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Florence Delon témoigne : «L’Afrique m’a tout apporté»

Dans son livre, Debo Ladde-Madame Brousse, journal de bord d’une infirmière française au Mali (Vérone Editions), Florence Delon témoigne de sa vie au sein d’une famille villageoise, à Fatoma, dans la région de Mopti, entre 2007 et 2012. Installée dans une maison en banco sans aucun confort, elle vit à la malienne. Elle se rapproche du centre de santé communautaire, puis découragée par la corruption qui y règne, elle se tourne vers un Centre de Conseil de Dépistage Volontaire du Sida, avant de s’impliquer dans deux programmes locaux de sensibilisation sur le sida et l’excision. Jour après jour, Florence, la toubabou, dévoile le mode de vie des villageois, sans le juger. Avec pudeur, elle décrit les joies et les difficultés de son quotidien. Elle nous emmène à bord de sa moto d’un village à un autre. Sans jamais renoncer à ses valeurs, Madame Brousse avance. C’est la situation sécuritaire qui oblige Florence à quitter Fatoma pour repartir à regret vivre à Paris où on la rencontre dès qu’il s’agit de son cher Mali.

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Pourquoi avoir écrit un journal de bord ? 

À Fatoma, un village où il n’y avait ni réseau ni électricité, j’avais besoin de communiquer avec ma famille et mes proches. Lorsque j’allais à Sévaré, j’envoyais des mails à chacun, ce qui prenait beaucoup de temps et d’argent car les connexions sont payantes. J’ai donc créé un blog privé sur lequel j’écrivais. Ils pouvaient tous le consulter pour avoir de mes nouvelles. Deux ans plus tard, l’Association Maliflo a créé un site sur lequel le quotidien des actions de l’association et du mien apparaissait. Ce sont tous ces écrits que j’ai retranscrits dans Madame Brousse.

Qu’est-ce que tenir ce journal vous apportait ?

Quoiqu’en Afrique on soit sans arrêt au milieu de tout le monde, la toubabou que j’étais à Fatoma était «seule». Ecrire était une façon de me retrouver avec moi-même, de réfléchir sur ce qui avait été fait, sur la façon dont cela avait été fait, et où cela voulait aboutir. J’ai toujours écrit car quand j’ai des choses à dire aux gens que j’aime, je le fais spontanément par écrit. Ces moments de solitude, de réflexion, me permettaient de retrouver une paix intérieure.

Entre les lignes de Madame Brousse, on sent des non-dits.

En effet, je confie rarement mes états d’âme. Il n’était pas question pour moi d’aborder des points qui concernaient les personnes au milieu desquelles je vivais. J’estimais ne pas en avoir le droit. Mais avant tout, je souhaitais ne pas davantage inquiéter ma famille et mes proches qui ne connaissaient rien du Mali. Ils s’angoissaient suffisamment en écoutant les informations données par les médias. Je ne voulais pas augmenter le souci qu’ils se faisaient pour moi. J’ignore encore aujourd’hui si ce que j’écrivais les rassurait, mais plus tard, quand je suis définitivement retournée en France, mon père m’a dit : «je ne sais toujours pas ce que tu es partie faire là-bas, mais je suis très fier de toi».

Quelles sont les difficultés qui ont été les plus délicates à appréhender ?

La première difficulté a été de me battre contre la corruption, c’est-à-dire garder mes valeurs. C’est à mon retour, en me relisant, que j’ai pris conscience de n’avoir jamais rien lâché face à ce fonctionnement. Ma petite expérience prouve qu’il est possible, malgré tout, de réaliser des projets.

La deuxième a été la solitude. La solitude de vie quand on se retrouve chez soi, seule le soir, dans le noir, face à soi-même. J’ai souvent eu des baisses de moral. Le paradoxe est de m’être sentie seule alors que je vivais en permanence dans la communauté. Le paradoxe est de ne pas avoir apprécié de trouver des gens installés chez moi le soir, alors que je rentrais fatiguée, qu’il faisait très chaud, et que j’avais envie d’être «tranquille» pour me reposer. C’était un peu étouffant pour moi, comme pour tous les Européens, je crois. Mais, je me suis adaptée, sans juger, et sans avoir jamais renoncé à ce que j’étais. C’est probablement pour cela que j’ai été respectée à Fatoma.

L’autre solitude s’inscrit dans le cadre des actions à mener. Pour prévoir, planifier, je me sentais très seule, car au Mali, la plupart des gens ne savent pas se projeter dans l’avenir. Quant aux  «non-dits» que le lecteur peut percevoir entre les lignes, je n’ai effectivement rien écrit sur ce qui était lié à ma sécurité personnelle.

À votre retour en France, quelles ont été vos réactions en parcourant l’ensemble de vos notes ? 

À la relecture, je suis passée des larmes aux rires. Tous les instants de ma vie resurgissaient, et je savais lire entre les lignes. Je me suis beaucoup interrogée avant de me décider à publier mes notes sous forme de livre. Avais-je le droit de divulguer certaines de mes remarques ?

Comment passe-t-on d’un journal de bord à un livre destiné à être lu par des inconnus ? 

Je ne voulais pas donner une image négative du Mali, ce qui n’est pas facile lorsque, par exemple, on aborde la question de l’excision. Des Maliens, qui avaient lu mes notes, m’ont dit qu’ils avaient appris beaucoup de choses sur la vie en brousse qu’eux-mêmes ignoraient. Ce sont des remarques comme celle-ci qui m’ont finalement incitée à publier. Madame Brousse est le témoignage de mon expérience.

Madame Brousse a maintenant quelques mois de vie publique. Qui sont vos lecteurs ? Qu’en pensent-ils ?

Les interviews et conférences que j’ai données ont été partagées sur les réseaux sociaux, cela a permis à beaucoup de Maliens, à d’autres Africains, et à des Occidentaux de prendre connaissance de la sortie du livre. Les lecteurs m’écrivent pour me donner leur avis. Dans l’ensemble, ils apprécient le témoignage, l’insolite de l’expérience. Certains m’interrogent sur la façon de participer aux projets déjà mis en œuvre localement.

Votre expérience peut-elle être qualifiée d’humanitaire ?

Je ne suis pas partie pour apporter une aide humanitaire aux gens. Je ne me suis jamais prise pour celle qui savait face à des gens qui ne savaient rien. C’est l’Afrique qui m’a tout apporté. Si je n’avais pas passé ces années en brousse, je ne serais pas capable de croire en moi comme je crois en moi maintenant. Quand je pense être arrivée au bout de mes propres limites aujourd’hui, je sais rebondir, et ça c’est l’Afrique qui me l’a appris.

Madame Brousse est-il disponible au Mali ?

Les librairies peuvent commander le livre, mais le prix d’achat est malheureusement très élevé pour le Malien lambda. Le téléchargement sur le site de Hachette est un peu plus abordable.

En conclusion, quels sont vos plus grands souhaits pour Madame Brousse ?

Je voudrais d’une part que ce témoignage permette aux gens de comprendre qu’en partant de rien, on peut réussir si on le fait avec la sincérité de son cœur. D’autre part, je souhaite que Madame Brousse aide les gens à ne pas juger l’autre. On doit chercher à connaître l’autre, et le respecter par ce qu’il est lui. C’est la démarche que je pense avoir eu envers les villageois avec lesquels je vivais à Fatoma, malgré mes erreurs. C’est la démarche qu’ils ont eu à mon égard, moi la toubabou. Je les en remercie. J’en suis sortie grandie humainement.

Françoise WASSERVOGEL

Source: Le Reporter

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