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EXCLUSIF: ADP-Maliba: les véritables raisons de la crise interne

Pour beaucoup de personnes qui découvrent la situation au sein de l’ADP-Maliba, la surprise est totale. Amadou Thiam et Aliou Diallo, deux compagnons de longue date, qui se déchirent sur les réseaux sociaux au point d’aboutir à l’exclusion du parti du premier par le second. Nombreuses sont les personnes qui tentent d’expliquer cette brouille par les derniers événements du 5 Avril et ceux consécutifs à la montée d’Amadou Thiam à Koulouba pour recevoir le projet de révision constitutionnelle des mains d’Ibrahim Boubacar Keita. A notre rédaction, nous avons poussé nos recherches plus loin pour découvrir que la profondeur de la crise remonte bien au-delà de ce que la plupart des observateurs pensent. Récit long mais palpitant d’une histoire trouble faite de trahison, de déception et d’un savant jeu de dupe.

Tout commence en 2017, au tout début de la contestation du projet de révision constitutionnelle initié par le président malien Ibrahim Boubacar Keita. A l’époque, Aliou Diallo, ulcéré par l’idée d’une réforme constitutionnelle alors que l’insécurité est incontrôlable, pèse de tout son poids, avec certains cadres de l’ADP-Maliba, pour que le parti s’assume et prenne les devants de la contestation. Amadou Thiam, alors fraîchement couronné de l’auréole du Député ayant renoncé à tout pour rejoindre l’opposition, est encouragé à multiplier les démarches pour que l’ADP-Maliba soit partie prenante de la contestation.

La tâche ne s’annonce pas simple car les jeunes activistes qui se mobilisent ne veulent d’aucun politique à leur tête. Dans l’opposition de l’époque, on négocie pour que les politiques ne soient pas à l’écart. La formule est trouvée pour que le seul représentant des partis politiques dans le bureau du mouvement Ante A Bana soit l’ADP-Maliba. C’est ainsi qu’Amadou Thiam et Cheick Oumar Diallo, les deux jeunes de confiance d’Aliou Diallo, rejoignent le mouvement dirigé par Mme Sy Kadiatou Sow.

Très vite, certaines figures de l’opposition malienne sont satisfaites de la 1ère vice-présidence d’Amadou Thiam. Ils pensent tenir là un jeune docile et malléable à souhait. Et ils ne se trompent pas. Le Député de la Commune 5 est sous le charme de Soumaila Cissé. Au sortir de chacune de ses rencontres où il va rendre compte aux autres acteurs politiques, le jeune homme semble émerveillé par le parcours de Soumaila Cissé. Thiam, alors au centre de toutes les attentions, croit venue son heure d’exister au milieu de ses paires “chefs de parti”. Il prend la grosse tête et cela se voit. Il ne veut pas en même temps décevoir le chef de file de l’opposition.

Au summum de la crise, c’est au tour de certains barons de la majorité de l’approcher et de l’écouter quasi-religieusement. Il se sent tellement important qu’un jour, en privé, il se met à se croire un destin présidentiel “si seulement on parvenait à repousser l’élection d’une année”.

Sentant l’aubaine, des ténors de l’opposition ne le découragent pas et lui font même miroiter un avenir radieux. “Ils lui ont fait comprendre que cette contestation affaiblirait tellement le Président IBK qu’il n’aurait aucune chance de remporter la présidentielle de 2018”, révèle un acteur bien informé. On tente alors de le mettre en porte-à-faux avec Aliou Diallo en lui répétant à souhait que ce dernier ne serait jamais candidat et qu’il ne ferait que ralentir l’ascension fulgurante de ce jeune loup aux longues dents. Amadou Thiam se laisse convaincre par cette théorie et commence à se rapprocher de L’URD au point d’affaiblir son propre parti.

