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Interview du Dr Choguel K Maiga accordée à L’Indépendant

Interview Dr Choguel K MAIGA, Président du MPR, au journal L’Indépendant .
L’Independant: Le scrutin présidentiel, qui s’est soldé par la victoire du Chef de l’Etat sortant Ibrahim Boubacar Keïta, suscite toujours des contestations. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Choguel Kokalla Maïga : Je crois avoir donné, tout au long des semaines et mois qui ont suivi l’élection, mon sentiment sur les résultats de cette élection. J’ai dit et répété que je ne me reconnais pas dans lesdits résultats. Aujourd’hui, nous sommes à une autre étape de la vie de la Nation, qui ne s’arrête pas à une élection. Aujourd’hui, le plus grave danger qui nous menace, si l’on n’y prend garde, c’est le risque réel de dislocation et de désintégration de notre pays, dans un futur pas aussi lointain. Les Mouvements séparatistes et leurs alliés sont parvenus, par toutes sortes de manœuvres, de stratagèmes et soutiens divers, plus ou moins voilés, mais aussi grâce à la déloyauté ou l’incompétence de certains hauts cadres et responsables qui disent agir au nom du Mali, à récupérer ce qu’il n’ont pu avoir ni par la guerre ni par la diplomatie. Ils ont réussi à imposer à l’Etat malien leur stratégie, leur agenda , la logique et les outils d’une partition programmée de notre pays à moyen et long termes. Une analyse même sommaire de la situation actuelle montre que, dans les faits et dans la pratique, depuis 2015, les Mouvements séparatistes, au fond, n’ont rien concéder à l’Etat malien qui, malheureusement, en retour, a tout cédé, même des choses qui ne sont pas inscrites dans l’Accord issu du processus d’Alger. On n’a pas besoin d’être un spécialiste en stratégie, pour constater qu’aujourd’hui, les Régions que les Mouvements séparatistes appellent abusivement Azawad, ont de facto acquis leur autonomie. La réalité du pouvoir politique, militaire et économique est dans leurs mains. A titre d’illustration, dans certaines parties des Régions de Tombouctou et Kidal, ce sont les Cadis des tribunaux islamiques, qui « distribuaient la justice » sous l’occupation en 2012-2013, qui ont repris du service et tranchent aujourd’hui les litiges. L’Etat n’existe que de nom, à l’intérieur des limites de la cour du bâtiment du Gouvernorat. Sous l’œil complice et bienveillant du Gouvernement malien et des Forces étrangères, qui disent être venues au Mali, pas pour faire la guerre aux séparatistes et alliés, mais plutôt pour lutter contre le terrorisme ou pour maintenir la paix ( qui du reste n’existe pas !).
Alors qu’ils savent bien les liens de complicité négative qui existent entre les Mouvements séparatistes et ceux qu’ils disent être venus combattre. Le recouvrement de l’intégrité du territoire national et le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur toute son étendue sont les cadets de leurs préoccupations.
Les dirigeants maliens, quant à eux, soutenus et appuyés par les fossoyeurs du Mali, État indépendant et souverain il n’y a pas si longtemps, assurent gaillardement et « fièrement », le service après vente. Pour mieux endormir et tromper le peuple malien, tous les jours, l’ORTM et plusieurs médias donnent des images et reportages qui distillent l’illusion que tout s’arrange et se normalise petit à petit dans les Régions du Nord.
Le Chef de l’Etat lui-même contribue à entretenir cette dangereuse illusion, en affirmant avec aplomb dans son adresse du nouvel an 2019 à la Nation, je cite « Au début de l’année 2018, ils n’étaient pas nombreux ceux qui voyaient un pays capable de restaurer, à nouveau, son autorité sur l’ensemble du pays ». Or lui-même n’a pu aller passer une nuit à Kidal pendant la campagne électorale en juillet 2018, qu’avec l’autorisation expresse et sous la protection des Mouvements séparatistes, après avoir verser la somme d’argent qu’ils ont exigée pour l’organisation de son accueil.
Le Premier ministre lui-même, quand il s’était rendu à Kidal en 2018, n’a été autorisé qu’à passer deux heures dans la ville. Il a été accueilli avec les drapeaux de l’Azawad; même dans la salle de réunion qu’il présidait, des participants exhibaient le drapeau de l’Azawad, alors que celui du Mali y était interdit. Mais l’ORTM a caché cette image aux Maliens. Notre Ministre de la Défense ne peut s’y rendre même pour accompagner ses homologues des autres pays qui viennent rendre visite à leurs contingents.
Le drapeau du Mali est interdit au Gouvernorat de Kidal.
Dans des zones entières de la Région de Mopti, les citoyens sont interdits de regarder la télévision. Dans certaines parties des Régions de Gao et Tombouctou, des taxes et impôts sont imposés aux citoyens, qui sont sans défense, et qui sont obligés de payer.
L’espoir suscité chez le peuple malien en 2013 avec l’Opération Serval et la MINUSMA, s’est peu à peu transformé en désespoir et sentiment de trahison.
A ce rythme, et avec de tels discours et état d’esprit, je crains que d’ici 2023, le réveil ne soit douloureux et brutal pour les Maliens, comme en 2012. Le processus de fédéralisme sera à cette échéance devenu irréversible, avec comme finalité : l’indépendance à l’horizon 2025-2030. Et ce après avoir organisé de façon méthodique, sous couvert de diverses réformes administratives et politiques, par étapes successives, par doses homéopathiques, la mise en pièces de l’Etat unitaire du Mali.
Le jour du désastre, les principaux acteurs de cette trahison de notre peuple ne seront plus là pour répondre devant l’histoire, comme ceux qui ont détruit notre Armée dans les années 1990 n’étaient pas là pour répondre en 2012, quand le peuple malien a perdu plus des 2/3 de son territoire en quelques semaines , suite à la défaite humiliante de notre Armée, qui n’était plus alors que l’ombre d’elle-même.
On se rappelle que pendant des années, une sorte de lâcheté collective, nous a conduit tous à nous taire et fermer les yeux sur toutes les dérives, les étapes et processus de démentellement et l’affaiblissement des Forces Armées et de Sécurité et de l’Etat du Mali, présenté alors au monde entier comme exemple de démocratie en Afrique. Le réveil a été brutal et humiliant pour le peuple malien.
C’est le reproche fondamental que je fais actuellement au régime en place, qui semble n’avoir pas tirer les bonnes leçons d’un passé récent, par rapport à la gestion de la crise du Nord et de l’Armée. Face à un tel péril, le résultat d’une élection, même présidentielle, est infiniment moins important.

