Le gouvernement interdit toute activité aux ONG financées par la France, en réaction à la suspension par Paris de l’aide au développement. Bamako dénonce les «motifs fallacieux de la coopération militaire Mali-Russie» invoqués par la France. La dégradation des relations se poursuit entre Bamako et Paris.
En réaction à la suspension par la France de l’aide au développement à destination du Mali, le gouvernement de transition de ce pays a annoncé le 21 novembre l’interdiction des activités de toutes les organisations non gouvernementales financées ou soutenues par la France. Les organisations opérant dans le domaine humanitaire sont également concernées.
Dans son communiqué, le gouvernement malien explique avoir pris note de la mesure prise par Paris «aux motifs fallacieux de la coopération militaire Mali-Russie», ainsi que de l’«octroi direct aux ONG françaises des fonds mis à disposition dans le cadre de l’action humanitaire de la France au Mali».
Attribuant ces «allégations fantaisistes» à la «junte française» (en référence au terme employé pour qualifier les autorités de transition maliennes), Bamako dénonce une tentative de la France «de déstabilisation et d’isolement du Mali».
Le texte, signé de la main du Premier ministre par intérim et porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, explique que la décision française de suspendre son aide contribue en fait à restaurer la «dignité bafouée» des Maliens. Paris se voit ainsi reprocher une «aide déshumanisante […] et utilisée comme moyen de chantage des gouvernants» ainsi qu’un «soutien actif aux groupes terroristes» – argument que le gouvernement français a toujours démenti.
Le 17 novembre, le quai d’Orsay avait annoncé suspendre l’aide française au développement à destination du Mali. Selon Bamako, cette décision aurait en réalité été notifiée par voie diplomatique dès le mois de février. «Face à l’attitude de la junte malienne, alliée aux mercenaires russes de Wagner, nous avons suspendu notre aide publique au développement avec le Mali», expliquait ainsi une source citée par l’AFP.
Les autorités maliennes ont toujours démenti avoir fait appel à la société privée russe et parlent d’instructeurs de l’armée russe déployés au nom d’une collaboration entre les deux pays. Un collectif d’ONG dénonce la décision française Dans son annonce, le ministère français des Affaires étrangères ajoutait maintenir son «aide humanitaire» et quelques soutiens à «des organisations de la société civile maliennes», sans citer de noms particuliers.
Mais la décision de Paris n’a pas été favorablement accueillie par les principaux intéressés. Ainsi, dans un courrier adressé le 15 novembre à Emmanuel Macron, consulté par l’AFP, un collectif d’ONG (dont CCFD Terre-solidaire, Handicap international, Médecins du monde et Oxfam) faisaient part de leur inquiétude.
«En tant que récipiendaires d’une importante partie de ces financements, notamment depuis la suspension de l’aide bilatérale directe entre les institutions publiques françaises et maliennes, les organisations de solidarité internationale que nous représentons sont très inquiètes des conséquences d’une telle décision pour la population, les organisations de la société civile malienne, ainsi que leur propre organisation», écrivaient ces ONG.
Selon elles, 7,5 millions de Maliens ont besoin d’assistance, «soit plus de 35% de la population». Elles soulignaient en outre que le Mali est en 184e position sur l’indice de développement humain. «La suppression de ces financements entraînera l’arrêt d’activités essentielles, voire vitales […] au profit de populations en situation de grande fragilité ou de pauvreté», avertissaient-elles.
Notons que les organisations appelaient le chef de l’Etat à revenir sur cette décision, arguant que l’aide publique au développement de la France via ces ONG devait être «garantie en dehors de tout agenda politique ou sécuritaire, et uniquement selon les besoins des populations». Un appel qui n’a pour l’heure pas été entendu…
Divorce dans la douleur
Le départ des troupes françaises du Mali, annoncé par Emmanuel Macron le 17 février, est une “demi-surprise”, les relations de plus en plus détestables entre Paris et Bamako laissaient présager ce dénouement.
Francophobie ambiante
Ce divorce annoncé entre Paris et Bamako est on ne peut plus symptomatique de la francophobie ambiante en Afrique qui prend prétexte de tout pour ruer dans les brancards d’une relation France-Afrique déséquilibrée avec, par endroits, des accents exécrables de néocolonialisme.
Pourtant, en neuf ans de présence militaire française au Mali, Paris a payé cher sa dette de sang avec la perte de 53 soldats et une facture journalière de 1 milliard de FCFA [1,5 million d’euros], sans oublier le matériel détruit. En effet, la force Barkhane est allée régulièrement au contact de l’ennemi terroriste par des patrouilles ou des frappes ciblées qui lui ont permis de mettre hors d’état de nuire deux grosses têtes pensantes du djihadisme au Sahel : Abdelmalek Droukdel en juin 2020 et Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, un an plus tard. Insuffisants, disent les contempteurs de la France au Sahel, d’autant plus qu’un certain Iyad Ag Ghali [chef de guerre touareg djihadiste malien] court toujours.
En vérité, Bamako avait placé trop haut la barre de ses attentes vis-à-vis de la France dans cette guerre contre les terroristes, encouragé par cette dernière qui s’était montrée exagérément optimiste après les succès de l’opération Serval en 2013. On se souvient, comme si c’était hier, de François Hollande, accueilli en héros place de l’Indépendance par une foule de Bamakois en liesse, leur affirmant tout de go, le 2 février 2013 : “Nous avons gagné cette guerre.”
Barkhane, l’arroseur arrosé
Hélas, la suite des événements donna tort à François Hollande ! En véritable hydre, les groupes terroristes poussèrent rapidement tels des tentacules au point de déborder le territoire malien et de s’étendre au Burkina et au Niger. Ils travaillent maintenant à s’ouvrir des couloirs, du Sahel au golfe de Guinée. Les attaques quasi quotidiennes dans l’un ou l’autre pays du G5 Sahel, les meurtres, les incendies, les enlèvements, les vols et les déplacements des populations qui vont avec ont vite fait d’occulter les chants de victoire de 2013. Pire, ils ont fait des forces Barkhane l’arroseur arrosé, le pompier accusé de pyromanie, l’allié devenu l’envahisseur. Dès lors, entre Paris et Bamako, les effusions de joie, de sentiments amicaux et fraternels ont viré aux invectives verbales outrageantes.
La Rédaction
L’Informateur