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Géopolitique du maintien de la paix des Nations Unies

Docteur en science politique de l’IEP de Paris. Ronald Hatto est enseignant de relations internationales (sécurité internationale) à Sciences-Po Paris depuis 2000 où il donne des cours spécialisés sur le maintien de la paix et les études stratégiques au premier cycle et au Master dans le cadre de la Paris School of International Affairs (PSIA). Ronald Hatto a notamment publié Le maintien de la paix : l’ONU en action, Paris, Armand Colin, 2015.

Le casque bleu est une figure des relations internationales, mais quelle est son histoire ? Ronald Hatto, met en perspective les Opérations de maintien de la paix. Il apporte des repères et une compréhension globale de cette innovation institutionnelle de l’ONU. Un texte très maitrisé auquel s’ajoutent une bibliographie sommaire et une sélection de liens.

DEPUIS la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations Unies (ONU) soutenue par ses Etats membres a mis sur pied ce qu’il est dorénavant convenu d’appeler des Opérations de maintien de la paix (OMP) [1]. Les militaires déployés dans les OMP sont appelés « soldats de la paix » ou « casques bleus ». Au fil des années, les opérations de maintien de la paix multinationales sont devenues partie intégrante du fonctionnement de la société internationale. A cet égard, les chiffres sont éloquents puisque entre 1948 et 1988, l’ONU n’a organisée que treize OMP alors qu’elle en a créée 56 entre 1988 et 2014 [2]. Le maintien de la paix est un instrument multilatéral de gestion des conflits développé par les Nations Unies au cours de la deuxième partie du vingtième siècle pour maintenir ou rétablir la paix. Cet article vise à démontrer que le maintien de la paix est fortement dépendant des évolutions géopolitiques affectant l’ordre international. Pour ce faire il est structuré en trois parties chronologiques. La première examine la naissance improvisée du maintien de la paix entre 1948 et 1956, la deuxième traite de la difficile consolidation des acquis du maintien de la paix et la troisième aborde les questions entourant les évolutions de cet outil diplomatique depuis 1989.

I. Le maintien de la paix : innovation institutionnelle à l’ONU

OMP et géopolitique

Le terme « géopolitique du maintien de la paix » concerne l’impact des facteurs politiques sur les déploiements d’opérations de maintien de la paix dans certaines zones géographiques particulières et parce que le pattern de déploiement des missions reflète les équilibres entre les grandes puissances à différents moments historiques comme la Guerre froide, les années 1990 ou la période de l’après-11 septembre 2001 et la lutte contre le terrorisme. La décolonisation reste un des facteurs explicatifs de la naissance du maintien de la paix tout comme les tensions de la guerre froide. Lors de leur création, les OMP sont conçues dans le but de remplir le vide créé par la paralysie infligée au mécanisme de sécurité collective par la polarisation du système international entre l’Est communiste et l’Ouest capitaliste mais également pour gérer les conflits déclenchés par la décolonisation. A noter que deux zones géographiques sont particulièrement importantes pour comprendre l’évolution des OMP : le Moyen-Orient et l’Afrique. De plus, les premières OMP visent pratiquement toutes à gérer les conflits découlant du démantèlement de l’empire britannique. Pendant la Guerre froide entre 1947 et 1989, elles servent également à éviter une implication des deux superpuissances, Etats-Unis et Union soviétique, dans les conflits régionaux.

Le maintien de la paix : une naissance improvisée

Le maintien de la paix tel qu’il se pratique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est une pure improvisation dans la mesure où rien dans la Charte de l’ONU n’y fait référence. Cet outil de gestion des conflits est né en 1948 avec la création de l’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST). Cette mission, la première à voir des soldats être déployés sous commandement de l’ONU, est mise sur pied en juin 1948 afin d’aider le Médiateur à surveiller l’application de la trêve en Palestine. Il ne s’agit pourtant pas encore de « maintien de la paix » mais plutôt d’une mission d’observation. Les soldats déployés ne portent pas de casque bleu mais un simple brassard de l’ONU. Ils reçoivent toutefois une médaille, la première créée par les Nations Unies. Une deuxième mission d’observation est déployée six mois plus tard, en janvier 1949, en Asie du sud. Le Groupe d’observateurs militaires des Nations Unies dans l’Inde et le Pakistan (UNMOGIP) arrive dans la zone de la mission le 24 janvier 1949 pour surveiller le cessez-le-feu entre l´Inde et le Pakistan dans l’État de Jammu et Cachemire et il est toujours déployé au moment d’écrire ces lignes (juillet 2017). Ainsi, les prémisses du maintien de la paix sont-elles jetées dès 1948-49 malgré le silence de la Charte à son sujet. Cette naissance improvisée explique d’ailleurs l’évolution graduelle et chaotique du maintien de la paix comme instrument de gestion des conflits.