A l’époque, les observateurs prédisent d’ailleurs son virage au parti de la poignée de main. Le concept de l’alternance et tout le tapage qui en suit finissent par convaincre Thiam que son mentor, Aliou Diallo doit “revenir à la raison et reconnaître la force de Soumaila Cissé”. C’est ainsi que le parti est abandonné à lui-même. Les rencontre du bureau dirigeant de l’ADP-Maliba ne se tiennent plus que tous les cinq mois alors que l’Honorable contestataire participe quotidiennement aux réunions de l’opposition au cabinet du Chef de file qu’est Soumaila Cissé. Aliou Diallo et les principaux cadres s’en inquiètent et le lui font savoir. “Le Président d’honneur lui a rappelé qu’à la sortie de l’ADP-Maliba de la majorité, le parti avait clairement dit ne pas se reconnaître dans l’opposition dirigée par le chef de file”, nous confirme une autre source. Mais Amadou Thiam n’en a que faire. Il ne reste plus que quelques mois avant “la victoire de l’opposition” et il veut en faire partie.

Lorsque germe l’idée de la candidature de son mentor, Amadou Thiam n’hésite pas à botter en touche. “Vous ne le connaissez pas, il ne sera pas candidat”, dit-il à plusieurs de ses visiteurs avant d’enchaîner, “Aliou ne connait rien à la politique et il n’est même pas connu”. Thiam veut se défaire de celui à qui il doit pourtant tout et demande même de penser plus à 2023 qu’à 2018. Ces arguments sont ceux qui lui ont été soufflés par ses amis de l’opposition de l’époque: l’alternance l’emportera sans difficulté mais ce n’est pas avec l’ADP-Maliba en tête. Il est dans sa bulle et s’y enferme. Aussi bien Aliou Diallo que la majorité des cadres du parti le sentent et cela agace. Amadou Thiam ne croira à la candidature d’Aliou Diallo que lorsque la conférence nationale d’investiture se tiendra à Nioro du Sahel le 11 Mars 2018. Et même là-bas, il est plus que jamais aux petits soins pour Soumaila Cissé qui assiste à l’événement.

Lorsque les fils du Cherif de Nioro font comprendre que leur père devrait soutenir Aliou Diallo, le Président de l’ADP-Maliba doute mais n’y croit toujours pas. Résultat, le 30 Avril suivant, Amadou Thiam se rend au Palais de la Culture sans consulter personne pour signer la “Coalition pour l’alternance et le changement”. Simplement prendra-t-il le soin formel “d’informer” son candidat. C’est ce pacte qui vaudra ensuite à Aliou Diallo d’être traité de tous les noms par le camp de Soumaila Cissé. Et pour cause, qui croirait qu’Amadou Thiam pourrait signer une telle alliance sans en avoir largement discuté du sujet avec son candidat. Et pourtant.

Déçu, se sentant floué et comprenant que le Président de son propre parti croit plus aux chances d’un autre qu’aux siennes, le candidat nouvellement investi se met à réfléchir à la composition de son équipe de campagne. Aliou Diallo finit par se résoudre à choisir un directeur de campagne hors de son parti provoquant quasi-automatiquement la colère noire de Thiam. Ce dernier se met à combattre ce choix secrètement tout en faisant croire publiquement qu’il ne demande rien.

Les germes de la discorde s’installent définitivement lorsque Thiam tente d’imposer à tous les postes “juteux” du directoire des personnes qui lui sont redevables. Même l’équipe de consultants français recrutés par le candidat pour professionnaliser la campagne sont dénigrés par le nouveau “co-directeur” de campagne. “Soumi doit et va gagner, Aliou n’a qu’à nous enrichir”, semble être le slogan s’opposant à “la nouvelle indépendance” du candidat de l’ADP-Maliba.

La campagne se prépare dans cette ambiance de méfiance. Mais Aliou Diallo a plus d’un tour dans son sac. Dans un retournement de situation propre à Nioro du Sahel, la veille de l’ouverture de la campagne, le Cherif annonce avec fracas son soutien à Aliou Diallo. Amadou Thiam change subitement de comportement et joue soudain au soutien de la première heure. En privé il rêve déjà à moitié: Aliou, Président, c’est vraiment possible? Il opère alors son premier grand revirement et laisse Soumaila Cissé sur le carreau sans pour autant l’abandonner. Le boulanger de la Commune 5 est à l’œuvre.

