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Grands orchestres du Mali: CES VITRINES BRISÉES DE NOTRE CULTURE

Les grandes formations modernes ont été le baromètre de la vitalité musicale du Mali dans les années 60, 70 et 80. Si le Kanaga et le Super Biton survivent tant bien que mal, la plupart de ces symboles de notre patrimoine culturel et artistique a presque disparu. Tombés aujourd’hui dans les oubliettes, ils méritent une seconde vie.

Félou Star, Kéné Star, Koulé Star, Super Biton, Bronconi, Songhoy Star, Diaba Régional, Super Djata Band, Super Rail Band, National Badema… Autant de grandes formations qui ont écrit les plus belles pages de la musique malienne en assurant la promotion de la diversité musicale de nos terroirs sur un fond d’arrangement tradi-moderne. Ils sont nombreux les nostalgiques d’une période que des critiques comme Julien Le Gros (Musica Africa, septembre 2015) appellent «L’empire des orchestres du Mali des années 60 à 80».
Ainsi, de l’indépendance du Mali en 1960 jusqu’à l’émergence de la world music dans les années 1980 le pays de Bazoumana Sissoko, Siramory Diabaté, Sidiki Diabaté, Lèba Sidiki, Lamissa Bengaly, Tara Boré… a été «un fabuleux réservoir d’orchestres d’une rare inventivité».
«L’histoire de l’orchestre au Mali est facile à relater parce qu’on peut la situer en partant du Soudan français. Sous la colonisation, il y avait beaucoup d’orchestres privés. Il y avait l’orchestre de Madani Samaké, celui de Panka Dembélé, la Fiesta tropicale et d’autres qui, avant l’indépendance, faisaient de la musique. La Fiesta tropicale de Moussa Diallo était basée à Darsalam. Panka Dembélé, un grand trompettiste, et Madani Samaké, un grand saxophoniste, animaient alors la ville de Bamako», témoignait Ntji Diakité,  administrateur culturel  à la retraite, dans «L’Indicateur du Renouveau» d’octobre 2018.
Ces groupes, a-t-il rappelé, étaient spécialisés dans la reprise des morceaux «Toubab» avec seulement quelques titres au niveau de la culture soudanaise. C’est pendant cette période que Baba Barry  a composé «Ni tara Bamako, Bamako ba djiba diara la, i ka n’sama». Un titre qui fait encore le bonheur des mélomanes nostalgiques de cette belle époque sur les antennes de la radio nationale. On a ainsi continué jusqu’au moment de l’indépendance.
A notre accession à la souveraineté nationale et internationale, le président Modibo Kéïta a instauré les Semaines nationales de la jeunesse pour stimuler la création artistique, favorisant le retour à l’authenticité. Comme dans tous les autres secteurs, le Mali devait se soustraire de l’influence culturelle coloniale.
Une volonté politique traduite par la création de grands orchestres pour absorber toutes les musiques modernes. «Dès lors des orchestres poussent comme des champignons dans toutes les régions de cet immense pays, l’un des plus vastes d’Afrique de l’Ouest», a témoigné Ntji Diakité.

Le Super Biton national de Ségou plusieur fois meilleur orchestre de la Biennale artistique et culturelle

«Black Bouddha» et «Domingo» de la musique malienne
Né dans les années 60, sous l’impulsion du trompettiste Amadou Ba, le groupe Super Biton de Ségou est par exemple la fusion des groupes Ségou jazz, de l’Alliance jazz et de l’Orchestre régional de Ségou. Il est sans conteste l’un des meilleurs et les plus authentiques du genre. Entre 1970 et 1976, son excellence est récompensée par plusieurs prix lors des Biennales artistiques organisées à Bamako.
Outre le célèbre Badema national, d’autres formations ont vu le jour à travers le pays, notamment l’Orchestre régional de Kayes, le Tijwara band de Kati, le Mystère jazz de Tombouctou, le Kanaga de Mopti, le Kéné star de Sikasso, le Koulé Star de Koutiala… C’est au sein de la formation de la capitale de «l’Or blanc» (Koutiala) qu’a débuté le virtuose du piano, Cheick Tidiane Seck, le «Black Bouddha» de la musique malienne. Cette formation a révélé aussi le grand chanteur Abdoulaye Diabaté.
Avec des instruments amplifiés, ces orchestres avaient à leur actif des répertoires incluant autant les classiques mandingues que les musiques afro-cubaines populaires des années 50, ou les standards du rock’n’roll et du twist. C’est ce que des critiques appellent la génération «Salut les copains». Edité en 1963, le tube «Mali twist» de Boubacar Traoré dit «Kar Kar» illustre ce déferlement éphémère.
Cheick Tidiane Seck qui a intégré le «Rail Band» en 1975, se souvient de cette belle époque d’effervescence musicale. «Dès 1974, j’allais tout le temps jammer (Jam session ou séance d’improvisation d’un groupe de musiciens de jazz) avec le Rail Band et les Ambassadeurs. A l’époque, j’étais le seul à pouvoir jouer du Jimmy Smith. J’impressionnais pas mal de gens en jouant tout le répertoire de la Motown. Je jouais les claviers, l’orgue, le synthé vintage avec le Super Rail Band», a-t-il confié à Musica Africa (septembre 2015).
Parallèlement, son orchestre «Afroblues band» animait tous les bals de fin d’année avec Alpha Thiam et Moussa Diallo (le fils du regretté Me Demba Moussa Diallo qui vit au Danemark). «Dans ce groupe, on reprenait Joe Cooker, Pink Floyd, Led Zeppelin, DeepPurple avec naturellement Santana et Jimi Hendrix aux premières loges ! Et les dimanches soirs, je jouais pour les touristes des valses, tango, paso doble et mazurka au plus grand hôtel de l’époque : l’hôtel de l’Amitié», avait-il poursuivi !
Puis, se souvient le Black Bouddha, «en juillet 1970, un jeune homme albinos timide fait ses premiers pas au Rail Band pendant trois ans avant de quitter le navire pour les Ambassadeurs. Il s’agit d’un certain… Salif Kéita».

