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Dr Abdoulaye Sall, président de CRI 2002 : «Les députés de la 6è législature bénéficient d’une opportunité historique pour s’attaquer à l’essentiel»

Dans cette interview, l’ancien ministre chargé des Relations avec les Institutions donne son appréciation sur la configuration de la nouvelle Assemblée nationale et revient sur le déroulement du processus électoral

 

L’Essor : Quelle appréciation faites-vous de la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale ?
Dr Abdoulaye Sall : Qui parle de configuration de l’Assemblée nationale parle en droit et en fait de la configuration de la 3è institution constitutionnelle de la République du Mali qui en compte huit. Et, l’Assemblée nationale, il faut le retenir, incarne le pouvoir législatif, celui de voter les lois d’origine gouvernementale soumises à elle sous forme de projets de lois, ou d’origine parlementaire soumises à elle par les députés eux-mêmes sous forme de propositions de lois. En plus de voter les lois de la République, l’Assemblée nationale contrôle l’action gouvernementale à travers les questions écrites et ou orales des députés.
Plus incisive, et plus décisive, dans le jeu démocratique et de bonne gouvernance des institutions de la République, l’Assemblée nationale peut renverser le gouvernement en votant une motion de censure ou en lui refusant la confiance. Avec la proclamation définitive des résultats des élections législatives, après deux reports successifs, et la date butoir du 2 mai 2020 fixée par le Dialogue national inclusif (DNI) de décembre 2019, notre pays rentre de plain-pied dans une phase majeure et décisive de sa marche vers la fondation d’une démocratie et d’un État de droit à hauteur et à envergure des attentes des Maliens.
Et l’architecture de la nouvelle l’Assemblée nationale constituera un indicatif fort pour les Maliens, l’opinion nationale et internationale, s’il y a lieu d’espérer ou de désespérer. Après les premier et deuxième tours, les proclamations définitives des résultats par la Cour constitutionnelle, deux autres tours, hautement politiques, stratégiques et décisifs, sont attendus pour les 147 députés, issus d’une vingtaine de partis et groupements politiques. Le quatuor RPM avec 51 députés, Adema-PASJ avec 24 députés, URD avec 19 députés, parti MPM avec 10 députés, se démarque de la vingtaine de partis et groupements politiques devant siéger à l’Assemblée nationale sur les 216 partis politiques que compte notre pays.

La rentrée de 40 femmes comme députées à l’Assemblée nationale, du jamais vu en République du Mali, constitue une avancée majeure, significative et concrète sur le chantier de leur participation, de leur implication et de leur responsabilisation dans la vie publique et à la prise de décision dans notre pays. L’application de la loi n°2015-052, adoptée par l’Assemblée nationale le 18 décembre 2015, a permis cette percée à la suite de celle des 200 conseillères municipales lors des dernières élections communales. Ce que j’appelle le troisième tour des élections législatives est fondé sur le suffrage universel indirect devant consacrer à l’élection par, et entre, les 147 députés élus au suffrage universel direct, du nouveau président de l’Assemblée nationale, du nouveau bureau, à l’organisation et à la structuration de la 6è législature : qui sont majorité, qui sont opposition, qui seront membres ou pas du nouveau bureau de l’Hémicycle, comment seront constitués les futurs nouveaux groupes et commissions parlementaires. La vingtaine de partis et groupements politiques représentés à l’Assemblée nationale seront-ils à la hauteur pour faire face à l’épreuve de l’encadrement de leurs élus, aux flots impétueux du nomadisme, de la transhumance politique de l’opposition vers la majorité, et vice-versa ?
Attendons alors de voir cette future nouvelle l’Assemblée nationale, ce temps de la clarification, pour pouvoir se prononcer et engager ce que j’appelle le quatrième tour. Ce quatrième tour quinquennal fondé sur la redevabilité des députés et le contrôle citoyen systématique, il faut le dire et le reconnaître, a cruellement manqué à la construction démocratique et à celle de l’État de droit de notre rêve.