Le Moyen-Orient : berceau des casques bleus

La véritable naissance du « maintien de la paix » a lieu en novembre 1956 lors de la crise de Suez. C’est à ce moment que les premiers casques bleus sont déployés pour tenter de calmer une situation qui menace de déstabiliser le monde entier. Après la nationalisation du canal de Suez et la fermeture du détroit de Tiran pour les navires israéliens par le président égyptien Gamal Abdel Nasser, la France, la Grande-Bretagne et Israël décident de lancer une attaque contre l’Egypte. La réaction du président Nasser à cette agression est de couler des navires dans le canal de Suez pour en bloquer le passage et transformer ce conflit régional en crise internationale. Les Etats-Unis, qui ne sont pas informés de l’opération par leurs alliés, et l’Union soviétique exigent la fin des activités militaires et la réouverture rapide du canal. Le gouvernement soviétique se montre particulièrement menaçant envers la France et la Grande-Bretagne. Pour empêcher une implication directe des deux superpuissances en Egypte, l’ONU décide la création et le déploiement de la première mission de maintien de la paix : la FUNU.

L’Assemblée générale à la rescousse

Les négociations visant à créer la force d’urgence se déroulent à l’Assemblée générale de l’ONU pour éviter un véto de la France et de la Grande-Bretagne. C’est donc l’Assemblée générale qui crée la première OMP sous la direction du Secrétaire général d’origine suédoise Dag Hammarskjöld, lui-même influencé par les idées du ministre canadien des Affaires étrangères Lester B. Pearson. Ce dernier reçoit le prix Nobel de la Paix 1957 pour sa contribution à la création de cet outil diplomatique inédit. C’est la seule mission créée par l’Assemblée générale. Toutes les autres le sont par le Conseil de sécurité. Les bases doctrinales de la FUNU sont comprises dans une série de résolutions adoptées par l’Assemblée générale entre le 1er et le 7 novembre 1956. Ce type d’opération multinationale d’interposition armée sous commandement internationale est sans précédent. Les expériences de la Société des nations (SDN) sont peu utiles pour le Secrétaire général Hammarskjöld. A Suez, presque tout est à inventer. C’est l’ONUST en Israël-Palestine qui est appelé en renfort avec le transfert du commandant de cette mission, le général canadien ELM Burns, et un groupe d’observateurs vers l’Egypte.

Les OMP et l’incontournable consentement des parties

A New-York, l’équipe du Secrétaire général arrive à trouver une entente avec l’Egypte pour le déploiement d’une force composée d’à peu près 6 000 soldats provenant de 10 pays : Brésil, Canada, Colombie, Danemark, Finlande, Inde, Indonésie, Norvège, Suède et Yougoslavie. Une fois la constitution de l’état-major de la FUNU terminée, les observateurs de l’ONUST repartent à Jérusalem mais le général Burns reste commandant de la nouvelle Force d’urgence. La décision de faire porter un béret ou un casque bleu aux soldats de la FUNU provient de la similitude entre les uniformes britanniques et canadiens. Le casque bleu a pour but d’éviter que les soldats canadiens de la Force d’urgence ne soient pris pour des soldats britanniques par les Egyptiens. Le casque bleu est depuis cette date devenue une des « marques de commerce » de l’ONU. La FUNU implique le consentement de l’Etat hôte, l’Egypte, à la présence des soldats de la paix mais également celui des Etats qui fournissent ces mêmes soldats. D’où les négociations de Dag Hammarskjöld avec le gouvernement égyptien sur un Accord de bonne foi et sur le Statut de la Force. Le premier document assure l’Egypte du respect de sa souveraineté par l’ONU tandis que le deuxième document rassure les Etats contributeurs sur la sécurité de leurs soldats.

