’au Golfe de Guinée. Des confréries sont aussi apparues localement, comme le mouridisme (Muridiyya) au Sénégal.
Derviches
Le derviche, en persan, est littéralement un pauvre. L’ascétisme, pratiqué par les dévots, a fini par leur donner ce nom qui s’est étendu aux membres de certains ordres. Ces dévots cherchent souvent la transe, où l’ego s’oublie en Dieu, par la psalmodie des 99 noms du Très Haut (le dhikr), par la musique, la danse ou par des paroles et des mouvements répétés hypnotiquement. Les célèbres derviches tourneurs pratiquent ainsi le sema, une danse giratoire où l’homme tourne sur son pied gauche autour de son cœur comme les planètes autour du soleil et la création autour de son centre. Leur ordre, dit de Mevlana, a été fondé en Turquie au XIIIe siècle par le grand poète Djalâl ud-Dîn Rûmî.
On estime les adeptes du soufisme à 300 millions sur 1,6 milliard de musulmans dans le monde, ils représentent ainsi près de 19 % de la branche sunnite de l’islam
Les cheikhs
L’effort sur soi qu’appelle le cheminement soufi ne peut se faire sans la direction d’un maître, le cheikh, dépositaire spirituel du fondateur de la tariqa. Parmi ces maîtres, deux figures éminentes : Abû Hamid Muhammad al-Ghazâlî, né en Perse en 1058 et auteur de nombreux traités fondamentaux, et Muhyi al-Din Ibn Arabi, né en Andalousie en 1155.
Les soufis
On estime les adeptes du soufisme à 300 millions sur 1,6 milliard de musulmans dans le monde, ils représentent ainsi près de 19 % de la branche sunnite de l’islam, et l’on en compte quelques milliers parmi les chiites. Les lieux de réunion des soufis, souvent construits autour du tombeau d’un maître, sont appelés les zawiyas.
Ésotérisme
La tariqa soufie est une voie d’initiation au long de laquelle le fidèle est amené à saisir le message ésotérique du corpus islamique et de la Création, leur sens profond caché sous l’apparence qui se révèle à mesure que l’esprit est éclairé par la lumière divine. Le secret des confréries les a souvent rendues suspectes politiquement pour les pouvoirs et religieusement pour les musulmans plus orthodoxes. L’ex-président tunisien Ben Ali, y décelant des formes d’organisations clandestines hostiles, avait trouvé une parade en cherchant à les folkloriser tout en plaçant les zawiyas sous surveillance. L’Arabie saoudite wahhabite, qui condamne le soufisme, taxé d’« associationniste » pour ses dévotions aux saints, interdit sa pratique.
Source : Jeuneafrique.com