Pendant toute cette campagne, Amadou Thiam oublie son rôle de directeur de campagne et devient le frère siamois d’Aliou Diallo. Il veut être vu partout avec celui qui “pourrait bien être président”. Il souhaite incarner le dauphin. Il aime les titres et le prestige. C’est dans la dernière semaine, lorsqu’il comprend qu’il a mal géré la campagne qu’il rétropédale. “Nous serons heureux si nous sommes 4e ou 5e”, dit-il à des militants médusés par ses propos. Et il y croit dur comme fer. Son espoir continue à reposer sur Soumaila Cissé jusqu’au score de 40 à 17 en faveur d’IBK. Là c’est la douche froide. Il faut rebondir vite.

Amadou Thiam tente une dernière fois d’obtenir le ralliement d’Aliou Diallo à Soumaila Cissé mais ce dernier pense qu’il ne faut pas donner de consigne vu que le résultat est frauduleux. “Il faut boycotter le second tour”, dira le candidat déclaré troisième. Réponse de Thiam: “Allons à l’essentiel et formons un front!”.

Pour un candidat qui s’attendait à la mobilisation de l’ADP pour défendre son score, la douche de Thiam est très froide. Ce que l’on ne sait pas c’est que parallèlement à ces discours de façade, Amadou Thiam se rapproche des barons de la majorité pour comprendre leur état d’esprit. Il veut à tout prix trouver un point de chute car tout risque de s’effondrer sur lui. Aliou Diallo a découvert ses penchants versatiles, Soumaila Cissé comprend l’étendue de sa supercherie et il n’a pas de base politique solide en commune 5.

Le “co-directeur” de campagne opère alors son troisième revirement. Il approche la majorité pour faire croire qu’il est l’artisan de l’absence de consignes au second tour. A partir de cet instant, Amadou Thiam utilisera chaque déclaration de son candidat pour justifier son rapprochement avec la majorité. Même le discours du 22 Septembre passe pour l’acceptation de “la main tendue”. Aliou Diallo clarifie pourtant sa pensée quand la polémique débute. “L’ADP-Maliba n’a de place dans un gouvernement IBK que s’il y a dialogue national et même là il faudra que le parti ne soit pas un figurant. Le parti doit être au cœur de ce qui empêchera le vol du vote des maliens et la mauvaise gouvernance”, révélera-t-il sur une radio de la place.

Mais pour Thiam cela suffit pour justifier son entrée au gouvernement. D’autant plus qu’il sent depuis quelque jours que les relations entre lui et Diallo commencent à tourner au vinaigre. Il lui faut trouver le moyen de quitter Diallo avant que celui-ci ne le quitte. Il négocie son alliance avec le RPM en Commune 5 mais trouve face à lui Moussa Timbine qui ne veut plus entendre parler de lui. Pareil au niveau de l’URD. A présent, c’est tout décidé, s’il ne peut plus être élu, il sera nommé.

Et voilà que commence son compagnonnage avec la majorité présidentielle. Il rejette toutes les initiatives qui peuvent heurter le pouvoir malien. Fait la sourde oreille aux mises en garde de son mentor et met en veilleuse le bureau dirigeant de l’ADP-Maliba. Objectif: avant qu’il ne soit trop tard, il faut entrer à tout prix dans un futur gouvernement. N’en déplaise à Aliou Diallo avec lequel, de toute façon, il ne voit plus d’avenir commun. Il est encouragé dans cette démarche par son secrétaire général, Sory Traoré, qui est catégorique. L’ADP-Maliba ne fera pas cinq années supplémentaires dans l’opposition. Et le parti? “Aliou ne peut pas nous éjecter car tu es le Président”, lui dit-il.