Abidjan, la plaque tournante
Avant la brillante carrière solo qui est la sienne, le « Domingo » de la musique malienne a écrit une page légendaire avec «Les Ambassadeurs» avant son exil à Abidjan, devenue entre-temps une plaque tournante musicale dans la sous-région.
Le déclin des orchestres modernes du Mali a commencé au début des années 80 avec la pression dictatoriale du régime du parti unique qui a contraint de nombreux talents à l’exil. «Les événements liés au coup d’Etat de Moussa Traoré ont posé d’énormes problèmes aux orchestres qui n’avaient plus de mécènes, donc plus de soutiens dans les quartiers…», a rappelé Ntji Diakité dans l’entretien accordé à nos confères de L’Indicateur du Renouveau.
«A la fin de l’année 1978, ma mère, voyant mes tensions avec le régime, m’a donné sa bénédiction pour aller voir ailleurs. Salif Keita et l’arrangeur Alassane Soumano m’ont envoyé un télégramme. J’ai demandé une permission au Buffet hôtel de la gare, propriétaire du Super Rail Band, pour aller voir mon frère au Burkina Faso. Je suis dans cette permission jusqu’à présent ! En réalité, j’ai rejoint Kanté Manfila, Salif Keita et le cœur du Rail Band à Abidjan», raconte Cheick Tidiane Seck.
De nouvelles voix se feront entendre dans les années 80-90 au service de nouveaux orchestres comme Habib Koité et son Bamada qui ont sillonné le monde en allant de succès en succès. Dans les années 2000, c’est la star virtuose de la kora Toumani Diabaté qui rendra un hommage mérité à ces orchestres et à l’histoire artistique et culturelle du Mali à travers «Boulevard de l’indépendance», un album produit par World circuit en 2006. Un chef-d’œuvre porté par un orchestre aux allures panafricaines : le Symmetric orchestra conçu à la manière des orchestres de jadis.
«J’ai voulu représenter l’Empire mandingue sur le plan culturel avec les musiciens de tous ces pays. Nous avons les mêmes cultures. Nous chantons les mêmes musiques. Nous mangeons les mêmes plats. La pâte d’arachide s’appelle Mafé en Gambie ou en Côte d’Ivoire. Au Mali on dit Tigadégué na. Mais c’est la même chose ! C’est important de produire une œuvre collective pour la montrer aux nouvelles générations», explique Toumani en faisant la genèse de cet orchestre dont on entend parler très peu depuis le début de la crise malienne en 2012.
«Le symmetric orchestra est composé de plus de dix-sept musiciens. Beaucoup de jeunes artistes y ont été formés et d’autres sont toujours à l’école comme Sidiki Diabaté. Habib Koité, Bassékou Kouyaté, feue Fantani Touré, Ami Sacko ont, entre autres, commencé avec le Symmetric. Nous sommes sur des projets. Mais, depuis les événements du 22 mars 2012, nous avons connu des difficultés car plusieurs espaces culturels ont été fermés. Malgré tout, nous faisons des répétitions et nous continuons à faire des concerts», a confié l’illustre Korafola (joueur de kora) à nos confrères de Tjikan en juillet 2018.

La nostalgie des bals poussières
Aujourd’hui à Bamako, selon Ntji Diakité, on peut dire qu’il y a des orchestres mais ce sont des petits groupes qui sont loin d’étancher notre soif d’émotion, de combler notre nostalgie de la belle époque des orchestres mythiques qui ont longtemps été un pan de notre indépendance culturelle et artistique.
Et de nos jours, déplore M. Diakité, ces «petits orchestres» ne font plus de bals comme dans le temps. «Ils ont tous rejoint les boites de nuit, les hôtels pour pouvoir assurer leur survie. Aujourd’hui, on regrette, parce que quand tu ouvres un concours, dix à quinze orchestres se présenteront mais aucun ne peut égayer le public ou mettre en haleine le public», déplore-t-il avec beaucoup d’amertume.
Toutefois, l’espoir est permis car des entrepreneurs culturels travaillent à la renaissance certaine de ces grands ensembles. A l’image de Berthin Coulibaly qui a réussi à fidéliser des mélomanes tous les samedis autour de Madou Sidiki Diabaté (frère cadet de Toumani) et son Mandé Groove spécialisé dans la reprise des grands succès des années 60-70-80. Un groupe qui s’ouvre aussi aux monstres sacrés de la musique africaine de passage dans la capitale comme Sékou Diabaté, Cheick Tidiane Seck…
L’une des missions du ministère de la Culture doit être aujourd’hui de redonner vie à ces orchestres qui symbolisent notre souveraineté culturelle et artistique. Les ressusciter, c’est aussi assurer à leurs sociétaires un véritable plan de carrière pour qu’ils ne meurent plus dans la misère et dans l’indifférence totale.
Pour cela, il faut aussi un management pour leur ouvrir le showbiz international avec des productions authentiques et des tournées aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur via les services culturels de nos représentations diplomatiques.
Les talents incontestés ont besoin d’un cadre atypique pour transmettre leur savoir et leur savoir-faire aux jeunes générations. Ces orchestres progressivement délaissés et abandonnés à la passion et à l’ambition de leurs sociétaires peuvent constituer une meilleure école de formation musicale. De quoi inverser la tendance de la perte d’authenticité créative qui se ressent aujourd’hui sur la musique malienne.

Source: L’ Essor- Mali

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