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Diéma : Une tradition controversée

Dans ce cercle, la plupart de nos interlocuteurs estiment que l’esclavage n’existe pas. Pour eux, il s’agit d’une tradition rejetée par certains membres de la diaspora en France

 

Ce lundi 29 octobre 2021, nous sommes dans une auto-gare de Kayes. Pendant que l’agent d’une compagnie de la place appelait les noms des passagers pour les faire embarquer, un à un, dans le bus en partance pour Bamako, on entend soudainement un homme s’écrier en ces termes : « Convoyeur, ne gâchez pas notre journée, en appelant les Coulibaly, les Diarra, les Traoré, les Sissoko avant moi.

Je suis leur maître et je dois rentrer dans le véhicule avant ces esclaves » ! Le bonhomme, âgé de plus d’une cinquantaine d’années, voulait simplement plaisanter avec ses compagnons de voyage. Mais, en réalité, il voulait se servir de la couverture du cousinage à plaisanterie pour jouir des avantages que lui procurerait une pratique coutumière : l’esclavage par ascendance. Ce phénomène est en train de créer une atmosphère délétère dans les Cercles de Bafoulabé, Diéma, Kayes, Nioro et Yélimané. à cause des violences engendrées par les agissements de certains individus.

à Diéma, nos interlocuteurs préfèrent utiliser le terme de « tradition » en lieu et place de l’esclavage. Pourtant, le sujet défraie actuellement la chronique locale. Ces derniers temps, on ne peut pas faire le trajet Kayes-Diéma-Kayes » sans entendre quelqu’un prononcer ce mot. « L’esclavage, au vrai sens du mot, n’existe pas chez nous. C’est quelque chose d’ordre culturel. L’esclave est privé de ses droits. Or, tel n’est pas le cas dans notre contrée », explique le président du Conseil de cercle de Diéma.

Cet élu reconnaît que l’esclavage est un sujet « tabou » parce qu’il touche un aspect très important des coutumes et traditions de la Région de Kayes. On peut le croire à en juger par la prudence de cet administrateur civil, rencontré dans son bureau à la Préfecture de Diéma. «C’est une question très sensible. Faites attention, car il y a beaucoup de bruit autour de l’esclavage, qui est une pratique coutumière spécifique à la région. C’est la mauvaise interprétation qui est à la base. Sinon, depuis l’indépendance, on a aboli l’esclavage. Mais, les gens continuent avec cette pratique coutumière parce qu’elle contribue au renforcement de la cohésion sociale», dit-il.

Du côté des notabilités, on rappelle volontiers les origines de la pratique coutumière. «Pendant la colonisation, les captifs sont devenus des esclaves. D’autres ont été vendus. Tous ces gens travaillaient pour leurs maîtres respectifs et leurs charges incombaient à ces nobles. Les esclaves ont même leurs chefs traditionnels », assure Fousseyni Sissoko, fils du chef de village de Diéma, dans le vestibule familial, en présence des conseillers et notabilités du village.

« C’est la coutume qui régit les différentes classes sociales. S’ils (esclaves) cherchent une fille en mariage, nous (nobles) les aidons, en faisant les démarches pour eux. S’il y a un mariage chez un esclave, c’est la femme du chef de village qui prépare le repas. Si c’est notre tour, ils entreprennent les mêmes démarches et effectuent les mêmes tâches pour nous. C’est une question de coutume », insiste la chefferie traditionnelle de Diéma, qui attribue la problématique à la mauvaise interprétation. « L’esclavage continue, car il contribue au renforcement de la cohésion sociale », renchérit, le petit frère du chef de village.

Quand les autorités traditionnelles de Diéma ont senti la crise venir, aussitôt elles ont convié toutes les couches socioprofessionnelles (nobles, esclaves, griots, forgerons, mabos) à une rencontre, afin de les alerter sur un « mauvais vent » (mouvement anti-esclavagiste) qui risque de souffler sur leur contrée. Mesurant la gravité du phénomène, les communautés n’ont pas hésité à opter pour le respect de la tradition.

« Contrairement à notre cercle, ailleurs, on assiste à autre chose (agressions, expropriations de terre, expulsions…). Ici, certains se disent esclaves, pourtant ils sont plus riches que certains nobles. Ils possèdent des villas et des maisons à étage à Bamako. Ils travaillent pour eux-mêmes et leurs familles et non pour nous (les nobles). Ils ne nous donnent rien. Or, dans la pratique, ces gens doivent dépendre de leurs maîtres (nobles).