L’Indépendant : Ces derniers temps, le parti présidentiel a entamé une démarche visant à décrisper le climat politique. Pensez-vous qu’elle permettra au Mali de sortir de la crise politique ?

Choguel : Pour sortir de la crise politique , suite à l’élection présidentielle, qui est maintenant derrière nous, je pense qu’il faut sincèrement, sans ruse, sans malice, repenser ensemble, la gouvernance de l’ensemble des instruments législatifs et réglementaires pour organiser et gérer le système politique malien et l’Etat : réformes constitutionnelle et institutionnelles, système et code électoraux, principe de la représentation, réformes administratives, etc. Mais pour cela, il y a, me semble-t-il, certaines conditions préalables qui doivent être réunies : un, avoir une claire conscience, accepter et reconnaître l’existence d’une profonde crise multiforme ( politique, sécuritaire, économique, sociale, morale) à laquelle il faut remédier sans délai ; deux, engager, sans attendre plus longtemps, un dialogue global et inclusif sur toutes les questions qui divisent ou opposent les Maliens; trois, à l’issue de ce dialogue, élaborer des solutions consensuelles acceptées de tous; quatre, choisir pour mettre en œuvre lesdites solutions, des responsables ou personnalités crédibles sur lesquels ne pèsent pas de soupçons d’intégrité et de déloyauté absolue vis-à-vis de l’Etat malien, qui mettent en confiance le Chef de l’Etat, qui ne sont pas dans des calculs strictement personnels, et qui inspirent confiance aux Maliens. La réalisation de ces conditions, que je viens d’énumérer, ne peut pas être portée ou initiée par un parti politique, fut-il majoritaire. Le seul porteur possible, le plus habilité pour cela, c’est celui qui occupe ( par la force des choses) la fonction de Chef de l’Etat. Pas un ou des partis politiques, pas plus qu’un Premier ministre ou un Ministre. C’est la solution la plus intelligente et lucide pour le Chef de l’Etat, de se mettre à hauteur de mission historique et de mettre notre pays à l’abri des risques majeurs qui le menacent dans sa stabilité et dans son existence en tant qu’Etat démocratique, indépendant et souverain.