L’impact durable de la FUNU sur les OMP

Le consentement des parties est le premier des trois principes de fonctionnement du maintien de la paix traditionnel. Les deux autres sont l’impartialité et le non recours à la force sauf en cas de légitime défense par les casques bleus. Ces trois principes forment la « sainte trinité » du maintien de la paix depuis 1956. La publication de la Doctrine fondamentale par le Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP) du Secrétariat de l’ONU en mars 2008 réitère l’importance du respect de ces trois principes en élargissant tout de même le droit d’utiliser la force par les soldats de la paix à la défense du mandat de la mission. La FUNU sert donc de modèle à toutes les OMP depuis 1956 malgré des caractéristiques loin d’être généralisables. En effet, peu d’opérations se déroulent avec une aussi grande collaboration que celle de l’Egypte pour effectuer des tâches aussi claires que la séparation des forces et dans un environnement aussi facile à surveiller que le désert du Sinaï [3]. La situation dans l’ex-Congo belge en 1960 le démontre de façon extrême.

II. La difficile consolidation des acquis

L’indépendance bâclée du Congo belge

Lors de l’indépendance le 30 juin 1960, l’ex-Congo belge compte environ 14 millions d’habitants mais seulement 17 diplômés de l’enseignement supérieur et aucun médecin, avocat ou ingénieur. C’est un pays immense de 2 345 000 km2 (approximativement la même superficie que l’Europe occidentale) situé au centre du continent africain et très riche en minéraux et en matières premières. Tous les hauts fonctionnaires et les officiers de l’armée sont belges et le pays compte 70 groupes ethniques divisés en plusieurs tribus. C’est cette mauvaise préparation de l’indépendance par les Belges qui entraîne des troubles à la grandeur du pays et l’intervention de l’ONU. En juillet 1960, le Congo fait appel à l’ONU pour forcer les militaires belges à quitter son territoire et pour l’aider à rétablir l’ordre public.

La controversée Opération des Nations Unies au Congo

La détérioration de la situation au Congo se produit à un moment de grande effervescence dans les relations internationales. D’une part, l’Afrique et l’Asie sont en pleine période de décolonisation marquée par une rancœur à l’encontre des États européens et dans certains cas de leurs alliés occidentaux comme l’Australie, le Canada ou les États-Unis et d’autre part, une période de tension entre Américains et Soviétiques qui culmine avec les crises du mur de Berlin en 1961 et celle des missiles de Cuba en 1962. L’ex-Congo belge est un de ces terrains d’affrontement politico-idéologique qui a occasionné des problèmes financiers, opérationnels et politiques à l’Opération des Nations Unies au Congo (ONUC). Les rivalités au sein du Conseil de Sécurité et de l’Assemblée générale expliquent d’ailleurs l’ambiguïté du mandat initial de la mission mais aussi l’évolution graduelle de celui-ci vers l’autorisation d’une plus grande utilisation de la force par les casques bleus. Pourtant, dans son rapport sur la mise en application de la Résolution 143 (1960), Dag Hammarskjöld énonce les principes devant régir les activités de la Force des Nations unies au Congo parmi lesquels la non-utilisation de la force, sauf en cas de légitime défense, et la non-intervention dans les affaires internes du pays soit pour faire prévaloir une solution ou pour influencer un équilibre politique décisif pour une solution au conflit.

Le traumatisme de l’ONUC

Si le premier mandat de l’ONUC en fait une opération de maintien de la paix traditionnel reposant sur le respect des trois principes énoncés dans le cadre de la FUNU, l’évolution de la situation sur le terrain rend rapidement cette approche intenable pour les casques bleus. C’est l’incapacité des Congolais à régler pacifiquement leurs différends et l’ingérence étrangère qui entraîne l’ONUC vers l’utilisation de la force armée. Le mandat de la mission évolue vers la sauvegarde de l’intégrité territoriale et l’indépendance du Congo. Avec l’arrivée d’avions de combat éthiopiens, indiens et suédois et le déclenchement d’opérations militaires au sol à partir de l’automne 1961, l’ONUC prend la forme d’une mission d’imposition de la paix (peace enforcement). L’ONUC est de fait la première opération à entraîner l’ONU vers une « dérive de sa mission » (mission creep), un phénomène qui se reproduira au cours des années 1990 en Somalie et en ex-Yougoslavie et qui a pour effet de brouiller les repères entre le maintien de la paix et l’imposition de la paix. L’ONUC est non seulement la première mission à utiliser la force mais elle est la seule à avoir indirectement causé la mort du Secrétaire général de l’ONU. Ce dernier périt dans l’écrasement de son avion en route pour la province sécessionniste du Katanga en septembre 1961.

