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…Houday ag Mohammed, auteur de « Tombouctou 2012, la ville sainte dans les ténèbres du jihadisme » : « Le système mis en place par Alpha et ATT a conduit au drame que vivent les Maliens aujourd’hui «

La crise sécuritaire au nord du Mali a laissé de véritables séquelles dans le pays. Ainsi, nombreux sont-ils à se demander comment le pays en est arrivé là et quels sont les voies et moyens à mettre en oeuvre pour éviter qu’il ne sombre de nouveau dans la crise. C’est pour tenter de répondre à ses questions que Houday Ag Mohamed, ancien journaliste et actuellement Directeur régional du Travail à Mopti a rédigé un ouvrage intitulé » Tombouctou 2012, la ville Sainte dans les ténèbres du Jihadisme « . Dans ce livre, il analyse les causes profondes qui ont entrainé le pays au bord du précipice. Il a accepté de nous le faire découvrir dans l’entretien que nous vous livrons.

L‘Indépendant : Parlez-nous brièvement de l’ouvrage que vous venez d’écrire ?

Houday Ag Mohamed : Ce livre est la résultante d’une tragédie factuelle douloureusement vécue par les Maliens et particulièrement les populations du nord. Il procède aussi d’une volonté de porter à la connaissance des Maliens ce qui s’est réellement passé les toutes premières heures de l’occupation de la ville de Tombouctou par les jihadistes. J’ai personnellement vécu minute par minute, heure par heure, jour par jour ces pénibles moments aux côtés de mes frères du nord. Je me suis alors dit que nous vivons des pans décisifs de l’histoire de la ville de Tombouctou, du Mali et qui ne sauraient être occultés.

Par patriotisme ou par devoir tout court, je me suis mis à écrire et à décrire en toute objectivité le lot quotidien des Tombouctiens durant les trois premiers mois que j’ai vécus dans la cité sous occupation. En vérité, ce livre, je l’ai écrit de mes tripes.

Il retrace non seulement l’occupation proprement dite, mais aussi les facteurs et les paramètres qui ont prévalu et précipité notre descente aux enfers. Entre autres (paramètres), nous pouvons noter la présence depuis belle lurette des futurs occupants (jihadistes) au vu et au su de tout le monde et dans l’indifférence totale. Ils bénéficiaient à cet effet de connivences non seulement au niveau de la population, mais aussi de certains politiques et militaires au plus haut niveau. Ils disposaient de moyens financiers colossaux pour s’attacher les services de ceux qui n’ont aucune ambition, aucun amour sincère pour cette commune nation. L’étau se resserrait inexorablement autour de nous sans que personne ne s’en meuve encore moins de le prévenir ou l’endiguer.

Autre fait explicatif du naufrage collectif, c’est la faillite et la démission quasi synchronisées de l’Etat et de nos gouvernants locaux, c’est-à-dire les élus à tous les niveaux, ceux qui ont été portés au pinacle par les populations à la faveur de la décentralisation et qui n’ont pas réellement joué leur rôle. Dans la plupart des cas, nos élus ont brillé par leur incompétence et une nette propension à l’embourgeoisement facile et rapide. Le drame de ce pays est qu’on a un sérieux problème avec la vérité.

Si nous sommes tombés si bas, c’est parce que nous avons toujours fermé les yeux sur la vérité. En clair, nous lui avons tourné le dos. Pour des intérêts bassement personnels, nous avons failli à notre devoir de dénoncer, de condamner et de combattre.

Et quand la bombe explose, tout le monde en prend pour son compte même ceux qui s’estiment à l’abri, forts de leur puissance et de leur statut. Nous avons donc tous intérêt à faire front commun quand la nation est en péril.

Qui sont les responsables de la situation que vous décrivez ?

Chacun a sa part de responsabilité à commencer par les gouvernants de proximité ; les élus locaux, les maires, les députés, les conseillers municipaux et nationaux, bref l’ensemble des décideurs politiques. Chacun avait sa part de responsabilité dans ce drame. Tout le monde voyait venir la tragédie, mais rien n’a été entrepris en amont pour la circonscrire. On a laissé pourrir la situation en y contribuant par des comportements d’indifférence et souvent même de connivence. Dans ce pays, il y a une sorte d’omerta sur des problèmes essentiels qui engagent parfois notre avenir ou notre existence en tant que nation tout court. Nous sommes victimes de nos errements et de nos turpitudes.

Pourquoi avoir choisi cette période pour ces révélations, est-ce par devoir de mémoire ou par devoir de vérité ?

Mieux vaut tard que jamais, a-t-on coutume de dire. Le moment est choisi par devoir de mémoire, mais aussi par devoir de vérité comme vous le dites. Il faut savoir tirer leçon des tâtonnements et erreurs du passé, du présent pour faire face à l’avenir avec sérénité. C’est parce que moi et bon nombre de mes compatriotes avons souffert du laxisme et de l’indifférence de nos gouvernants que j’ai jugé utile d’écrire pour faire savoir à l’immense majorité des Maliens que l’enfer comme on pourrait le penser n’est pas si loin. Et faisons en sorte qu’il n’arrive pas aux autres.

Dans cet ouvrage, on voit que vous vous attaquez à la gestion des affaires par Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré ?

Non ! Je ne m’attaque pas à leur gestion des affaires, mais plutôt à un système qui a conduit au drame que vivent les Maliens aujourd’hui. Tout s’est passé comme s’il existait une sorte d’accord secret entre les deux présidents pour se passer mutuellement le relai, parfois au mépris de la volonté populaire.

