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Insécurité dans le Sahel – L’argent : le nerf du djihad

De 2001 à 2002 : un émissaire d’Al-Qaïda séjourne en Algérie pour développer des foyers djihadistes au Sahel. Le 22 février 2003 : trente deux (32) touristes dont seize (16) Allemands sont kidnappés à Illizi (sud algérien). Ils sont libérés entre mai et aout contre une rançon faramineuse qui servira à acheter des armes dont les missiles sol-air. De 2001 à 2015 (3 novembre 2015, assassinats des journalistes français G. Dupont et C. Verlon), ce qui fait en quatorze (14) ans soixante douze (72) otages avec son corollaire d’égorgements. Un otage rapporte en moyenne trois (03) millions d’euros.

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Financement des réseaux djihadistes

La première des ressources financières des salafistes du GIA (ancêtres du GSPC et d’AQMI) provient des activités illicites (trafics de cigarettes, drogues) des années 1990. C’est pour cela que le surnom attribué à Belmoktar de «Mister Marlboro» pour ces genres d’activités est assez révélateur. Ces pratiques jugées mafieuses ont été abandonnées, en 2008, par Abou Zeid, qui dénonça leur caractère illicite, contraire aux valeurs de l’islam. C’est dans ce contexte que l’organisation se dirigea vers les prises d’otages pour obtenir le paiement de rançon ou de la dime comme principal mode de financement qu’elle considère comme «plus acceptable».

La substitution de trafic illicite au principe de paiement d’«impôt religieux» s’apparente beaucoup à une opération de blanchiment que l’on pourrait transposer dans le domaine bancaire. Ainsi, un des principes de ce prélèvement consiste à faire passer les «marchandises ou drogues» d’un groupe de narcotrafiquants ou de contrebande sur les territoires contrôlés par Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Chaque montant de la dime varie en fonction des cargaisons de «marchandises ou de drogues» escortées.

Prélever un «impôt» sur le passage de la drogue est donc admis tant que la marchandise est destinée aux pays occidentaux considérés comme peuples d’infidèles. De même, les prises d’otages font l’objet d’une tentative de légitimation par AQMI. Toute libération de ressortissants étrangers nécessite une rançon de plusieurs millions  de dollars US.

Pour Serge Daniel, journaliste à RFI, le cheminement classique d’une prise d’otages comme moyen de financement se passe de la manière suivante : «…Des bandes criminelles signalent la présence de ressortissants étrangers aux Katibas d’AQMI, lesquelles passent commande ou envoient des équipes légères à bord de véhicule 4×4 qui procèdent elles-mêmes à l’enlèvement».

Le journaliste de RFI précise toutefois que la prise d’otages des Français qui a eu lieu, en novembres 2011, à Hombori (au Mali-Nord), a été l’œuvre d’un jeune Touareg qui les a revendus pour quelques dizaines de milliers d’euros à des islamistes d’AQMI.

Ces modes d’enlèvements nous ont été confirmés par un ancien rebelle touareg reconverti en «personnalité intermédiaire» lors des prises d’otages. Pour des raisons confidentielles, nous avons choisi de ne pas citer son nom.

Al-Qaïda et MUJAO se rivalisent sur le terrain

En septembre 2010, lors d’une réunion consacrée à la stratégie antiterroriste mondiale à l’ONU, les Algériens ont indiqué certains (dont AQMI) ont perçu plus de 150 millions d’euros contre la libération d’otages occidentaux.

Le rapport d’un groupe d’experts français sur le mode de financement et d’organisation d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), en 2012, indique qu’une libération s’élèverait de nos jours à plus de deux millions d’euros par personne. Cette source nous montre combien les prises d’otages sont devenues le moyen privilégié par les islamistes pour s’assurer une source de financement.

Ainsi, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) aurait reçu une somme de 15 millions d’euros contre la libération de trois otages européens (deux Espagnols et une Italienne) enlevés, en octobre 2011, à Tindouf en Algérie.

Le paiement de cette somme a été confirmé par Walid Abou Sahraoui, le porte-parole du MUJAO (AFP, 21 juillet 2012). Celui-ci affirme qu’outre les rançons, son organisation a obtenu également la libération d’un terroriste qui était dans les geôles mauritaniennes.

Ces actes ont été fortement réprouvés par les autorités algériennes, qui, selon elles, contribuent au financement du terrorisme en particulier le MUJAO (qui a enlevé ses diplomates à Gao, en 2012).

L’Algérie dit niet au paiement de rançon

Nous comprenons l’attitude algérienne sur ce point, car le pays a été victime de plusieurs attentats kamikazes du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) à Tamanrasset et à Ouargla, en 2012, et de Djanet, en 2013. Autrement dit, le paiement d’une rançon ne ferait qu’inciter davantage les terroristes à plus de violences. Mais, les exigences des terroristes dépendent aussi de leur capacité de nuisance, car ils n’hésiteront pas à exécuter leurs otages en cas de refus de paiement.