La mise en veilleuse du maintien de la paix

L’ONUC permet d’assurer l’intégrité territoriale du Congo en réduisant les velléités sécessionnistes de la province du Katanga. Toutefois la mort de 250 membres civils et militaires de la mission et de très nombreux Congolais, ainsi que la crise financière que traverse l’ONUC, ont un impact quasi immédiat sur les Nations Unies. Après la création de la United Nations Force in Cyprus (UNFICYP) en mars 1964, l’ONU cesse pour presque dix ans de lancer des OMP. Cette longue pause est la première crise du maintien de la paix. La deuxième a lieu en 1995 à la suite des fiascos de Bosnie, du Rwanda et de Somalie. En plus de mettre un terme de façon temporaire aux OMP, le choc causé par l’ONUC a pour effet d’éloigner de l’Afrique presque tous les intervenants extérieurs. L’ONU n’y revient qu’en 1989 pour assister la Namibie vers son indépendance. C’est au Moyen-Orient que l’ONU effectue son grand retour en octobre 1973 lorsqu’elle crée la FUNU II pour séparer les forces égyptiennes et israéliennes. Dans le Sinaï, c’est un retour à la case départ pour les casques bleus et de nouvelles possibilités pour les OMP. Deux autres opérations sont aussi mises en place au Moyen-Orient au cours de la décennie 1970 dont une au Liban qui voit la France participer au maintien de la paix avec, pour la première fois, des bataillons d’infanterie.

La Détente et le renouveau du maintien de la paix

Au Moyen-Orient, Israël et ses voisins arabes entrent en guerre pour une quatrième fois le 6 octobre 1973. C’est la guerre du Yom Kippour, la guerre du Ramadan ou la guerre d’octobre. Ce conflit se déroule à l’apogée de la Détente, cette période d’apaisement dans les relations entre les Etats-Unis et l’URSS qui a débuté en 1963, après la crise des missiles à Cuba (1962). Parmi les règles implicites de la Détente, l’exclusion du conflit direct entre les deux superpuissances et la gestion des crises pouvant les entraîner dans un conflit ouvert. Le Moyen-Orient est depuis 1945 un espace régional belligène pouvant justement avoir un effet d’entrainement sur les deux superpuissances, d’où l’implication récurrente de l’ONU dans la région. Il n’est donc pas surprenant que la guerre d’octobre ait conduit le Conseil de Sécurité à mettre sur pied la FUNU II. C’est aussi le réchauffement des relations entre Américains et Soviétiques qui permet de doter l’ONU d’un budget dédié aux OMP.

Un budget pour les OMP

La naissance improvisée et controversée du maintien de la paix en 1956 a posé de graves problèmes à l’ONU. Puisque le statut légal de la FUNU (et des opérations qui suivront) n’a jamais été complètement clarifié, son financement et celui de toutes les OMP jusqu’à la FUNU II en 1973 ont entraîné des débats houleux entre les États membres. Jusqu’en 1973, l’URSS est opposée au financement des OMP car elle considère qu’il s’agit d’un outil qui sert les intérêts des Occidentaux. Avec le quatrième conflit entre Israël et ses voisins, ce n’est plus le cas. C’est pourquoi l’Assem¬blée générale peut, par sa Résolution 3 101 (XXVIII) du 11 décembre 1973, créer un budget pour les opérations de maintien de la paix (paragraphe 2) en identifiant quatre catégories de pays contributeurs au budget : Groupe A (cinq membres permanents du Conseil de Sécurité) ; Groupe B (pays déve¬loppés) ; Groupe C (pays en développement les plus riches) ; Groupe D (pays les plus pauvres). À partir de décembre 1973, toutes les OMP sont financées par le « budget du maintien de la paix ». Il existe donc depuis cette date deux budgets de l’ONU : le budget ordinaire et le budget des OMP. Dans les années 2000 et 2010, le budget des OMP est devenu plus important que le budget ordinaire. Il est à noter que les deux budgets ont toujours des arriérés de paiements importants [4].