L’Essor : Que pensez-vous du déroulement de l’ensemble du processus électoral ?
Dr Abdoulaye Sall : Vous savez, ce sont les mêmes enseignements, les mêmes maux, en lien avec le faible taux de participation, aggravé par le Covid-19, le poids de l’argent, la fraude, la corruption, les contestations et bien d’autres. Malgré tout, le taux de participation obtenu, à savoir 35,25% reste dans la fourchette normale des taux connus, enregistrés, dans notre pays de 1992 à ce jour. Il s’agit là d’un problème beaucoup plus structurel que d’un problème conjoncturel, c’est-à-dire lié spécifiquement à un ou deux scrutins. Sinon, nous risquons de prendre les conséquences du phénomène pour ses causes.
En ce qui concerne les faibles taux de participation, il faut aller rechercher ses causes lointaines dans le mode d’enrôlement des électeurs qui est automatique dans notre système électoral, alors que dans la quasi-totalité des États de la Cedeao, cet enrôlement est volontaire. Si l’enrôlement était volontaire dans notre pays, nous nous serions trouvés avec tout au plus 3 millions d’électeurs inscrits, déterminés à aller voter, au lieu de plus de 7,3 millions d’électeurs, comme c’est le cas, dont plus de 5 millions, pourtant inscrits sur les listes électorales, ne manifestent aucun désir, aucune volonté d’aller accomplir leur droit de vote.

Imaginez vous-même un peu l’énormité des gâchis financiers et matériels pour un pays en crise multidimensionnelle comme le nôtre : 7,3 millions de cartes d’électeurs établies, 7,3 millions de bulletins de vote confectionnés pour les multiples candidats et ou groupes de candidats en lice sur un territoire en crise aussi vaste que le nôtre, des urnes, des isoloirs, etc, pour au finish 2,3 millions d’électeurs votants…
Quant aux causes directes, il faut aller les traquer dans les labyrinthes du déficit de citoyenneté, de civisme, de patriotisme et de confiance des populations aux partis et groupements politiques, à la «chose politique», au processus électoral. Des droits, nullement des devoirs. En ce qui concerne la fraude électorale, la corruption politique, l’impunité, le Dialogue national inclusif en a établi un diagnostic sans appel, confirmant ce qu’en pense le citoyen lambda, «endémiques et systémiques, sans pour autant être une fatalité».
Sur toutes ces questions, il existe une batterie de recommandations et de solutions formulées et adoptées par le Dialogue national inclusif qu’il suffit tout simplement d’opérationnaliser sous l’égide d’un leadership politique fort, capable, réceptif, et comptable. Dans tous les cas, il s’agit là d’une question structurelle qui demande des réformes profondes et robustes de notre système électoral.

L’Essor : Quelles sont, selon vous, les actions prioritaires sur lesquelles devraient travailler les députés de la 6è législature afin de faire face aux défis du moment, notamment la crise sécuritaire et la pandémie du coronavirus ?
Dr Abdoulaye Sall : En termes de crise, j’ai l’habitude de livrer la définition qu’en donnent les Chinois à travers deux idéogrammes, le premier signifiant «danger» et le second «opportunité». L’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019 signé à Bamako entre le Premier ministre, le Haut représentant du président de la République et les représentants de partis politiques et des regroupements politiques édicte, entre autres, que «les parties signataires conviennent de la nécessité d’engager des réformes profondes de la gouvernance en vue de créer une société plus démocratique, juste, et prospère».
La première priorité, il ne faut pas se voiler la face, c’est de s’attaquer au renforcement de leurs capacités. Être député est un métier, et comme tout métier, il s‘apprend pour non seulement être un député capable, mais aussi et surtout, un député réceptif (qui s’informe, entend et écoute) et comptable (qui rend compte, qui est redevable).