Toutes autres démarches ne feront qu’en rajouter au pourrissement de la situation: la répression, les menaces, les intimidations, les manœuvres et manipulations de tous genres, les violences policières et politiques, les emprisonnements, les interdictions de manifester, les violations répétées des droits constitutionnels n’y feront rien. Pour conclure sur cette question, je dirais que malgré la bonne foi du parti majoritaire, dont je salue le Président pour sa persévérance, il n’a pas les moyens institutionnels ni politiques de règlement de la crise.

A titre de comparaison , comme nos dirigeants aiment tout copier de la France, il suffit de voir comment, face à la crise des Gilets Jaunes, qui est infiniment moins grave que celles que connaît le Mali, Emanuel MACRON s’est comporté : il a discuté avec toutes les forces politiques et sociales, y compris le Front National ; il est ensuite descendu à la base sociale pour discuter directement avec ceux qui contestent sa gestion et dont certains demandent même sa démission.

Par contre ici au Mali, le Chef de l’Etat, lui, est toujours disponible pour recevoir, discuter, loger dans des hôtels de luxe, donner de l’argent, des voitures de luxe, des villas, des vergers, des postes et autres grades aux dirigeants séparatistes, alors que ces derniers refusent le drapeau du Mali, assassinent nos soldats, refusent l’autorité du Chef d’Etat sur une bonne partie du territoire national, l’empêchent de se rendre librement au Nord du Mali, en un mot ne reconnaissent pas le Mali. Au même moment, il refuse de parler avec son Opposition politique, au motif qu’elle conteste son élection. C’est étrange non !!!!

C’est pourquoi, j’ai déjà dit dans une récente interview qu’il faut que le Chef de l’Etat et son Chef de Gouvernement redescendent sur terre et parler, de bonne foi, sans acrimonie , avec les Maliens de leurs problèmes et soucis réels, pour les écouter et les entendre.

L’Indépendant:?Plusieurs réformes institutionnelles et politiques, dont la révision de la Constitution, sont annoncées pour cette année. Quelle démarche faut-il entreprendre pour mener à bien ces chantiers ? Ou par quelles étapes faut-il conduire ces réformes ?
dr Choguel K. Maïga : Pour la réussite de ces réformes, je m’en vais vous donner deux images fortes qui facilitent la compréhension de ce que je propose.

Première image. La gouvernance d’un pays est comme un édifice naturel dont l’équilibre naturel repose sur 3 piliers qui , ensemble, assurent et garantissent sa stabilité et sa solidité : le 1er et le plus gros pilier est constitué la Société civile, le 2ème et moyen pilier est constitué par la majorité politique, le 3ème et plus petit pilier est constitué le l’opposition politique. Malgré la différence de taille et de dimension de ces piliers, ils jouent chacun le même rôle dans l’équilibre global de l’édifice : sans l’un des piliers ( le plus gros, le moyen ou le petit), l’édifice ne peut pas tenir, il va s’écrouler. C’est pour dire que sans la participation l’opposition politique, aucune réforme crédible ne peut être bâtie de façon viable et durable.

Deuxième image. Pour construire un édifice ( comme la Constitution), il faut : premièrement, un architecte ( le Chef de l’Etat), qui définit le plan de l’édifice conformément aux préoccupations du propriétaire de l’édifice ( qui est le peuple malien); deuxièmement, un ingénieur qui est chargé de réaliser, de construire suivant le plan élaboré par l’architecte; troisièmement, il faut des maçons et ouvriers pour la construction. Dans le cas qui nous concerne : le propriétaire de l’édifice, c’est le peuple malien ; l’architecte c’est le Chef de l’Etat, l’ingénieur c’est le Gouvernement, les maçons ce sont les experts, les ouvriers ce sont les agents de l’Administration, les militants des Partis politiques et les citoyens qui apporteront, à travers leurs avis, suggestions et leur vote, chacun sa brique à la construction de l’édifice. Chacun de ces acteurs doit jouer son rôle, et pas celui des autres, si non l’édifice ne sera pas construit ou sera de mauvaise qualité .