Selon la tradition, c’est nous qui devons les entretenir, en leur donnant de la nourriture, des habits, de l’argent et des parcelles pour l’habitat et les travaux champêtres », commentent en chœur des notables, dont des conseillers.

Pour circonscrire le phénomène, la région a organisé un forum à Kayes, dont la restitution a été faite à Diéma le 28 septembre 2021 au cours d’un atelier. Lors de cette session, les participants ont affirmé qu’il n’y a pas d’esclavage dans la contrée. Les populations estiment que le phénomène qui bafoue la dignité humaine, est entretenu par des ressortissants résidant à Bamako ou à l’extérieur.

Les notabilités de Diéma ont mis en place, en 2018, une commission de 48 membres regroupant 23 villages de leur cercle pour la gestion et la prévention des conflits (litiges fonciers, problèmes des foyers et de mariage). L’objectif visé est d’éviter le recours à la justice et de privilégier les solutions à l’amiable, sous l’arbre à palabres.

« On est allé dans d’autres localités, bref dans toutes les 15 communes du cercle. Le 28 octobre 2021, nous avons mis fin à une histoire à Nafadji, un village situé à côté de Diéma, sur la route de Kayes.

Nous ne faisons que suivre la loi. Nous collaborons avec ceux qui respectent la tradition et les lois. Ceux qui s’opposent à cette tradition, on les rejette sans pour autant leur faire du mal. Il revient à l’état de s’assumer », précise Sékou Fofana qui dirige la commission.

Il ressort de nos entretiens que depuis deux ans, ces notables n’ont jamais porté un conflit au niveau de la justice. Seuls les crimes (agressions) qui dépassent leurs compétences sont transmis aux tribunaux.

Ce samedi vers 10 heures, nous arrivons à Diangounté Camara sous un temps ensoleillé. Le marché longeant la route de Kayes est animé. Pour éviter tout dérapage ou malentendu pouvant compromettre notre travail sur le terrain, nous avons tenu à voir d’abord le maire Gangala Camara de la Commune de Diangounté Camara. « Il n’y a pas d’esclavage.

C’est une mésentente importée. Même si on s’entend, les « Francemen » (ndlr expatriés vivant en France) vont appeler leurs proches pour leur faire des reproches, comme c’est le cas du village de Kaïnera. Si vous partez dans ce village, les populations ne vont pas vous recevoir», assure notre interlocuteur.

Il a rappelé que le gouvernement a dépêché une mission officielle sur le terrain afin de ramener les déplacés dans leurs localités respectives. Selon lui, le chef de village a même payé des vivres et des animaux pour eux à la veille de la fête. « Certains ayant compris que le conflit n’était pas opportun, sont retournés au bercail et vivent en parfaite harmonie avec nous.

Mais, quand on les convie à des réunions, les « Francemen » les appellent pour leur faire des reproches. Certains échangent directement avec leurs ressortissants Or, cette diaspora n’est même pas en mesure de proposer une solution à ce problème épineux », déplore-t-il.

De l’avis de Silamakan Camara, un notable de Diangounté Camara, les autorités ont mis en place une commission intitulée « Kele Kumben ani Kele Gasa » pour résoudre les problèmes de transhumance et de pâturage dans cette contrée peuplée essentiellement d’éleveurs et d’agriculteurs. « On a fait 6 tours dans certains villages. Nos ressortissants de Bamako ont également mis en place une autre association dénommée Kaarta Kafo. Nous voulons traiter les différends à l’amiable », confie Mady Camara.

D’après Seydou, un conseiller du chef de village, la commission a fixé une amende de 2.000 Fcfa contre celui qui cause du tort à son prochain et 1.000 Fcfa contre son adversaire.

à Bamadougou, Sanga Sakho, fils du chef de village et 2è adjoint au maire de la Commune rurale de Madina Sakho, pose la problématique en ces termes : « Chez nous, on appelle chaque famille par le nom de son chef. Par exemple : Filyla pour les Diarra, Ballala pour les Camara, Diogoramébougou pour les Diallo, Samboura pour les Sidibé, Xanta Mama pour les Konaté, Goryda pour Gory, Karanga Sakho pour Sissako, Hamet Traoré ka yoro pour Traoré,

« Goumédy ka yoro ». « Sakhola » est le nom global attribué aux descendants du fondateur du village de Bamadougou. D’après lui, son ancêtre a prêté des parcelles à usage d’habitation et des champs aux esclaves et la cohabitation était pacifique jusqu’à l’avènement du mouvement anti-esclavagiste.

Bandé Moussa SISSOKO
Amap-Kayes

Source : L’ESSOR

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