Face à ce bras de fer, Aliou Diallo reste imperturbable. Ils finiront bien par faire une erreur. Il commence par brandir une reconnaissance de dette de 800 millions de FCFA qu’Amadou Thiam et Sory Traoré signent sans broncher, espérant gagner du temps avant leur “nomination”. Vient ensuite un acte notarié pour exiger que des comptes soient rendus sur les démarches solitaires entreprises par les deux “rebelles”. Les deux rouspètent et crie à “l’esclavage politique” là où Aliou Diallo tente simplement de freiner la “folie des grandeurs” de ses anciens protégés.

Le Président d’honneur organise alors une rencontre décisive à sa villa de Badalabougou durant laquelle il prend à témoin tous les cadres du CE pour demander à ses anciens protégés de ne pas “enterrer le parti”. Les deux n’en ont que faire et persistent. Leur décision est prise. La suite est connue. Amadou Thiam se braque et refuse de faire participer officiellement l’ADP-Maliba aussi bien au meeting du 10 Février qu’à la marche du 5 Avril. La rupture est désormais consommée.

En fin stratège, Aliou Diallo ne dira pas son dernier mot. Profitant de la faille juridique de la fin de mandat du Comité Exécutif de son parti, il fera constater cela par voie d’huissier et enclenchera une procédure judiciaire pour reprendre en main son parti. Une première médiation des députés est engagée. Amadou Thiam présente des excuses qui lui sont tirées du nez mais il persiste dans sa voie. Une deuxième médiation des coordinateurs régionaux échoue elle aussi à ramener les “rebelles” à la raison.

Finalement, le 16 Avril, excédés par leurs agissements, l’écrasante majorité des cadres emboîtent le pas et demandent dans une déclaration publique à Amadou Thiam et Sory Traoré d’arrêter leur plongée solitaire en abandonnant la direction du parti. Aliou Diallo remporte la Manche politique mais aussi celle judiciaire puisqu’un tribunal abonde dans le même sens et déclare caduc le mandat d’Amadou Thiam et Sory Traoré.

Totalement esseulés, ils se jettent à corps perdu vers IBK. Le Figaro du Mali révèle une rencontre secrète entre Amadou Thiam et Moustapha Ben Barka, le Secrétaire Général de la Présidence. Le sujet: probablement l’entrée au gouvernement. Amadou Thiam est à présent parrainé par Soumeylou Boubeye Maïga qui se sent redevable envers ce jeune qui a trahit les siens.

La riposte de l’ADP-Maliba ne se fait pas attendre. Le parti dévoile un document du 30 Avril excluant Thiam et Traoré du parti ainsi qu’un communiqué sans équivoque qui rejette toute participation du parti au gouvernement de Boubou Cissé. L’étau se resserre autour d’Amadou Thiam qui part à la rencontre de tous les barons qui souhaitent avec plaisir voir ce jeune loup, autrefois hautain, les supplier de l’aider.

Très isolé politiquement et ne pouvant plus officiellement rejoindre un quelconque parti, Amadou Thiam et son acolyte Sory Traoré ont choisi, de façon surprenante, de s’accrocher au parti qu’ils étaient pourtant prêts à trahir. Ils savent que, sans base politique, ils ne sont rien. Mais au sein du parti, la page est tournée depuis longtemps. L’ADP-Maliba se réorganise pour constituer un groupe parlementaire et pour élire une nouvelle direction du parti. On évoque un Congrès extraordinaire dans les prochaines semaines.

Ironie du sort, Amadou Thiam sera finalement nommé à la tête du département qui est le point de départ de sa brouille avec Aliou Diallo et le parti: la révision constitutionnelle. Une manière aussi pour IBK de donner une leçon de vie à Amadou Thiam qui était prêt à se servir de la même révision constitutionnelle pour porter Soumaila Cissé au pouvoir (contre son propre candidat) et qui, aujourd’hui, défendra ce même projet pour asseoir le pouvoir d’IBK.

Jean-Paul Castolin
Rédacteur en chef de la Gazette du Mali

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