Or, dans le cas qui nous concerne, c’est à dire la révision de la Constitution, l’architecte ( le Chef de l’Etat) n’a pas encore dit au nom du propriétaire ( le peuple) quelle genre ou type d’édifice veut-il construire ( quelles genre de Constitution veut-il, ou quelles modifications majeures veut-il apporter). Ce sont les maçons ( c’est à dire les experts) qui ont été directement désignés par l’ingénieur ( le Gouvernement) et présentés au peuple ( le propriétaire). Ils vont ensuite voir les autres citoyens pour leur demander : quelles modifications apportées à la Constitution ?
Vous convenez avec moi que ça cloche quelque part.
Il faut remettre les choses à l’endroit.
Pour la deuxième partie de votre question, je crois y avoir déjà répondu à travers vos deux premières questions.

L’Indépendant : Le front social est plus que jamais en ébullition, avec, notamment, la grève de l’UNTM, des enseignants de l’Ecole fondamentale, des boulangers et pâtissiers. Comment expliquer cette grogne à répétition ? Quelle explication donnez-vous à ces agitations sociales ?

Dr Choguel K.Maïga : Ces grèves sont l’expression du mécontentement général qui a gagné et continuera de gagner de plus en plus de couches sociales. Le tout sur fond de malaise général, de crise d’autorité, de crédibilité et de légitimité d’un pouvoir, qui n’arrive pas à endiguer la descente aux enfers de pays : crise sécuritaire chronique au Nord et au Centre, partition programmée du pays, crise politique, crise de confiance, crise morale, mauvaise gestion des ressources financières de l’Etat. Si non, tout responsable politique de bonne foi sait que l’Etat, objectivement, n’a pas les moyens financiers de donner satisfaction à toutes ces revendications catégorielles.

L’Indépendant : L’insécurité semble se généraliser avec la recrudescence des assassinats ciblés et des massacres des civils au Centre du pays et, même au sein de la capitale, Bamako. Selon vous, qu’est-ce qui est à l’origine des ces accès de violences meurtriers ? Et qaue vous proposeriez-vous pour mettre un terme à ces violences ?

Dr Choguel K.Maïga : Je crois que la mauvaise gestion, l’approche non stratégique, faite de légèreté , d’incompétente et de laxisme, de la crise au Nord du Mali et de l’Accord issu du processus d’Alger, le double jeux de certains partenaires internationaux et ses conséquences, sont les principales causes de ce que vous décrivez. Je me suis largement étendu sur la question plus haut. Il y a également une partie de la criminalité, qu’il ne faut pas systématiquement et injustement imputer au Autorités. N’importe quel Gouvernement aura à gérer de telles situations de crimes organisées ou non . Même quand on est en désaccord avec le Gouvernement, il faut éviter la démagogie et tout mettre indistinctement sur son dos.

Concernant les religieux, pense qu’ils sont des citoyens comme tout le monde, donc ils ont le droit de se prononcer sur certaines questions de la vie de la Nation, notamment quand ça concerne les sujets d’ordre moral et de société. Mais ce que certains appellent la politisation des religieux, c’est-à-dire leur implication forte dans les élections, a été sollicitée par les mêmes hommes politiques qui les critiquent aujourd’hui. Je rappelle que, pour la première fois dans notre histoire, c’est IBK qui les a sollicité déjà en 2002, et ils avaient appelé à voter pour lui, personne n’avait trouvé à redire. En 2013, c’est leur choix porté sur IBK et les moyens humains et financiers qu’ils ont mobilisés, qui ont été déterminants pour le faire élire à plus de 70% alors que sont Parti ne pesait pas grand-chose politiquement.

Il faut donc que les tenants du pouvoir balayent d’abord devant leur port, avant de critiquer et chercher à discréditer les Chefs religieux et tenter de manipuler l’opinion publique contre eux. La seule façon pour les Autorités d’être crédibles, c’est réussir à bien gérer les crises qui assaillent la Nation, tout le reste n’est que fuite en avant et combat d’arrière-garde.

L’Indépendant : Votre mot de la fin?

Dr Choguel K. Maïga : Prions pour que Dieu guide et inspire tous les acteurs, tous les protagonistes des crises multiformes qui assaillent notre pays dans le sens de l’intérêt supérieur du peuple malien. Que Dieu sauve et bénisse le Mali !

Figaro mali

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