Et vous allez encore convenir avec moi, les députés de la 6è législature bénéficient d’une opportunité unique et historique pour s’attaquer à l’essentiel, rien qu’à l’essentiel, en se ressourçant à la lumière des trois résolutions restantes et des 117 recommandations opérationnelles issues du Dialogue national inclusif. Le président de la République s’est solennellement engagé devant le peuple malien de les mettre en œuvre. Il en a donné la preuve avec les élections législatives qui viennent de se tenir, et sans lesquelles il n’y aurait pas de députés à plus forte raison d’Assemblée nationale.
C’est dire, qu’après la concrétisation de l’organisation de ces élections législatives avant la date butoir du 2 mai 2020, objet de la Résolution n°1, qui fonde leur légalité, leur légitimité et leur honorabilité, il s’agira pour les députés à la nouvelle Assemblée nationale de travailler, d’engager le gouvernement, et dans le respect scrupuleux des mesures barrières édictées par la session extraordinaire du Conseil supérieur de la défense nationale du 17 mars 2020, sur le processus de la réorganisation territoriale et du nouveau découpage administratif et électoral à engager à l’intérieur du pays et au sein de la diaspora ; l’organisation d’un référendum en vue de la révision de la Constitution du 25 février 1992, en se prémunissant au préalable de la recherche d’un consensus national autour des questions et des problèmes qui divisent les Maliens ; la mobilisation de toutes les ressources nationales pour ramener la paix et la sécurité dans le pays et promouvoir le vivre-ensemble ; la conduite, dans la durée, d’une stratégie de maintien de la paix et de la sécurité, avant la fin de l’année 2020 ; le redéploiement de l’administration et des services sociaux de base dans les zones affectées par l’insécurité au courant de l’année 2020 ; la sécurisation des axes routiers et des zones de grande production ; une législation pertinente au cours de l’année 2020 sur le rôle des chefferies, légitimités traditionnelles et autorités religieuses dans la prévention et la gestion des conflits ; le redéploiement immédiat sur l’ensemble du territoire national des Forces de défense et de sécurité reconstituées ; la relecture de certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation, selon les mécanismes prévus à l’article 65 dudit Accord ; l’accélération du processus de DDR (Démobilisation, désarmement et réintégration) pour permettre aux Forces armées reconstituées de mieux assurer leurs missions de défense du territoire et de protection des personnes et de leurs biens ; l’initiation d’une campagne intensive de communication en vue de faciliter l’appropriation nationale de l’Accord révisé.

L’Essor : Estimez-vous que la tenue des élections législatives doit ouvrir la voie aux réformes politiques et institutionnelles ou serait-il préférable de temporiser, en raison de la situation sanitaire très préoccupante ?
Dr Abdoulaye Sall : Une évidence, et tout ce que j’ai cité plus haut comme priorités pour la nouvelle Assemblée nationale demande des réformes profondes et majeures pour sortir notre pays de la crise politico-institutionnelle et sécuritaire aggravée par la pandémie du coronavirus. C’est dire que si ces élections législatives 2020 se sont tenues, c’est à la suite des compromis politiques majeurs tant au niveau des Maliens de l’intérieur que de ceux de l’extérieur en temporisant la prise en compte, et en charge, dans le cadre desdites élections, des nouvelles régions créées, mais non opérationnelles, d’un nouveau découpage territorial, de nouvelles circonscriptions électorales, des nouveaux majeurs à inscrire sur le fichier électoral, des députés de la diaspora à la nouvelle Assemblée nationale et bien d’autres sacrifices pour sauver l’essentiel : le Mali Un et Indivisible.
Il faut saluer et se satisfaire de ce patriotisme intelligent dont ils ont fait preuve en ces moments critiques pour notre pays. Et, toutes ces réformes ne peuvent pas rester en stand by, il faut bien le retour de l’ascenseur à ces frères et sœurs patriotes de l’intérieur et de l’extérieur qui ont mis l’intérêt du Mali au-dessus de leurs intérêts propres. Il reste trois Résolutions et 117 Recommandations issues du Dialogue national inclusif à opérationnaliser et qui demandent des réformes politiques et institutionnelles majeures, en termes de gouvernance démocratique, d’intégrité, de transparence, de lutte contre la corruption, de décentralisation, de développement durable, de culture.
«Le dialogue étant une vertu», il revient à l’État garant et gérant des missions régaliennes, de souveraineté, de paix, de sécurité, de réconciliation, de cohésion sociale, de développement économique, financier, social, culturel, de décider du rythme, de la cadence et de la mesure à imprimer pour la mise en œuvre ou non des réformes articulées sur les court, moyen et long termes. Dans tous les cas, la pandémie du coronavirus étant universelle, nul ne peut prédire des incertitudes et des inconnus qu’elle peut engendrer, si les États, dont le nôtre, doivent s’arrêter de fonctionner….

Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ

Source : L’ESSOR

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