III. Des exigences trop élevées ?

La fin de la Guerre froide et les OMP

La dépendance du maintien de la paix onusien à l’égard des évolutions géopolitiques mondiales est démontrée une fois encore vers la fin des années 1980. Les difficultés économiques qui affaiblissent l’URSS incitent le gouvernement de Moscou à se montrer coopératif. Le but est ici d’atténuer les tensions avec les Etats-Unis afin de réduire le budget de la défense. Une des façons pour les Soviétiques de démontrer leur bonne volonté est de mettre en avant le rôle positif joué par les Nations Unies. Cela conduit indirectement à la remise du prix Nobel pour la Paix aux casques bleus à l’automne 1988. L’attitude positive de Moscou a également pour effet de permettre à l’ONU d’assister la Namibie vers son indépendance. Si le Groupe d’assistance des Nations Unies pour la période de transition (GANUPT) est un succès sans précédent, c’est en effet grâce à la bonne volonté des Soviétiques, qui se sont retirés d’Angola, et des Sud-africains. La mise sur pied de la mission en Namibie en 1989 marque un tournant dans les OMP puisque pour la première fois, l’ONU met sur pied une opération volontairement multifonctionnelle. La présence d’une radio communiquant sur les buts de la mission est un précédent repris dans pratiquement toutes les OMP multifonctionnelles qui suivent.

Les difficiles années 1990

Le succès de la mission en Namibie et la Guerre du Golfe en janvier 1991 ont un effet quasi direct sur le maintien de la paix. Un « nouvel ordre international » respectueux du droit est enfin possible et l’ONU doit y jouer un rôle central. C’est pourquoi le Conseil de Sécurité se réunit le 31 janvier 1992 au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement pour demander au nouveau Secrétaire général d’origine égyptienne, Boutros Boutros-Ghali, d’élaborer un document pouvant servir de doctrine pour les opérations futures de l’organisation. Le 17 juin 1992, le Secrétaire général publie son rapport intitulé « Agenda pour la paix ». Reflétant l’euphorie du moment, le document s’avère trop ambitieux pour les possibilités réelles des relations internationales. L’ONU met quatre ans à s’apercevoir de son erreur. De 1992 à 1995, les casques bleus sont déployés au Cambodge, en ex-Yougoslavie, en Somalie et au Rwanda. A l’exception du Cambodge qui est un demi-succès, les autres opérations sont des fiascos. Boutros Boutros-Ghali écrit dans l’introduction à la troisième édition du volume publié en 1996 par l’ONU et intitulé « Les Casques bleus » que « Les Nations Unies ne peuvent pas maintenir la paix là où il n’y a pas de paix à maintenir ».

Une pause pour les soldats de la paix

L’ONU connaît sa deuxième crise du maintien de la paix en 1995. A la Suite des fiascos de la première moitié des années 1990, les Nations Unies se replient. De 65 000 en novembre 1995, le nombre de personnels en uniforme déployés dans les OMP tombe à 12 000 en janvier 1999. Ce sont les États membres et le personnel du Secrétariat qui poussent l’Organisation, incarnée par le Conseil de Sécurité, vers une plus grande sagesse opérationnelle. Pourtant, après cette accalmie de cinq ans, l’ONU recommence à mettre sur pied des opérations multifonctionnelles ambitieuses de reconstruction de la paix en Afrique (Côte d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Sierra Leone) dans les Caraïbes (Haïti) et en Asie (Timor). En 2017, la majorité des casques bleus sont déployés dans de dangereuses OMP en Afrique comme au Mali, en République centrafricaine et au Sud Soudan. Il leur est dorénavant demandé de « protéger les civils » alors que cela remet en question deux des trois principes de base du maintien de la paix : l’impartialité et l’utilisation minimale de la force.

Doctrine et pratique : la quadrature du cercle ?

Il existe une tendance lourde consistant à adopter des résolutions qui invoquent le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour presque toutes les OMP depuis le début des années 2000. Comme ces résolutions fournissent un mandat à l’ONU, une invocation du Chapitre VII signifie que les casques bleus sont autorisés à utiliser la force pour faire respecter les tâches qui leur sont attribuées. Dans le même temps, le document publié en 2008 par le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) et connu sous le nom de Doctrine fondamentale rappelle la nécessité de respecter les trois principes de base énoncés à partir de la FUNU. Cette contradiction entre la formulation de certaines résolutions adoptées par le Conseil de sécurité et la doctrine officielle de l’ONU a pour effet de créer des frustrations dans la mesure où les Etats qui fournissent des troupes sont réticents à mettre la vie de leurs soldats en danger. Cette situation découle du fait que ce sont les membres du Conseil de sécurité, qui ont peu de soldats déployés sur le terrain, qui décident du contenu des résolutions mais que ce sont d’autres Etats qui doivent mettre en œuvre les résolutions. Sur le terrain, il n’est pas évident pour les soldats de la paix de comprendre quelles sont les règles d’engagement à respecter.