Il n’est un secret pour personne que le président ATT est arrivé aux affaires à la faveur d’un mouvement insurrectionnel qu’il a simplement parachevé par l’arrestation sans grandes difficultés du Général Moussa Traoré le 26 mars 1991. Il a conduit la transition de mars 1991 à juin 1992. Il a organisé les toutes premières élections démocratiques de notre pays et a passé le pouvoir à Alpha suite à une consultation populaire sans anicroche apparente.

Aux présidentielles de 1997, le Général ne s’est pas décidé à se présenter, visiblement pour ne pas gêner son successeur. Alpha Oumar Konaré s’est alors fait réélire dans des conditions désastreuses en embastillant ses sérieux opposants politiques qui furent pour la plupart ses compagnons d’infortune. Il fit légitimer sa réélection en choisissant un adversaire de moindre envergure. Le premier mandat d’Alpha fut certes laborieux, mais ayons l’honnêteté de dire qu’il a redonné confiance aux Maliens. Le pays sortait d’une succession de crises liées à la rébellion, aux revendications corporatistes souvent extrémistes, aux grèves des élèves et étudiants ainsi qu’aux conséquences dramatiques de la dévaluation du franc CFA. Le premier mandat d’Alpha quoique parsemé d’embauches, s’acheva dans un climat d’apaisement général avec la fin de la rébellion et l’amorce d’un réel redressement économique.

C’est à mi-parcours de son second mandat qu’Alpha s’illustrera par une posture particulière et inhabituelle vis-à-vis de ceux qui l’ont aidé à maintenir le cap à savoir ; son premier ministre et son ministre des finances. Il remercia IBK qu’il a pourtant utilisé dans l’épreuve et émietta son parti l’ADEMA pour faire barrage à son candidat Soumaila Cissé.

Par ces actes politiques moins louables, il ouvrit les portes de Koulouba à son prédécesseur ATT qui reprit le relai sans grandes difficultés et souvent dans des conditions scandaleuses parce qu’Alpha fit annuler par ses » Institutions « les voix de ceux qui avaient réellement gagné les élections. Et les drames que connurent les Maliens ne furent que la suite logique de lucifériens calculs politiques.

Avec l’avènement d’un homme sans poigne aux affaires, les islamistes s’installèrent royalement dans le septentrion malien et ils eurent le temps de nous annexer à la faveur de complicités endogènes et exogènes. Ils sortirent outrageusement des bois et se signifièrent par un excès de générosité à l’égard des indigents et autres nécessiteux qu’ils finirent par rallier à leur cause.

Naïvement, ATT pensait que ses hôtes étaient de bonne foi et qu’il ne sera pas attaqué par des gens qu’il a su accueillir généreusement chez lui. Avec les islamistes « çà commence toujours bien et çà se termine toujours mal « . C’est ce qui nous est arrivé. Le deal secret des deux hommes se révéla au grand jour et ce grand pays a failli sombrer suite aux effets combinés d’une annexion jihadiste au nord et d’un putsch militaire au sud. Nous avons alors été abandonnés, seuls face à nos peines par nos deux anciens présidents Alpha et ATT qui sont en grande partie responsables de nos malheurs.

Quelle appréciation faites-vous des premiers jours d’IBK aux affaires ?

Pour le moment, nous pouvons lui accorder le bénéfice du facteur temps. Il vient à peine de s’installer que le voilà face à une panoplie de problèmes dont le plus brûlant est celui de la rébellion. Le Président est parfois amené à prendre des mesures impopulaires, mais que voulez-vous qu’il fasse si le prix à payer pour arriver à la paix passe par ces mesures ? Il est une donnée constante aussi, dont les Maliens doivent tenir compte à savoir que la résolution du problème du nord implique plusieurs acteurs et dont les points de vue ne sont pas forcément ceux des Maliens en général. Le Président IBK sait par expérience politique que les Maliens l’ont élu pour sa fermeté et sa farouche détermination à résoudre le récursif et pénible problème du nord. Encore faudrait-il qu’on lui en donne le temps d’agir.

La résolution du problème du nord doit nécessairement passer par le dialogue, le compromis et l’entente si bien entendu, nos interlocuteurs d’en face le pensent ainsi. Les surenchères et les propos guerriers auxquels nous assistons ces derniers temps risquent de nous conduire tout droit à l’impasse. Toutes choses que nous ne souhaitons pas à ce grand pays qui a besoin de tous ses fils non seulement pour sa stabilité, mais aussi pour son développement. Le président sait aussi que sans paix et sans quiétude aucun développement ne peut être envisagé. Et c’est pourquoi nous devons faire preuve de mansuétude et de discernement pour un départ.

Que faut-il faire pour que le Mali ne retombe plus dans ces travers ?

Les drames douloureusement vécus nous auront largement ouvert les yeux pour ne plus tomber dans les travers de l’injustice, l’impunité, le laisser-aller et le détournement éhonté des maigres ressources publiques. Désormais, nous devons avoir comme credo: la justice, l’utilisation judicieuse et équitable des ressources de l’Etat au seul et grand bénéfice de l’ensemble des Maliens. Car c’est de telles pratiques qui ont finalement engendré des monstruosités et des rébellions en cascade. Elles ont par ailleurs abouti à une précarité endémique qui ne cesse de tarauder aujourd’hui au fond des cales, l’immense majorité des Maliens.

 

Source: L’Indépendant

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