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Gambie : les dernières heures de Jammeh ?

REPORTAGE. Le mandat de Yahya Jammeh, président sortant de la Gambie, a expiré. Il refuse de partir mais son successeur sera investi cet après-midi.

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Ce matin, Banjul semble avoir été touchée par une épidémie. Ou un mystérieux enlèvement de masse. C’est une véritable ville-fantôme. Depuis que les touristes ont été acheminés vers l’aéroport hier, le quartier de Sénégambia, qui abrite les hôtels donnant sur les plages, est vide. Même les restaurants des Libanais, qui ont massivement investi l’économie locale, ont fermé. Les rares Européens que l’on rencontre sont ceux qui vivent ici. « C’est terrible pour l’économie, dit une Anglaise devant le Senegambia Beach Hotel. En plus, moi qui suis ici depuis trente ans, je peux vous dire qu’il y avait beaucoup plus de militaires dans les rues quand cet homme a pris le pouvoir, en 1994. »

Tout commence en 1994

Le 22 juillet 1994, un lieutenant de 29 ans renverse le président Dawda Jawara. Né en 1965 dans une famille de paysans de Kanilai, village du sud de ce tout petit pays, enclave dans le Sénégal et ancienne colonie britannique, il a fait ses classes dans la police militaire. Quand il prend le pouvoir, Jammeh est porté par un élan populaire : Jawara est à la tête du pays depuis 1970 et c’est le premier président que le pays ait connu après son indépendance, en 1965. Il construit des routes, l’aéroport, des écoles, des hôpitaux. Mais le personnel pour y travailler est absent, faute de formation satisfaisante (lui-même se fait soigner aux États-Unis) et surtout, la dérive autocratique glace bientôt le pays. « Les caractéristiques de Jammeh n’ont pas changé depuis l’époque, elles se sont juste amplifiées. Il était imprévisible, frimeur, irrespectueux », décrit Essa Bokarr Sey, ancien ambassadeur à Washington devenu opposant, qui l’a connu dès 1985. En 1996, Yahya Jammeh quitte l’armée et gagne l’élection présidentielle, tout comme en 2001, 2006 et 2011. Mais en 2016, sa chance tourne : le 1er décembre, le pays vote sa sortie et lui donne 39,64 % des voix, contre 43,29 % au candidat de l’opposition coalisée, Adam Barrow. Le 2 décembre, Jammeh reconnaît sa défaite, pour la contester le 9 en dénonçant des irrégularités techniques.

L’attente vaine d’un signe de départ de Jammeh

Hier soir, à minuit, son mandat expirait, mais il n’a donné aucun signe de vouloir passer la main. La Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a bien tenté de lui faire entendre raison, il a refusé toute offre de médiation, y compris celle du président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, venu hier soir et reparti bredouille. Toute la soirée, les Gambiens ont attendu un message de Jammeh, qui aurait annoncé son départ. Il n’est jamais venu. À 23 h 55, Aziz a en effet atterri seul à Dakar où il a rencontré le président Macky Sall et Adam Barrow. Le président élu, réfugié au Sénégal pour raisons de sécurité, n’a même pas pu assister aux obsèques de son fils de 8 ans, Habibou, mordu par un chien en début de semaine. Les tractations se sont poursuivies jusque tard dans la nuit, le président mauritanien transmettant les exigences de Jammeh. Celui-ci a déposé un recours devant la Cour suprême qui s’est dite incapable de statuer, puis a déclaré un état d’urgence et un prolongement de l’Assemblée nationale de 3 mois qui, de jure, prolonge son propre mandat.

L’investiture aura quand même lieu…

« Il fait juste ça pour gagner du temps, mais il n’en a pas le droit, et Barrow sera investi, balaie Halifa Sallah, porte-parole de Barrow. Nous avions prévu d’acheminer des gens de tout le pays dans 1 000 bus, pour organiser une grande cérémonie dans le stade, mais nous avons annulé tout ça pour le moment, jusqu’à ce que le président élu soit au palais présidentiel. Nous allons trouver un autre endroit sur le sol gambien et la cérémonie aura lieu quand le président Barrow sera au palais présidentiel. » « L’autre endroit » est finalement l’ambassade de Dakar, où la cérémonie aura lieu à 16 heures. Dans Banjul, pourtant, on espère toujours. Plus une échoppe ouverte, plus un passant dans les rues, même le ferry a cessé de traverser le fleuve Gambie vers le Sénégal. Les quelques habitants visibles dans les rues sont les chauffeurs de taxi, errant près des hôtels, occupant leur temps entre ablutions avant les prières et conversations débridées, désespérés de ne pas trouver de client, et dans l’incapacité de travailler s’ils n’ont pas été assez prévoyants pour prendre de l’essence hier. Pour qui a connu la Gambie avant l’élection, muselée et terrifiée au point que les habitants évitaient même de nommer le président autocrate au pouvoir depuis 22 ans, leur liberté de ton est incroyable : « Barrow va être investi au stade cet après-midi, c’est sûr, on va y aller », prétend l’un. « Non, ce sera dans un hôtel », dit un autre. « Ce sera à Dakar mais on va tous descendre dans les rues après pour fêter ça. Le peuple n’en peut plus de ce type, il faut qu’il s’en aille, c’est fini. On a un leader, c’est Barrow, c’est tout », clame un troisième.

… en attendant l’intervention militaire ?

Ils semblent ignorer un autre événement qui se prépare, l’intervention militaire menée par les troupes nigérianes, sénégalaises et ghanéennes, sous l’égide de la Cedeao. Cet après-midi, le conseil de Sécurité de l’ONU doit voter un projet de résolution présenté par le Sénégal pour la soutenir. « Nous disons au président Jammeh qu’il vaut mieux qu’il rende le pouvoir, pour que les Gambiens règlent leurs affaires eux-mêmes, à défaut, ce sont des étrangers qui devront s’en charger », reconnaît Halifa Sallah. En face, l’armée gambienne ne pèserait pas plus de 1 000 à 1 500 hommes qui n’ont pas l’expérience du combat. Quant au chef d’état-major gambien, le général Ousman Badjie, il a assuré qu’il n’entraînerait pas ses hommes dans un « combat stupide ». Il semble pourtant que Jammeh, même isolé, au moment où les membres de son gouvernement l’abandonnent peu à peu, soit décidé à ne sortir que par la force. « Je le connais personnellement. Il n’est pas courageux, il est juste buté et irresponsable », assure Essa Bokarr Sey. Que le monde entier se soucie soudain d’un petit pays de 1,9 million d’habitants que les touristes peinent à placer sur la carte n’est finalement pas si étonnant. Selon un diplomate, « un échec, pour la Cedeao, n’est tout simplement pas envisageable. D’autant que pour le Sénégal, c’est impossible de laisser ce genre de situations proliférer dans son arrière-cour. Et pour la Gambie, ce serait le premier changement pacifique. C’est comme gagner son indépendance 50 ans plus tard. » Enfin. Quelle que soit l’issue, la Gambie retient son souffle. Encore une heure.

 PAR LE POINT AFRIQUE

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