Quel avenir pour le maintien de la paix ?

Malgré les tensions entre la théorie et la pratique un regard sur l’évolution du maintien de la paix depuis 1956 tend à démontrer que son avenir est assuré. Mis à part deux périodes de contraction, une entre 1964 et 1973 et l’autre, plus courte, entre 1995 et 1999, le recours au maintien de la paix par les États membres de l’ONU n’a jamais cessé. De plus, à partir de 1989, les opérations ont connu une évolution qualitative (plus de fonctions) et quantitative (plus de personnel et plus de missions) impressionnante. Ainsi, malgré ses problèmes récurrents, le maintien de la paix reste dans le court et moyen termes un des instruments de prédilection pour gérer les conflits internationaux. Ceci signifie que le maintien de la paix du XXIe siècle continue d’être marqué par l’importance des États comme acteurs centraux des relations internationales. En revanche, il est important de comprendre que la défense de l’intérêt national n’a pas disparu et que les gouvernements hésitent encore à envoyer leurs soldats dans des missions de l’ONU où leurs intérêts ne sont pas en jeu.

Les 15 opérations de maintien de la paix en cours fin 2017
Cette carte des opérations de maintien de la paix en cours est extraite du site de l’ONU http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/current.shtml Consultation 29 décembre 2017.

Conclusion

Le politologue canadien Roland Paris identifie trois versions de la géopolitique qui peuvent servir à analyser les Opérations de maintien de la paix : 1) la compétition entre les grandes puissances ou entre les puissances émergentes qui cherchent à contrôler des territoires pour leurs ressources naturelles ou pour leur position géographique ; 2) le rôle des normes constitutives ou les croyances qui génèrent les agents et qui les dotent de capacités et de pouvoir et qui influencent leur identité, leurs intérêts et leurs préférences et 3) la relation entre les structures politiques et la géographie physique ou le rôle des territoires dans l’organisation politique [5]. Selon toute vraisemblance, et n’en déplaise aux constructivistes, ce sont les première et troisième versions qui expliquent le mieux le fonctionnement mais également les limites et les possibilités du maintien de la paix. C’est pourquoi une prise en compte sérieuse des facteurs géographiques et des relations de puissance est une nécessité pour la compréhension de cet outil diplomatique utile mais fragile

 

 

COULON, Jocelyn (2013) Dictionnaire mondial des opérations de paix 1948-2013, Outremont, Athéna Editions.

DURCH, William J. & BERKMAN, Tobias C. (2006) « Définition et délimitation des opérations de paix » in COULON, Jocelyn (dir.), Guide du maintien de la paix 2007, Outremont, Athéna Editions, pp. 17-47.

HATTO, Ronald, Le maintien de la paix : l’ONU en action, Paris, Armand Colin, 2015.

HATTO, Ronald (2015) Du maintien de la paix à la consolidation de la paix : l’évolution du rôle des Nations Unies dans les opérations de paix, Revue Internationale de la Croix Rouge, Vol. 95, No. 890, pp. 25-46.

MACQUEEN, Norrie (2006) Peacekeeping and the International System, Londres, Routledge.

NATIONS UNIES (2008), Opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Principes et Orientations, New York, Département des Opérations de Maintien de la Paix/ Département de l’Appui aux Missions.

NATIONS UNIES (1996) Les casques bleus : les opérations de maintien de la paix, 3ème édition, New York, Département de l’information publique.

RUBINSTEIN, Robert A. (2008) Peacekeeping Under Fire : Culture and Intervention, Boulder, Paradigm Publishers.

Sites internet

Center on International Cooperation http://cic.nyu.edu/topic/peace-operations

International Peace Institute http://www.ipinst.org/

Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix https://dandurand.uqam.ca/centre-francopaix/

Réseau de recherche sur les opérations de paix (ROP) http://www.operationspaix.net/

SourceDiploweb

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