Par contre, nous ne savons pas dans quelle condition, les autorités algériennes ont obtenu la libération d’un certain nombre de leurs diplomates à Gao. Ont-elles négocié ou payé une rançon ? Nul ne doute que l’envoi d’un avion humanitaire algérien à Gao (le bastion du MUJAO) avait suscité d’autres interrogations.

D’une manière générale, si l’envoi des missions humanitaires peut se révéler comme une source de rivalités entre les puissances étatiques à travers les conflits ou catastrophes mondiaux, celui du cas malien peut susciter des doutes et des suspicions sur le rôle de certains Etats arabes.

L’humanitaire: un rôle trouble dans la zone

Ainsi, pour élargir son influence face à la présence de la secte Dawa et à l’Arabie Saoudite, le Qatar, à travers son action «humanitaire» par le biais du Croissant-Rouge, joue un rôle trouble à travers ses relations avec les islamistes au Mali-Nord et dans les pays en conflit comme la Libye et le Soudan.

Même le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) (à travers un de ses membres qui participaient à une négociation au Burkina Faso, en 2013, sur la crise malienne), a dénoncé ce soutien aux islamistes. Si ces agissements des Qataris sont connus des puissances occidentales pour quelle raison n’ont-elles pas dénoncé cette situation ? Est-ce parce que cet Etat investit massivement en Europe, notamment en France ?.

«Le Qatar envoie-soi-disant  des aides, des vivres tous les jours à travers les aéroports de Gao et de Tombouctou», dixit le maire de Gao, joint par RTL (matinale, juillet 2012). Plus tard, cette information fut confirmée par le «Canard Enchainé», en juillet 2012, qui a indiqué que l’Emir du Qatar avait livré une aide financière aux mouvements armés qui ont pris le contrôle du Nord du Mali. Parmi les bénéficiaires figure le MUJAO.

Nous comprenons alors pourquoi d’autres jeunes et combattants touaregs ont rallié massivement ce mouvement qui n’hésitait pas à payer 200.000 FCFA (305) euros par combattant. Moyennant ce soutien, les combattants djihadistes assuraient à leur tour la sécurité des humanitaires qataris.

Paradoxalement, nous nous interrogeons quant à la sincérité des relations entre Ansar Dine et les Qataris à Kidal. Nous retenons que son leader Iyad Ag Ghali a été hostile à la sécession du Mali-Nord. D’ailleurs, celui-ci a réussi à coaliser autour de lui des personnalités politiques influentes de la région de Kidal. Il s’agit d’Hamadah Ag Bibi (député et ancien porte-parole de la rébellion de 2006) et Alhabass Ag Intallah (également député, fils et héritier de l’Amenokal Intallah) de Kidal.

En 2013, après l’offensive des forces de «l’opération Serval», ces deux (02) personnalités ont quitté Ansar Dine pour créer le MIA (Mouvement islamiste de l’Azawad) à Kidal, devenu plus tard le HCUA (Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad).

Sur un autre plan, de nombreux nomades, même sédentaires,ont profité des revenus en échange des services ponctuels qu’ils rendaient aux trafiquants ou aux groupes armés.

Certes, il y a eu pendant toute l’occupation du Mali-Nord, une forte médiatisation sur l’octroi de la rançon, mais cette manière de procéder pour obtenir la libération des otages dans cette région ne date pas de 2011(début du conflit malien).

Nos enquêtes sur le terrain nous ont permis de savoir que depuis plus d’une décennie, les groupes armés et les trafiquants dissimulent leurs activités dans celles de la population nomade, notamment, celles des Touaregs ou d’Arabes qui servent souvent d’intermédiaires en cas d’enlèvements d’étrangers. Parmi ceux-ci Iyad Ag Ghali (actuel chef d’Ansar Dine et ex-chef de la rébellion des années 1990).

Selon les explications données par Ag Faki (responsable touareg, proche d’Iyad Ag Ghali : Il a participé aux négociations secrètes sur les conditions de la libération des otages allemands, en 2000), Berlin aurait versé une somme de cinq millions d’euros par l’intermédiaire de son ambassadeur Igmar Brentle en poste à Bamako. Grâce à la rançon payée par les Allemands, si l’on s’en tient aux propos tenus par Ag Faki, de nombreux intermédiaires auraient perçu plusieurs dizaines de milliers d’euros  de la part d’El Para.

Cependant, il nous est difficile d’infirmer ou de confirmer sur le fait qu’Iyad Ag Ghali aurait refusé la somme de 70.000 euros que Saïfi aurait voulu lui remettre. Leurs relations sont restées étroites jusqu’à la nomination d’Iyad Ag Ghali comme diplomate en Arabie Saoudite, ce qui lui a permis de côtoyer de nombreux milieux radicaux islamistes.

