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Drames de l’émigration illégale : Indignons-nous et agissons !

Près de 800 morts probables dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 avril ! Plus de 1 600 morts depuis le début de l’année 2015 (données UNHCR) ! Plusieurs milliers d’autres de nos frères, sœurs, enfants, maris, disparus dans l’anonymat d’embarcations de fortune, empruntées à deux, trois ou par dizaine de personnes non recensées !

Combien d’autres dans le désert, morts de faim, de soif, quelques fois assassinés après avoir été volés ou simplement abandonnés par des passeurs sans foi ni loi? Combien de vies détruites, combien de femmes et souvent de jeunes filles violées, d’enfants perdus à jamais après avoir vécu l’enfer? Combien d’espoirs brisés, de potentiels perdus, d’intelligences gâchées, de bras valides et d’énergies qui manqueront à l’Afrique et à chacun de nos pays

Depuis plus d’une décennie, on assiste à une véritable hécatombe, malheureusement dans le silence. Le continent, à travers plusieurs de ses pays dont le Mali, perd ainsi ses enfants par milliers en quête d’un mieux être au risque d’y perdre la vie, sans que cela fasse autant la une de la presse que d’autres faits sans doute moins graves mais plus médiatiques. Nous sommes de temps en temps interpellés quand le drame quotidien revêt un caractère tragique comme cela fut malheureusement le cas le weekend dernier. Nous commençons ainsi à mieux apprécier le courage et le sens de la responsabilité du Pape François quand il interpellait les européens ou encore le sens de la solidarité du Secrétaire Général de l’ONU, Ban KI MOON, quand il lance un appel aux pays riches pour les conjurer de partager les efforts de secours aux migrants. Nous accueillons avec espoir la réaction de l’Union Européenne qui a décidé d’organiser un sommet de ses dirigeants le jeudi 23 avril avec en perspective, des mesures vigoureuses de court, moyen et long termes pour mieux prendre en charge cette problématique.

Mais et nous ?

Nous l’Afrique ? Nous l’Afrique de l’Ouest ? Nous les pays du pourtour sahélien ? Nous le Mali ? Ne devrons-nous pas faire quelque chose ? Ne pouvons- nous pas faire quelque chose ?

Il est incontestable que la question de l’émigration est épineuse pour les pays comme le Mali comme pour d’autres. Elle pose des défis complexes à relever et emprunte de nombreux visages qu’il n’est pas facile d’appréhender pour mieux la gérer.  D’abord le problème du développement et de la quête de prospérité et de bien être pour tout être humain. Ce qui est bien compréhensible. D’un côté il y a la pauvreté, non pas celle des chiffres mais une réalité extrêmement violente à laquelle font face nos parents. Par exemple, dans un village comme Kremis, pourtant pas le moins loti du cercle de Yelimané, il y a très peu d’espoir de récolter ce qu’on sème en raison de la sécheresse, des criquets ou des oiseaux granivores qui se concurrencent pour emporter le peu de pieds de mils, ou non moins décimés par l’absence d’eau. Les femmes n’y connaissent que peu le maraichage, il est vrai que pour avoir de l’eau il faut soit creuser 150 mètres (encore que !) ou marcher quelques kilomètres.

Ce village comme beaucoup d’autres ont enterré de nombreuses mères, décédées en couche sans pouvoir accéder à un centre de santé mieux pourvu qu’un CSCOM, distant de seulement 45 kilomètres qu’il est impossible de parcourir en moins d’une journée du fait de l’état de la voie d’accès. De l’autre côté il y a l’opulence et la richesse, celle qu’on voit à la télé, celle qui est aussi perceptible à travers le secours de nos frères qui la côtoient et qui font que des pans entiers de nos pays tiennent encore. Quand le cousin de la diaspora nous envoie de quoi subvenir à nos besoins, quand il participe à la construction d’équipements collectifs, quand il fait l’objet de toutes les attentions à son passage au village, notre opinion est faite qu’il faut partir ! Partir pour être comme lui, partir pour quitter l’assistanat. Partir pour être respecté et donc exister ! Quitte à tout risquer.

Il y a ensuite la faiblesse des Etats et leur incapacité à faire face, seuls, aux dispositifs et aux systèmes mis en place pour contourner la légalité. De véritables mafias se sont constituées pour profiter du désespoir des populations, mettre leur vie en danger à leur seul et unique profit. La source de ces organisations se trouve quelques fois au coeur de nos appareils étatiques. La grande étendue des zones et couloirs empruntés par les passeurs, aussi bien dans le désert que sur la mer, complique la tâche de ceux qui doivent combattre ces maux. Il faut reconnaitre que le problème libyen ne facilite pas la lutte car, dans ce pays, l’Etat est entrain de disparaître mettant le territoire libyen à la disposition de nombreuses forces du mal dont les passeurs.

