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Crise du pain: la rançon d’une vision riquiqui

Le bras de fer par communiqués interposés entre le ministère de l’Industrie et du Commerce et les boulangers tournent à l’avantage des derniers qui sont passés outre le Protocole d’accord signé le 30 mars 2021 fixant le prix consensuel du pain à 250 FCFA le gros pain et 125 FCFA, avant d’arrêter leur production pour nombre d’entre eux, en dépit des véhémentes dénégations du premier. Le département qui se montre sentencieux à l’égard de ceux qu’il qualifie « d’individus malintentionnés », pour donner de la répartie, fait le choix hasardeux de l’escalade par les fermetures de guichets de boulangeries, boutiques et points de vente de pain qui ne respectent les prix consensuels du pain. Pendant que les deux parties trinquent, ce sont les consommateurs qui éructent. Au-delà des bidouillages, ne faudrait-il pas asseoir une véritable politique de blé-culture ?

 

Un proverbe dit : « Si quelqu’un fait un saut dans le feu, il lui reste encore un autre saut à faire ». S’il faut saluer les mesures annoncées en amont, dont la mise en œuvre laisse persister de sérieux doutes, les dernières évolutions laissent clairement apparaître une gestion désastreuse de la structure des prix du pain. Le Gouvernement, à travers le ministère de l’Industrie et du commerce, dans un premier temps, a opté pour l’invective, le dénigrement et l’excommunication de certains responsables des boulangers présentés comme les pestiférés de la République.
Il en remet une couche à son égarement en faisant la promesse solennelle qu’aucune augmentation du prix du pain n’est à l’ordre du jour, sans bien sûr oublier d’agiter des menaces : « aucun manquement ne sera toléré et les auteurs de ces perturbations s’exposent aux sanctions prévues par les textes en vigueur en République du Mali ».

Une gigantesque tartufferie
La session de rattrapage d’une session extraordinaire du Cadre de concertation de la filière farine-pain, présidée par le ministre Mahmoud Ould MOHAMED de l’Industrie et du commerce, de ce 1er novembre, n’aura été qu’une tartuferie de plus.
En effet, « après examens des points inscrits à l’ordre du jour, les membres du Cadre de concertation ont : condamné l’annonce unilatérale et irresponsable de l’augmentation des prix indicatifs plafonds du pain ; félicité le Gouvernement pour l’adoption des mesures d’atténuation face au renchérissement des produits de première nécessité en générale et ceux du blé, de la farine et du pain en particulier ; exhorté le Gouvernement de Transition à poursuivre les efforts de stabilisation des prix.
À l’issue des échanges, il a été décidé du maintien, jusqu’à nouvel ordre des prix consensuels du pain à 250 FCFA la miche de 300g et 125 FCFA la baguette de 150g ».
Quelques heures après cette décision, non seulement les nouveaux prix, à savoir 300 FCFA pour le gros pain et 150 FCFA pour le petit, sont restés inchangés, mais le pain a déserté les guichets de boulangeries, boutiques et points de vente.
Alors question : « Il a été décidé », c’est qui le « il » ? Soit il n’est pas représentatif des boulangers, par conséquent sa signature ne les engage pas ; soit « il » est un polymorphe qui mue en fonction de sa casquette de responsable syndical défendant les intérêts matériels et moraux des membres de son organisation ou de sa posture de membre du Cadre de concertation de la filière farine-pain qui ne peut contrarier le ministre pour diverses raisons, mais qui ne peut non plus soutenir la « décision » en dehors de la salle de réunion.
Dans l’un comme dans l’autre cas, la décision de « il » n’a pas empêché une ‘’grève’’ des boulangers (qui s’ajoute à celles perlées des banques et établissements financiers et des pompistes et vendeurs des stations-service Total, Shell, Oryx), avec son corollaire de crise du pain.
Dans ce dossier incandescent, il y a indubitablement une mauvaise approche nécessitant un changement de braquet et de paradigme. Au lieu de s’attaquer aux conséquences, le département de l’Industrie et du commerce serait bien inspiré de s’attaquer aux causes immédiates.
Les causes, selon les boulangers, c’est que le sac de 50kg de farine est passé de 17 000 à 21 000 FCFA voire 21 750 FCFA selon la qualité. La farine des Grands moulins du Mali (GMM) qui coûtait 16 500 FCFA/sac, coûte désormais entre 19 750 et 20 000 FCFA. La levure, selon les mêmes sources, a connu une augmentation de prix puisqu’elle est passée de 27 500 FCFA à 29 500-30 000 FCFA.
En jouant sur les coûts de production, on joue forcément sur le prix de revient. Point besoin d’être un John Maynard Keynes, Adam Smith ou un Karl Marx pour intégrer cette logique élémentaire.

Une vision à long terme
Donc, ce qu’il faut dans l’immédiat, ce sont des mesures d’accompagnement, c’est-à-dire la subvention de la farine et du blé. Mais, cela n’est que bidouillage, le sport favori sous nos tropiques.
Pour résoudre définitivement ce problème de pain, il faut une vision à long terme qui s’attaque aux causes lointaines.
Le constat est qu’à ce stade, nous sommes tributaires des cours mondiaux du blé (que nous importons) qui ont une répercussion sur le prix de revient du pain.
Notre salut dès lors, ne peut résider que dans une auto-suffisance en matière de production de blé. Pour cela, nous disposons de tous les facteurs de productions. Il s’agit de la terre, la ressource naturelle fondamentale, et donc le facteur de production principal. Selon un rapport de synthèse de la revue documentaire de Morifing KONE Conseiller à la Filière Blé, le potentiel des terres exploitables pour la culture du blé est estimé à 45.000 ha dans la Région de Tombouctou. La région de Kayes et la zone nord de l’Office du Niger (Kogoni) disposeraient également de ressources hydriques importantes et de conditions agro – climatiques favorables à la culture du blé.
Les principales zones de potentiel production sont Diré, Niafunké et Goundam.
«Les superficies actuellement consacrées à cette culture représenteraient donc moins de 5% des potentialités de la région ». Cette statistique a pu évoluer, puisque le rapport datait de 2004, mais pas de façon extraordinaire au regard de l’insuffisance de l’approvisionnement du marché national.
Les coûts de production, ce sont également des travailleurs (80 % de la population active travaille dans le secteur de l’agriculture); des machines ; de bonnes semences (des variétés prometteuses de blé Diré 12, Diré 15 et Diré 16 issues de trois années d’expérimentations en station à Gao, Kogoni et Diré sont disponibles).
La culture du blé introduite chez nous au 15e siècle, à partir de la région de Tombouctou, par les Almoravides conquérants venus du Maroc, représente à n’en point douter un avantage comparatif pour le Mali qui revendique qu’il est un pays à vocation agro-sylvo-pastoral. Avec les potentialités disponibles (les surfaces cultivables et une main d’œuvre à profusion), il est possible d’asseoir une véritable économie du blé. Pour ce faire, il faut des politiques et stratégies nationales volontaristes de développement de la filière, impliquant des aides substantielles de l’État aux producteurs. Théoriquement elles existent, à travers une assistance à la filière blé, mais elles gagneraient à sortir du cadre du balbutiement pour s’affiner et s’affirmer.

PAR BERTIN DAKOUO

Source : Info-Matin

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