Après son expulsion d’Arabie Saoudite, il est redevenu un intermédiaire indispensable entre les Etats occidentaux et les terroristes et en même temps un proche des salafistes.

Comment Iyad s’est forgé une renommée

Notons toutefois qu’il est important de connaitre comment cette ancienne figure des rébellions précédentes qui voulait succéder à l’Amenokal des Ifoghas, Intallah Ag Attaher, contre l’avis de la tribu, a su être indispensable dans le dispositif islamo-touareg.

Dans les années 1990, il a entrepris un virage religieux qui n’a fait que s’affirmer au fil du temps. Il s’est manifesté par son adhésion au tabligh ou Jamaat ut-Tabligh et a passé six mois dans une retraite tabligh au Pakistan.

Cependant, le rapprochement d’Ag Ghali vers une pratique de l’islam plus rigoriste est un choix que beaucoup ont suivi au Mali et, plus largement en Afrique de l’ouest, en réaction possible à l’étendue de la corruption d’Etat et aux multiples défaillances sur le terrain économique et social. Il serait ainsi erroné de dénier au projet d’imposition de la charia qu’incarne Iyad Ag Ghali tout fondement social légitime.

Par ailleurs, selon l’universitaire Ferdaous Bouhlel : «il existe au Nord un large dégradé d’interprétations de la charia pouvant faire l’objet de négociations. Il est enfin dangereux de voir le renouvellement des aspirations religieuses comme l’antichambre du djiohad, lequel suppose des modes de socialisation (violente) et des trajectoires personnelles distincts».

Il n’en demeure pas moins que le projet fondamentaliste d’Iyad Ag Ghali (qui fait écho à des aspirations exprimées au Mali-Sud) rencontre une vive opposition auprès des Touaregs pratiquant un islam tolérant, respectant, entre autres, le rôle important accordé aux femmes dans l’ordre social touareg.

Ainsi, en février 2012, le journaliste indépendant Andy Morgan a recueilli des témoignages, faisant état de la fureur de femmes touarègues à la suite de l’exposé pro-charia d’Iyad Ag Ghali, lors des délibérations préalables à l’éclatement de la rébellion.

En 2011, Iyad Ag Ghali était présent lors des consultations organisées avant le déclenchement de la rébellion. Il avait même réclamé le poste de secrétaire général du mouvement, qui lui a été refusé. Il a voulu maintenir son hégémonie politique et il a du prendre position vis-à-vis des acteurs émergents du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). C’est dans ce contexte qu’il crée le mouvement islamiste Ansar Dine (les partisans de Dieu).

Somme toute, si Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) s’est fait plus inquiétant dans cette région, c’est non seulement à cause de ses qualités de nuisance, mais surtout de son travail réussi d’implantation et des liens supposés avec les narcotrafiquants et le réseau mère d’Al-Qaïda: «naturellement, l’organisation s’est aussi dotée d’un arsenal important».

Depuis, une sorte de légende enveloppe les salafistes dans cette région. Equipés de téléphones satellitaires, ils sillonnent le Sahara ou ils aménagent à des endroits précis des réserves de carburant, selon les propos de certains habitants de la région. Leurs actions autant spectaculaires  qu’imprévisibles témoignent de la cruauté de leurs actes.

En menant de telles opérations, les djihadistes et leurs alliés ont fini par comprendre que dans ce no mans ‘land sahélo-saharien leurs activités terroristes priment sur tout et les prises d’otage ne sont en fait qu’un commerce comme un autre, pourvu que chacun (contrebandiers, terroristes et autres affiliés) y trouve son compte.

Les salafistes ont-ils compris que dans un milieu marqué par l’aridité et la distance (plaçant chacun en situation de survie), le pragmatisme et l’opportunisme (l’exploitation des rivalités entre les tribus antagonistes pour affaiblir toute forme de résistance) sont des qualités premières qui expliquent les coopérations ponctuelles avec d’autres groupes liés aux trafics d’armes et de drogues ?

D’une manière globale, si certains experts pensent qu’AQMI n’a pas spécifiquement un ancrage sociologique dans le Sahel, un document de leur chef Droukdel contredit cette hypothèse. Droukdel y expose ses objectifs pour l’Azawad, c’est-à-dire, la stratégie qu’il faudrait pour gérer un territoire sous occupation islamiste. Libération avait mis en ligne sur son site ce document de huit pages illustré par des schémas.

Il nous renseigne également que le chef des terroristes se préoccupe sérieusement de la sécurité de ses troupes et leur conseille la prudence pour éviter d’être abattu par les drones.

Extrait : «Le conflit touareg et ses enjeux géopolitiques au Mali» (Abdoulaye TAMBOURA)

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