Les difficultés politiques et sécuritaires perceptibles ici ou là, au gré des conflits (Syrie, Somalie, etc.), la persistance de l’insécurité dans de nombreux pays, la multiplication de crises alimentaires, humanitaires, mais également l’absence de perspectives dans de nombreux pays sont des motifs sérieux et légitimes de chercher ailleurs son avenir. Il en résulte des vagues de plus en plus importantes d’adultes, de jeunes, parfois d’enfants, qui déferlent vers les pays considérés comme nantis et dont une part importante échoue, en y perdant la vie pour de nombreux d’entre eux. Ces vagues viennent d’Afrique, du Moyen-Orient voire d’Asie. Avec le même espoir, pour le même résultat, hélas !

Face à cette situation, il est criminel de rester les bras croisés, de part et d’autre de la méditerranée. Nous devons agir vigoureusement, chacun (pays de départ et pays de destination) à son niveau mais également dans un cadre coordonné, pour réussir à endiguer les flux et à limiter fortement les impacts en termes de vies humaines. Il y a de nombreuses possibilités d’actions qu’il convient d’envisager pour limiter les flux d’émigrés clandestins. Ces actions doivent toutes être envisagées dans un cadre où l’on se convainc que l’émigration clandestine est une perte pour une collectivité, cela est d’ailleurs valable pour l’émigration tout court quand elle atteint un caractère systémique comme c’est le cas au Mali par exemple. Les autorités, la société civile, les acteurs politiques, les communautés notamment celles qui émigrent traditionnellement, doivent tous se convaincre de cette situation et s’engager ensemble à y faire face. Nous devons mettre en place des stratégies de limitation de l’émigration en insistant d’abord sur la saine information, la sensibilisation, la communication franche avec les acteurs susceptibles d’être concernés. La transparence absolue avec laquelle la question est traitée sera une donnée clé du dispositif de lutte contre l’émigration clandestine. Nous devons communiquer sur le phénomène, publier les chiffres sur les départs mais aussi les pertes en vies humaines, informer clairement sur tous les drames survenus, tracer les émigrés et remonter aux sources pour sensibiliser et conscientiser.

Les tragédies comme la disparition en masse des clandestins en méditerranée ne doivent en aucune manière rester anodines dans nos pays. Au delà des communiqués et appels officiels lancés, il faut aller plus loin pour s’appuyer sur ces chocs et ces traumatismes et développer une stratégie appropriée de dissuasion fondée sur les risques inutilement pris. Les autorités publiques, les acteurs de la société civile et toutes les forces vives de la nation doivent se donner la main pour engager de véritables débats nationaux sur les questions d’émigration afin d’établir les bases d’une lutte commune contre les travers déplorés. Dans cette perspective, une mesure concrète portera sur l’augmentation des possibilités de communication de nos services en charge de ces questions, la collaboration intelligente avec les relais sociaux, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour toucher toutes les cibles, notamment les jeunes. Les organisations de jeunesse, les associations et autres Organisations Non Gouvernementales (ONGs) actives dans les zones traditionnelles d’émigration seront d’un apport certain.

La diaspora, source de nombreux fantasmes et facteur majeur de motivation des candidats au départ est à mettre à contribution dans la stratégie de sensibilisation contre l’émigration clandestine. Les émigrés déjà établis dans les pays de destination, qui disposent d’influences certaines dans nos contrées, doivent être engagés à dissuader leurs parents mais surtout doivent s’inscrire dans un processus de soutien à la production et à la création de richesses sur place permettant de fixer les jeunes en leur donnant l’occasion de pouvoir se prendre en charge eux-mêmes. Plus que jamais l’adage selon lequel « il vaut mieux apprendre à pécher que donner du poisson » demeure d’une actualité criarde dans nos bassins d’émigration. Il faut s’employer à convaincre les candidats au départ que les moyens financiers engagés pour arriver à destination sont souvent suffisants pour se constituer un capital productif sur place. Plutôt que d’abonner toute sa famille chez le boutiquier du village pour les besoins de consommation, il faut encourager ses jeunes frères et jeunes sœurs à entamer du petit commerce, se former dans des métiers porteurs, à faire du maraichage, de l’embouche…investissons moins dans des salles de classe non fréquentées que dans les petits ouvrages de retenue d’eau au profit de la sécurité alimentaire du village. Redimensionnons nos projets d’édifices religieux à l’aune de la population de la contrée et redirigeons le supplément de ressources vers des investissements productifs. En somme, évitons des activités  » tape à l’œil «  et motivées par l’orgueil au profit d’initiatives porteuses de prospérité.

La lutte contre les systèmes mafieux qui facilitent l’émigration illégale sera la clé sur le chantier du tarissement de ce fléau. Ce système est complexe et présent sur l’ensemble de la chaîne de l’expatriation frauduleuse. De la délivrance de pièces d’identité à la recherche de visas, la fabrication de fausses pièces et documents administratifs ou encore la corruption des agents publics impliqués à différents niveaux, le système a infiltré le dispositif étatique et sera compliqué à combattre car les sommes en jeu sont inimaginables. Nous devons revoir les législations pour faire du soutien à l’émigration clandestine une infraction de complicité à un crime car il aboutit souvent à la mort du candidat. Les parents qui envoient leurs enfants mineurs à la mort doivent aussi être poursuivis. Ce combat doit se traduire par le renforcement des contrôles aux frontières notamment terrestres, la lutte permanente contre la corruption de tous agents administratifs impliqués à ces niveaux (sécurité, administration, collectivités locales…). En somme, nos autorités doivent changer de paradigme et passer rapidement de la bienveillance neutralité, voire complicité, à une lutte de tous les instants pour briser le dispositif mafieux qui fait de l’émigration une industrie mortifère pour les démunis mais très prospère pour les acteurs.

L’intérêt de la création d’une structure en charge de la lutte contre l’émigration irrégulière et les systèmes mafieux qui l’encouragent, doit être étudié en vue de dimensionner la riposte à la hauteur du fléau. Cette structure, à l’image de l’Office de lutte contre les stupéfiants, doit être transversale, disposer d’aptitudes de renseignements, d’investigations policières, administratives et judiciaires et de capacités d’interventions. Les autorités doivent s’employer à obtenir ensuite de la justice des sanctions dissuasives contre les agents publics véreux du système, les citoyens impliqués et notamment ceux qui organisent les filières. Le changement de paradigme souhaité ci dessus, s’il est réel, favoriserait le démantèlement de ces réseaux dont certains sont quasi officiels de nos jours.

La collaboration entre les pays sahéliens pour ce qui concerne le passage des clandestins vers le Maghreb, mais aussi la collaboration avec les pays magrébins, pays de transit, aideront à mieux lutter contre l’émigration clandestine. Il y a de véritables routes d’émigration, connues par les différentes administrations. Il faut les stopper, arrêter les flux et repousser les migrants tentés de les emprunter. Il faut évidemment arrêter et traduire en justice les organisations criminelles qui les exploitent et dont certaines ont pignon sur rue. Un pacte sahélien de lutte contre l’émigration irrégulière permettra de définir les règles de collaboration entre les services de renseignement, les forces de police, les administrations mais aussi les forces armées pour des interventions qui peuvent s’avérer utiles et mêmes salvatrices pour les pauvres candidats au départ. Dans la mise en œuvre de ce dispositif, les pays de destination doivent contribuer. Ils peuvent fournir des capacités en surveillance, former les agents, donner des renseignements et engager des moyens divers pour soutenir les pays de départ et de transit dans ce combat dont tous sont bénéficiaires. L’Europe envisage de renforcer son dispositif Frontex de lutte contre l’émigration clandestine en déployant cinq fois plus de bateaux de surveillance en Méditerranée. Elle doit se convaincre que les moyens engagés au bout de la chaîne pourraient être plus efficaces et moins onéreux s’ils sont judicieusement utilisés au départ du processus.

Enfin, il apparaît nécessaire que soit mise en place au niveau des organisations régionales (CEDEAO) et continentales un agenda anti émigration clandestine, de sensibilisation, de plaidoyer, de coopération, avec des voix fortes pour le soutenir et faire en sorte que le continent parle de la même voix sur ce domaine. Cela lui permettrait d’obtenir que les pays occidentaux destinataires s’impliquent à mieux collaborer vers la réduction du phénomène à défaut de l’endiguer. Cela permettrait d’engager plus facilement mais aussi plus fortement les Etats à s’employer à accroitre la prospérité de leurs populations et à leur offrir des perspectives, seules à mêmes de les dissuader de risquer la mort pour mieux vivre.

Moussa Mara

moussamara@moussamara.com

www.moussamara.com

 

Source: L’Indépendant

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